Faits divers
TRIBUNAL DE CHALON - Le confinement n'était pas apprécié... et encore moins respecté
Publié le 14 Mai 2020 à 21h59
Lorsqu’il a consulté au centre hospitalier spécialisé de Sevrey, le médecin lui avait prescrit des médicaments, « mais je jetais tout dans les toilettes ». Jusqu’au jour où il a appelé un pote : « Ouais, gros, faut qu’je sorte, faut qu’je sorte, faut qu’je sorte. » C’est ainsi que tout a commencé.
Confinement national, J+1. C’était le 17 mars dernier. Le jeune homme, âgé de 18 ans, est sorti. Il est contrôlé, il n’a pas d’attestation. Les policiers municipaux lui rappellent la règle, il les rassure, ok. Il va héler un copain, il crie pour se faire entendre, les policiers reviennent. Il se rebelle, lâche des insultes. On le maîtrise, ça se termine au sol. On appelle la police nationale. À la suite, le parquet l’oriente vers une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) en novembre prochain.
Il échappe à son escorte
Mais le 17 mars, nouvel incident. « On allait juste acheter un paquet de cigarettes. J’ai pas pensé à prendre une attestation, le tabac est à côté de chez moi. » Rue de la Citadelle, une dame l’interpelle en lui disant qu’il ne faut pas sortir, il répond en criant qu’il « s’en bat les c... », des riverains appellent la police. Le 20, rebelote, il est placé derechef en garde à vue. « On ne me laisse pas aller aux toilettes, on refuse de me donner à boire », dit le garçon pour expliquer pourquoi, au sortir de l’hôpital où une escorte l’emmenait rencontrer un psychiatre, il fait semblant de somnoler, puis parvient à fausser compagnie. Mains menottées dans le dos, il file. La police appelle son père, le garçon s’est réfugié chez son ancienne nourrice... « parce que je savais qu’elle me donnerait à manger, ou quelque chose ».
Sa mère gravement malade, le fils flanche et dévisse
Le jeune homme, à l’audience des comparutions immédiates de ce jeudi 14 mai, ne cesse d’en parler : sa mère est malade, gravement malade. Son père (« Il m’a élevé, c’est mon père, y a pas à discuter de ça ») a témoigné du changement de comportement du garçon depuis février. Mais en septembre dernier, déjà, il avait « raté sa rentrée » scolaire, « j’étais tombé en dépression pendant 5 mois. Je ne sortais pas, j’étais enfermé comme un insecte dans la maison. Et puis j’ai repris confiance en moi, mais ma mère était à l’hôpital de Strasbourg, et avec le confinement, avec le virus qui était partout, elle aurait pu mourir à chaque instant. »
Des embrouilles de tous les côtés
Tout se rapporte sans cesse à sa mère, tout. C’est ainsi qu’on arrive aux faits du 9 avril qui le mèneront ce coup-ci en détention provisoire. Une embrouille avec son père et le garçon va dormir ailleurs. Une femme l’héberge, dans le centre de Chalon. « Elle a été gentille avec moi, et mon père lui a payé 100 euros de courses, parce qu’elle hébergeait d’autres gens et que le frigo était vide. » Il offre également deux tee-shirts à des bordelais de passage. Puis il sollicite un nouvel asile pour la nuit, elle refuse, il dort dehors, dit-il. Du coup il retourne chez cette femme le lendemain, « reprendre les courses et les tee-shirts ».
« J’ai déconné, j’aurais jamais dû frapper cette fille »
Or celle-ci ne l’accueille pas, et lui lance de « retourner chez sa mère ». Il voit rouge. « Elle sait très bien qu’il ne fallait me dire ça. Ça fait 4 mois que je n’ai pas pu voir ma mère, et ça me mettait hors de moi, et j’ai perdu confiance en moi. Ici (la prison), c’est la galère pour tout, c’est la misère. J’ai déconné, j’aurais jamais dû frapper cette fille. » Coups de poings. Plus tard, un petit groupe dont le frère de cette femme, se rend chez les parents du garçon, croise celui-ci opportunément sur le trajet, ça part en bagarre. Il avait un couteau, il ne s’en est pas servi, « j’ai eu peur, ils étaient plus nombreux que moi ».
