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La boxe anglaise, courroie de transmission d'Alain Vinot, et rampe de lancement vers l'infiniment grand (1)

La boxe anglaise, courroie de transmission d'Alain Vinot, et rampe de lancement vers l'infiniment grand (1)

Originaire de Lure (Haute-Saône), et toujours viscéralement attaché à sa région, Alain Vinot n’a jamais été homme à rester les deux pieds dans le même sabot. Boxeur, entraîneur, coach d’artistes, il aura contribué (et contribue) à rendre son (sa) protégé(e) plus opérant(e) dans ses manières d’être et de faire. Voici le premier volet de la trilogie qui lui est consacrée.

 

Bon sang ne saurait mentir

« Je suis issu d’une famille de quatre générations de sportifs et de boxeurs. Mon arrière grand-père était lutteur de foire au début du siècle dernier. Des gens touchaient des primes pour combattre ou lutter contre lui. C’était un peu factice, mais il luttait aussi contre un ours, apprivoisé, bien sûr. C’était du cirque amélioré. Mon grand-père était un sportif connu dans la région de Haute-Saône ; il a été champion de France de boxe en 1928, champion de Franche-Comté de saut à la perche à l’époque, champion de France du 110 mètres haies, et il était nageur reconnu. Il faisait des compétitions dans l’Ognon, une rivière qui passe dans ma ville de Lure, au pied des Vosges. Il a eu quatre filles et quatre garçons, mes trois oncles et mon père ont tous été baignés, c’est l’atavisme, dans la boxe. Mon père était champion de Franche-Comté, il a fait le championnat de France militaire. Mon deuxième oncle a été champion de France dans la Marine ; mon troisième oncle a été champion de Franche-Comté, et au niveau national chez les amateurs, et mon dernier oncle, Michel, est le plus connu, car il y a une salle de boxe à Lure qui porte le nom de notre famille : la salle Michel Vinot. Lui a été champion de France amateur, et c’est le premier de la région qui a été champion de France professionnel, le 31 mai 1964 chez les mi-lourds. »

 

Des exemples locaux devant les yeux

«J’ai commencé la boxe à l’âge de six ans. J’étais déjà un petit peu bagarreur au sein d’une famille de sanguins, dirons-nous. J’ai débuté la boxe sans apprendre, par mimétisme, parce que j'allais à toutes les compétitions, d’ailleurs j’ai eu l’occasion de faire revenir à Lure, Jean Josselin, qui était un grand, grand champion à l’époque. Donc j’ai commencé avec les grands, à un moment où le club était un des meilleurs de France, d’ailleurs le meilleur, en 69-70, j’avais sept-huit ans car je suis né en 1961. Il y a eu bien entendu Georges Cotin, qui a été sept fois champion de France, et demeure dans la région, que j’ai retrouvé il y a quelque temps, et à qui avec la mairie de Lure on a fait un gros cadeau. Il y avait ses enfants et Mahyar Monshipour l'ancien champion du Monde. On l’a invité à une soirée récompensant les sportifs de la région, avec Josselin. Je me suis entraîné avec ces champions, en même temps je jouais au football vu que j’y étais très, très bon. J’ai fait la sélection de Franche-Comté, la demi-finale France du concours du jeune footballeur en alternance. En 76-77 le club de Lure a périclité, car il n’y avait plus d’entraîneur, et que l’évolution de la vie a fait que ça s’est arrêté. Le seul club qu'il y avait, Vesoul, c’était loin, alors je me suis inscrit au club de Luxeuil, mais en boxe française. J’ai fait les championnats et la Coupe de l’est, de Lorraine, que j’ai gagnés. »

A nous deux, Paris !

