Chalon sur Saône

A l'issue d'une réunion publique sur la sécurité aux Prés Saint-Jean, les habitants du quartier confortés dans l’idée qu’il vaudrait mieux déménager?

A l'issue d'une réunion publique sur la sécurité aux Prés Saint-Jean, les habitants du quartier confortés dans l’idée qu’il vaudrait mieux déménager?

Hier soir, à l’annexe de la Maison de quartier des Prés Saint-Jean, se tenait une réunion publique dédiée à la sécurité, en présence du maire (Gilles Platret), du sous-préfet de Chalon-sur-Saône (Jean-Jacques Boyer), du procureur de la République (Damien Savarzeix), du commissaire divisionnaire de la Police nationale (Bernard Pic) et du nouveau directeur de l’OPAC. Une réunion durant laquelle les 200 personnes sont peut-être reparties avec peu de raisons de rester vivre dans leur quartier.

« Déménagez ». « Quittez le quartier avant que ça ne devienne un ghetto ». A en croire de nombreux habitants du quartier ayant pris la parole hier soir lors d’une réunion publique consacrée à « la sécurité aux prés Saint-Jean », excédés par une montée en puissance dans le quartier pointée par Gilles Platret et corroborée par le sous-préfet de Chalon-sur-Saône (Jean-Jacques Boyer), c’est ce que ces derniers se seraient entendus répondre  de beaucoup de représentants d’institutions au cours des derniers mois.

Si, durant cette réunion, ces habitants ont pu vider leur sac, ainsi que le maire les avait invités à le faire, pas sûr en revanche qu’ils aient trouvé à l’issue de celle-ci des raisons de rester vivre dans leur quartier. En effet, face à leurs doléances, les institutionnels présents – le maire, sous-préfet, le procureur de la République, le commissaire divisionnaire de la police nationale, le nouveau directeur de l’OPAC – ont  surtout opposé des contraintes, voire des limites, budgétaires et humaines. Et les solutions esquissées, notamment l’appel généralisé fait aux habitants de « dénoncer les délinquants », interrogent plus sur l’état actuel des services publics relatifs à la sécurité qu’elles ne répondent aux questions posées sur le manque d’effectifs ou encore sur l’inertie administrative ou judiciaire, admise de la part même des institutionnels.

Le quartier selon les témoignages des habitants

A écouter les nombreux témoignages des habitants ce lundi soir, les murs et les cages d’escalier vierges de toute trace d’urine humaine semblent se faire rares aux prés Saint-Jean. Les poubelles, quand elles sont ramassées, restent longtemps pleines, quand elles ne finissent pas carbonisées ou renversées. Et quand vient la nuit, c’est Gotham City. Sauf qu’il n’y a ni Batman ni Robin, pour lutter contre la délinquance, faute de représentants des forces de l’ordre pour le faire.

« En journée, y font rien, c’est le soir », a précisé une habitante du quartier, pour expliquer le rythme de vie adopté par ceux qu’elles désignent délinquants. Une affirmation toutefois contredite par d’autres témoignages. Car en pleine journée, selon d’autres habitants, la délinquance rôde également, en tout impunité. Car quand la police est là, c’est pour verbaliser les conducteurs en excès de vitesse, juste à côté de bandes de dealers n’ayant a priori rien à envier aux gangs sévissant dans les ghettos américains, filmés sous toutes les coutures par Hollywood. Et quand elle intervient pour faire autre chose qu’embistrouiller les honnêtes gens qui travaillent, elle est aussi rapide que le sont Les Inconnus dans leur skecth « Le commissariat de Police nationale » et attend presque que l’on lui livre menottes aux poignets les délinquants qu’elle devrait s’ingénier à arrêter d’elle-même.

La journée, toujours, on peut se faire fracasser la clavicule, comme l’a expliqué une personne originaire du centre-ville, agressée récemment alors qu’elle se rendait à la maison des associations Jean Zay. A visages découverts, en plein jour, des gosses de 9 ans « livrés à eux-mêmes », font régner une terreur telle que les gens n’osent plus sortir de chez eux, même accompagnés de leur chien. Et quand certaines femmes âgées le font, c’est pour s’entendre dire d’aller « niquer leur mère ». Une injonction d’autant plus choquante que niquer sa mère quand on est soi-même âgée de 70 ans est une véritable insulte à la logique la plus élémentaire.

