Chalon sur Saône

Menus de substitution dans les restaurants scolaires de Chalon-sur-Saône : une décision du juge administratif contrastée

Menus de substitution dans les restaurants scolaires de Chalon-sur-Saône : une décision du juge administratif contrastée

Rendue ce matin par le tribunal administratif de Dijon, la décision sur les décisions du maire de Chalon-sur-Saône de supprimer les menus de substitution dans les restaurants scolaires était attendue. Info-chalon.com se l'est procurée.

Le 16 mars 2015, le maire de Chalon-sur-Saône, Gilles Platret, rendait publique, par un communiqué, une décision qui a fait couler beaucoup d’encre : celle de ne plus proposer de menus de substitution dans les restaurants scolaires à compter de la rentrée suivante. Une décision sur laquelle il n’était pas revenu, malgré des recours gracieux* lui demandant de réexaminer sa propre position, voire d’y renoncer purement et simplement. Du coup, une association à ressort national quasi-inconnue en Saône-et-Loire, la Ligue de défense judiciaire des musulmans, avait demandé le 24 juillet 2015 au tribunal administratif de Dijon, compétent pour une décision de cette nature, de bien vouloir l’annuler. Puis ladite association, un peu plus tard, les 2 octobre et 26 novembre 2015, avait attaqué les actes mettant concrètement en œuvre la position de principe du maire du 16 mars 2015, c’est-à-dire :

- la délibération du conseil municipal de Chalon-sur-Saône du 29 septembre 2015 ayant approuvé le règlement des restaurants scolaires

- et le règlement des restaurants scolaires en question.

Ce lundi matin, presque deux ans après, le tribunal administratif, après avoir pris connaissance des conclusions de son rapporteur public, a finalement tranché et décidé d’annuler les décisions attaquées. A priori, la Ligue de défense judiciaire des musulmans sort victorieuse de son bras de fer avec Gilles Platret, ayant obtenu ce qu’elle souhaitait, c’est-à-dire l’annulation des décisions en cause. Mais, à lire attentivement la décision du juge administratif, ce n’est pas si évident que cela. En effet, il ressort de la lecture de cette dernière que le tribunal administratif ne s’est fondé, pour lui donner gain de cause, que sur certains des « moyens » [les raisons de fait ou de droit dont les requérants se prévalent devant un juge pour fonder leurs prétention ou leurs défenses, NDLR] invoqués par la Ligue de défense judiciaire des musulmans. Surtout, si la décision du tribunal administratif de Dijon égratigne un peu la municipalité de Chalon, celle-ci, en l’absence d’une décision du Conseil d’Etat valant pour l’ensemble du territoire, préserve la possibilité pour une commune de ne pas proposer de menus de substitution dans ses cantines scolaires, surtout si elle ne l’a jamais fait jusqu’alors.

Une décision fondée sur l’intérêt supérieur de l’enfant

En vue d’annuler les décisions en question, la Ligue de défense judiciaire des musulmans invoquait notamment une violation de « la liberté de conscience et de culte garantie par l’article 9 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905, l’article 18 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, l’article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et l’article 10 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ». Autrement dit, elle prétendait que les libertés de pensée, de conscience, de religion, d’opinion, de culte, garanties par notre ordre juridique, avaient été bafouées par lesdites décisions.

En considérant d’emblée, après avoir rappelé l’ensemble des moyens soulevés par la Ligue de défense judiciaire des musulmans, que « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale » (article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant), puis en choisissant d’interpréter cette règle au prisme d’une observation générale du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies**, ce n’est pas vraiment sur ce terrain-là que le juge a entendu se situer, mais sur celui de l’intérêt de l’enfant. Et c’est en un sens un revers pour la Ligue de défense judiciaire des musulmans puisque, l’objet social de cette association étant de « lutter contre toutes les formes de discrimination religieuse et tout acte commis en raison de l’appartenance d’une personne ou d’un groupe à la religion et/ou la communauté musulmane », elle n’est pas parvenue à situer le débat juridique attendu, encore moins sur ce qui constitue sa raison d’exister. Un revers qu’elle ne peut paradoxalement essuyer qu’en raison d’une certaine mansuétude du juge qui, après avoir posé que, de ressort national, elle ne pouvait en principe pas saisir le juge pour toute affaire locale mettant en cause des musulmans dont elle arguerait qu’ils ont fait l’objet de discrimination, n’accepte d’examiner sa requête que parce est ici soulevée « une question qui, par son objet et ses implications, excède les circonstances locales ».

Bref, si, en apparence, la Ligue de défense judiciaire des musulmans remporte une victoire, celle-ci est loin d’être totale puisqu’elle ne parvient pas à faire dire au juge que les libertés de pensée, de conscience, de culte, de religion, d’opinion ont été violées par la municipalité de Chalon, encore moins que des enfants ont été discriminés parce que musulmans, c’est-à-dire en raison de leur religion supposée.