« Les années ont passé, et je suis parti à Paris. Je suis allé dans une grande salle, chez Bretonnel, où il y eu Cotin et mon oncle, mais cette salle ne m’a pas spécialement plu, alors je me suis retrouvé dans un autre club, le Ring Daumesnil, pour moi l’un des plus grands de France, où sont passés Tony Mundine, Mendy, les Lorcy, bien avant il y a eu Max Cohen, Jean-Marie Emebe, Hagler... J’y suis resté huit-neuf ans, je me suis entraîné à haut niveau, et on a demandé à la Fédération, vu que j’avais un petit palmarès en boxe française pour ce qu’on appelait : passer indépendant directement, c’est-à-dire néo-pro, et puis avec un gros, gros entraînement à la dure. J’ai eu trois côtes cassées, et j’ai perdu un œil. Il y avait une série de coups très, très violents, et j’ai même eu deux dents décrochées. Donc la licence boxe pro a bien entendu été refusée médicalement parlant. J’ai eu un petit déclic en me disant que mon père malgré tout a eu une grosse carrière avec des combats durs, et a un petit peu souffert des coups. Je me suis dit que ce n’était peut-être pas la peine de pousser le bouchon trop loin… Pour faire des compétitions, ils avaient besoin de gars qui s’adaptent aux compétiteurs qu’ils allaient rencontrer. J'ai fait office de sparring pendant plusieurs années. Et mon entraîneur, M. Roger Bensaid, m'a dit que j'avais de très, très bonnes dispositions pour entraîner et inculquer la boxe anglaise, que je comprenais, voyais et sentais bien les choses, que j'avais le cœur, la passion, et qu'il fallait que je passe des diplômes. Je me suis entraîné toutes ces années, et je continue de m'entraîner à 57 ans, trois-quatre fois par semaine. Je suis autodidacte à la base. Je m'y suis remis et j'ai passé tous mes diplômes en 4-5 ans d'études : l'officiel de la boxe éducative, l'instructeur...Après on m'a dirigé sur un brevet d'Etat, qui me permettait d'évoluer dans des clubs, de monter des projets d'insertion sur le sport en particulier, l'intégration par le sport, dont un qui s'appelle « Du ring à la vie de quartier », et un autre « La boxe anglaise, sport ludique ou sport de voyous, comment aborder la problématique en milieu scolaire », avec la Protection Judiciaire de la Jeunesse. J'ai fait plein d'opérations par rapport à ça. J'ai mis les gants avec Skouma, Emebe, tous deux d'un niveau mondial, avec notamment Lorcy, Jean-Baptiste Mendy qui ont été champions du Monde, etc. Je me suis occupé en particulier après de la première femme championne du Monde aux Etats-Unis à la fin des années 90, Valérie Hénin. J'ai changé de club, M. Bensaid est tombé très malade, le club a été repris par une personne dont je ne partageais pas la politique sportive. »

Un bon bout de chemin avec Eric Cantona

« Je suis arrivé dans le ring du 14ème. D'un seul coup tout a changé, car il y avait des artistes. Je croisais Jean-Marc Barr, Elodie Bouchez, Diefenthal, etc. Je me suis occupé de Richard Courcet et de Roschdy Zem. On a travaillé sur un film, je l'ai fait maigrir, lui ai appris la boxe, j'ai monté une grosse chorégraphie combat-boxe pour le film avec des cascades, et ça s'est enchaîné. La Production m'a demandé de m'occuper d'Elodie Bouchez, puis Béatrice Dalle ; j'ai travaillé avec David Douillet, puis avec Jean-Pierre Darroussin, avec le fils Reggiani un bout de temps, pour des films et aussi la préparation physique. Et un jour, un petit mec de Lure qui part de rien se fait appeler par une Production pour prendre en charge...Eric Cantona. On a discuté un peu, je suis un mec normal, je n'ai pas d'idole(s) même s'il y a des gens qui m'ont marqué. Il avait besoin d'un préparateur physique et préparait un gros film, et puis il finissait sa carrière de footballeur cette année-là, il avait encore la gniaque, c'était en 97-98, le king ! Je suis tombé sur un mec normal, pour moi la normalité c'est d'être normal comme son nom l'indique, car maintenant quand on est normal on est anormal. Moi je reste anormal et j'appelle un chat un chat. Du coup on a fait un entraînement, puis un autre le lendemain. Il s'est passé quelques jours, et j'ai été convoqué par une des plus grosses boîtes de prod des Champs-Elysées où j'ai d'ailleurs rencontré Josée Dayan. L'agent et le producteur m'ont demandé qu'Eric sèche un peu, que je fasse une chorégraphie. Le feeling est passé, Eric n'osait pas trop parler, il aime bien notre façon d'être, donc les choses claires, lui qui est coproducteur du film. Honnêtement je n'ai pas réfléchi jusqu'au lendemain. On a signé le contrat. On a fait trois mois et demi -quatre mois de Mexique (Acapulco, Loreto, Las Palmas, Monterrey, La Paz, Guadalajara, Cancun), et on a tourné un film qui s'appelle Mookie où Eric Cantona est boxeur. Il est avec Villeret qui joue le rôle d'un prêtre. Il y a un peu de cascades que j'ai réglées, j'ai fait perdre du poids à Eric, et j'ai entraîné aussi le boxeur mexicain qui a été choisi pour faire le boxeur contre lui. »