« Fils de p… » … « et ça parle encore de ma mère ! »
A vrai dire les scènes relatées à vitesse V2 par la présidente en deviennent un peu floues, mais tant pis, on retient que le garçon s’est battu, qu’il y eut des messages contre lui sur les réseaux sociaux, qu’on l’a traité de « fils de p… », et que réellement il est devenu d’une sensibilité excessive à l’égard de qui au fond, dans l’insulte, ne concerne évidemment pas sa mère, mais tout est prétexte et occasion à croiser le fer contre cette suprême injustice qui le laisse impuissant : une grave maladie.
Une spirale qui inquiète les magistrats
L’expertise psychiatrique diligentée par le tribunal à l’audience du 30 mars, acte des traits « d’intolérance à la frustration », des variations importantes de l’humeur, « dépressif aux moments des faits ». Le médecin conclut à « une légère altération du discernement ». « Il ressort une grande immaturité de votre part », enchaîne la présidente Caporali. Il y a peu, une embrouille avec son co-détenu, « il me faisait des problèmes avec plein de gens, il racontait n’importe quoi ». Le tribunal s’inquiète, à l’instar de Christel Diez, substitut du procureur, de cette spirale.
« Monsieur, vous êtes grand »
« Mon objectif principal, c’est ma mère. Je veux la voir, rester près d’elle, lui dire que je l’aime. J’écoute pas grand-chose, mais ma mère, si. » On serait presque au tribunal pour enfant, la présidente reprend encore : « Monsieur, à un moment donné, que votre mère le dise, ou pas, vous êtes grand : vous devez respecter les règles collectives. »
Maître Mathieu intervient pour les policiers municipaux, maître Bibard pour les policiers de la police nationale. Les avocats demandent des indemnités élevées, en raison du « contexte », entendre par là l’état d’urgence sanitaire.
La défense replace des éléments
Maître Peleija, scène par scène, dégraisse les charges, les préventions. Son client reconnaît les faits mais il ne faut pas charger sa barque sans raison. Des policiers viennent dire qu’il s’est mis en position de boxe ? « L’OPJ qui a analysé les images de vidéo-surveillance, écrit, comme le dit monsieur, qu’il soufflait sur ses mains jointes, qu’il semblait avoir froid. » Il aurait donné un coup de coude à celui qui le tenait par le bras en sortant de l’hôpital ? Excessif. Aucun policier n’est blessé, on ne retiendra que les outrages.
Un contexte personnel tellement plus lourd pour lui que la question sanitaire
« On ne devient pas violent ‘comme ça’, à 18 ans. » L’avocate rappelle le contexte familial, la vie de famille secouée et blessée par la maladie dont souffre la mère, l’angoisse que ça génère en ce garçon qui a manifesté « une envie irrépressible de sortir », écrivait le médecin-psychiatre. Ce contexte-là doit prendre le pas sur l’autre, d’ailleurs « il a été testé négatif pour le Covid ».
Étonnamment, vu la grande jeunesse du prévenu, la présidente ne donne aucun élément concernant sa famille, ses parents, leurs professions, rien. Le tribunal se retire, le garçon se signe.
Deux peines de prison, dont un sursis probatoire de 2 ans
Reconnu coupable, ce jeune majeur est condamné, pour les faits des 17, 20 et 26 mars, à 4 mois de prison avec sursis, et à 3 amendes de 135 euros. Indemnités de 250 euros pour 4 policiers, et de 100 euros pour un autre, loin de ce qu’ils demandaient.
Pour les faits du 9 avril dernier, il est condamné à 10 mois de prison assortis d’un sursis probatoire de 2 ans. Interdiction de contact avec les victimes (la fille et son frère), obligation de soins. Exécuter un travail d’intérêt général, payer 150 euros de contravention (il avait un couteau de cuisine à la main : port d’arme).
Le tribunal a retenu l’altération du discernement.
Florence Saint-Arroman
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