Aucune obligation pour les communes de proposer aux enfants des menus de substitution dans les restaurants scolaires

Car, et c’est assez remarquable, à aucun moment le juge, dans sa décision, ne considère que les enfants ne pouvant depuis 2015 bénéficier d’un menu de substitution n’ont fait l’objet d’une discrimination de la part de la municipalité de Chalon-sur-Saône. En outre, à lire attentivement chacun des douze « considérants »*** de cette décision, il n’y a aucun droit pour un enfant à bénéficier d’un menu de substitution. D’abord parce que « le service public de la restauration scolaire a un caractère facultatif ». Mais aussi, et surtout, parce que « l’obligation de proposer aux enfants un menu de substitution ne résulte d’aucune stipulation conventionnelle, d’aucune disposition constitutionnelle, législative ou réglementaire et d’aucun principe ».

Mais alors, si l’on invoque un droit inexistant, pourquoi le juge annule-t-il les décisions critiquées ? Parce que, nous dit-il, « la conformité d’une telle mesure à l’article 3-1 de la CIDE s’apprécie, dans les conditions rappelées par l’observation générale n° 14 du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, au terme d’une mise en balance, au regard de chaque situation locale particulière, des différents intérêts en cause ». Or, ici, la situation locale particulière, c’est-à-dire celle de Chalon-sur-Saône est celle-ci : « à partir de 1984 sans discontinuité, les cantines scolaires de Chalon-sur-Saône ont proposé un repas de substitution lorsque du porc était servi ». Ce choix « permettait la prise en compte, dans le respect de la liberté de conscience des enfants et des parents, de préoccupations d’ordre religieux ou culturel ». Mais « les décisions attaquées ont retiré ce choix aux usagers du service, mettant ainsi fin à une pratique ancienne et durable qui n’avait jusqu’alors jamais fait débat, alors que les familles ne sont pas nécessairement en mesure de recourir à un autre mode de restauration ». Pour le dire autrement, en procédant comme elle a procédé, la municipalité de Chalon-sur-Saône n’a non seulement pas pris en compte la situation locale mais, en outre, oublié l’intérêt supérieur de l’enfant, qu’aux termes du droit actuellement en vigueur, elle doit faire primer sur toute autre considération.

A la limite, le juge aurait pu admettre qu’elle supprime les menus de substitution si elle avait avancé « une contrainte technique ou financière », le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales pouvant légalement motiver une adaptation des modalités du service public de la restauration scolaire (considérant 10 de la décision). Mais comme ce n’est pas pour cela qu’elle l’a fait, mais en raison d’une « position de principe se référant à une conception du principe de laïcité »  a priori hors de propos pour le juge, celui-ci annule les décisions.

Est-ce à dire que si la municipalité décidait de nouveau de supprimer les menus de substitution dans les cantines scolaires de Chalon-sur-Saône en invoquant une contrainte technique ou financière, tout en veillant à préserver l’intérêt de l’enfant, le juge pourrait revenir sur sa position, qui plus est dans un sens favorable à la municipalité ? Difficile à affirmer. En effet, cette décision pouvant faire l’objet d’un appel devant une Cour administrative d’appel, d’un recours en cassation auprès du Conseil d’Etat, voire de l’un puis de l’autre. Autrement dit, d’autres jugements invalidant le raisonnement suivi par le juge sont encore susceptibles d’intervenir. Toutefois, en l’absence de tels développements, il n’est pas interdit de le penser.

Samuel Bon

 

* Un recours administratif porté devant l’auteur d’une décision, en vue de faire annuler l’un de ses actes, sans passer par une juridiction.

** « L’intérêt supérieur de l’enfant est un concept triple : a) C’est un droit de fond : Le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit évalué et soit une considération primordiale lorsque différents intérêts sont examinés en vue d’aboutir à une décision sur la question en cause (…) b) Un principe juridique interprétatif fondamental : Si une disposition juridique se prête à plusieurs interprétations, il convient de choisir celle qui sert le plus efficacement l’intérêt supérieur de l’enfant (…) c) Une règle de procédure : Quand une décision qui aura des incidences sur (…) un groupe défini d’enfants (…) doit être prise, le N° 1502100, 1502726 4 processus décisionnel doit comporter une évaluation de ces incidences (…) sur les enfants (…) En outre, la justification d’une décision doit montrer que le droit en question a été expressément pris en considération. A cet égard, les Etats parties doivent expliquer comment ce droit a été respecté dans la décision, à savoir ce qui a été considéré comme étant dans l’intérêt supérieur de l’enfant, sur la base de quels critères et comment l’intérêt supérieur de l’enfant a été mis en balance avec d’autres considérations » (point 6 de l’observation générale n° 14 (2013) du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies).

*** Nom donné aux alinéas de la partie d’une décision de justice contenant l’exposé factuel de l’affaire, les phases de la procédure et les motivations du juge.