Du tournage, encore du tournage

« Après j'ai enchaîné, on m'a appelé pour d'autres choses, un film avec Philippe Faucon où je suis acteur, avec réglage de cascades. J'ai tourné à Marseille Samia de Philippe Faucon, les deux sont passés aussi à la télé. J'ai tourné après Club dead to dead avec Béatrice Dalle, Richard Courset, Luc Lavandier... Nous sommes restés au Portugal plusieurs mois. Ensuite on m'a demandé de tourner un court-métrage avec un scénario contre la drogue, c'étaient une trentaine de courts métrages qui passaient en boucle sur les télés. Sur la boxe, on a monté un scénar avec un jeune boxeur qui prenait de la came avant les combats pour gagner. Nous avons été choisis, nous avons tourné le clip (Quino), et il a été primé. Après j'ai tourné un court métrage qui s'appelle Le Cercle, de Manuel Schapira, on a eu le Prix Kieslowski ; j'ai le rôle d'un médecin un peu lugubre dedans. Ensuite j'ai tourné d'après une nouvelle de Jack London , « Une tranche de bifteck » un boxeur qui boxe pour faire vivre sa famille ». Après j'ai tourné un film qui s'appelle La Cuirasse, qui a été primé au festival de Toronto. Vraiment, un très, très, très bon film, très dur, mais très bien fait, réalisé par Frédéric Provost, quelqu'un qui est réellement pointu dans son métier. En plus c'est un très bon acteur, mais c'est surtout un très, très bon metteur en scène, réalisateur, et qui fait de très, très beaux trucs. »

En « redresseur de torts »

« En parallèle il fallait que je vive, donc je faisais de la sécurité dans les boîtes de nuit ou en cabaret, les meetings politiques tous bords confondus, en même temps je partais une semaine par mois au CREPS de Mâcon car j'attaquais un professorat de sport. J'étais à la salle au maximum, même si je rentrais très tard ou tôt le matin, tous les jours, je m'entraînais. Et puis lors d'une soirée j'ai rencontré dans une rue un peu mal famée où je faisais de la sécurité, une personne qui faisait 2 mètres et 115 kilos, un ours. On a failli s'accrocher, en venir aux mains. Je mesure 1,71 m, je ne suis pas grand, mais j'ai une bonne assise, mes pieds tiennent bien au sol, et avec un petit peu de cœur, ça aide. On aurait dit Hulk contre Calimero. Et puis j'ai dit au mec que plutôt de faire le cador, de venir demain à la salle : « Je fais 40 kilos de moins que toi, tu vas comprendre ce que c'est que la boxe, je n'ai pas peur de toi. Et justement, quand on est grand et costaud comme toi, il ne faut pas écraser les petits, car souvent ils n'ont pas peur, et je fais partie de ceux-là. Les grands en revanche ils font du bruit, mais quand ils tombent, et toi tu vas tomber. » Le lendemain il ne s'est pas dégonflé, il est venu. On a mis un petit peu les gants ensemble, il était vite essoufflé car un peu gras et il ne boxait plus depuis des années. J'ai appris à le connaître, il a pris une licence pro avec moi, je l'ai entraîné, lui ai fait perdre 12 kilos, lui ai trouvé une piaule et un sponsor , l'ai sevré, il a arrêté l'alcool, a reboxé. En une année on a gagné le tournoi de France professionnel, on a boxé du côté de Strasbourg, à Saverne, et à Berck on a gagné la Coupe de France. Il est devenu champion de France des poids lourds. Après il a refait des conneries. Il est devenu champion du Monde à Marseille, pas avec moi, mais ce mec-là je l'ai sorti d'affaire. J'ai commencé aussi à monter ma boîte de sécurité en microsociété, ensuite je me suis mis en SARL, je faisais 350 heures par mois, avec de l'accompagnement, de l'investigation, et j'ai développé tout ça. »

 

Propos recueillis par Michel Poiriault

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