A priori, même en plein jour, rien de plus simple que de se procurer de la coke, du shit et toute une gamme de stupéfiants, de nombreux vendeurs ayant pignon sur rue et ne se trouvant jamais en rupture de stocks, ravitaillés qu’ils sont par une logistique très efficace. On ne saura toutefois pas si le marché de la drogue est plus concurrentiel aux prés Saint-Jean qu’ailleurs, ce qui pourrait donner une idée du caractère florissant de cette « économie souterraine » du quartier qu’a pointé Gilles Platret. En effet, les participants ayant pris la parole n’ont pas abordé ce point.

S’ils n’ont donné aucune indication à ce propos, ils en ont en revanche donné sur l’identité présumée des responsables de tous les désagréments subis, sans pour autant donner de noms. Des signalements suffisamment précis en tout cas pour que presque tout le monde acquiesce lorsque le maire lance « vous voyez très bien à qui je pense », à propos des gens qui lorsqu’ils se marient agitent un drapeau, « rarement le drapeau français ». Des gens originaires, dans la bouche d’à peu près tous, de pays situés au sud de la mer méditerranée. C’est en tout cas ce qu’il ressort, en creux, de certains témoignages. Par exemple, celui-ci : « on n’est pas en Afrique » (une dame rapportant ce qu’elle aurait dit à des jeunes urinant contre un mur, et à laquelle le procureur de la République a conseillé de préférer l’expression « c’est sale », pour dire les choses avec plus de délicatesse et de façon moins discriminatoires). Ou encore celui-là : « c’est comme en Afrique » (un homme se définissant comme « Gaulois » et évoquant ses voyages sur ce continent).

Dénoncer malgré la peur des représailles

Le public et les institutionnels étaient donc hier soir sur la même longueur d’onde : depuis quelques années, et surtout depuis le printemps dernier (« mars-avril », a dit Gilles Platret), la délinquance explose aux prés Saint-Jean. « Il y a une montée de la violence, qui peut se traduire par des intimidations. La peur est en train de se répandre dans ce quartier. Elle ne tombe pas du ciel. Elle est organisée, entretenue par des individus qui se sont donnés pour mission de faire passer un sale quart d’heure aux habitants », a déclaré Gilles Platret. Et cela, il n’entend pas l’accepter : « je n’accepte pas que dans une fraction de Chalon, on en vienne à ne plus oser sortir de chez soi, à cause d’une poignée d’individus sur 6 000 habitants. Cela donne de ce quartier une image déplorable ».

C’est pour cela que même si les caméras de vidéosurveillance de la ville sont régulièrement détruites par des jeunes à capuche qui grimpent sur des échelles dérobées à l’OPAC pour les atteindre et les anéantir, Gilles Platret continuera d’en mettre. « On déploiera et on rajoutera des caméras. Même si ça coûte des sous, on cèdera pas. Elles sont détruites car elles gênent les trafiquants. Même si ça ne marche pas ici, ça marche ailleurs ! » Et à l’écouter, il y aura même bientôt de la vidéoverbalisation, pour prendre sur le fait les auteurs de « mariages qui dérapent littéralement », les arrêtés pour les éviter étant « comme les règlements de l’OPAC » : peu efficaces. Un dispositif qui, mis en place prochainement, fera sans doute l’objet de plus amples explications dans les prochains jours.

En outre, ne pouvant augmenter les effectifs de la police municipale en raison de contraintes budgétaires, la municipalité de Chalon va néanmoins mettre en place un îlotier, c’est-à-dire « un policier municipal à demeure ». Autrement dit, « détacher quelqu’un en permanence sur le quartier », « pour que celui-ci soit au contact des jeunes ». Une initiative saluée par la pharmacienne du centre commercial, Francine Chopard, qui a noté que, sous l’ancienne municipalité, ceci avait donné des résultats positifs, la prévention de la délinquance s’avérant efficace, ainsi que le sous-préfet de Chalon l’a lui-même souligné durant son intervention, en disant que celle-ci doit être couplée à la répression. Une initiative, aussi, qui ne devrait pas déplaire à cette personne investie dans la régie de quartier ayant fait part durant les débats de son « impression qu’à la maison de quartier, il n’y a plus personne ».

Ceci étant, à bien écouter les différents représentants des institutions présents hier soir, cela ne suffira pas pour que les choses changent. En effet, si les habitants veulent du changement, il faut que ceux-ci y mettent du leur et dénoncent les délinquants, malgré la crainte de représailles. C’est, en raison d’effectifs policiers et de moyens insuffisants, la dénonciation qui est apparue hier soir comme le recours, sinon la solution la plus réaliste. C’est elle qui va permettre au procureur d’agir, en lui fournissant matière à inculper. Idem pour les bailleurs sociaux tels que l’OPAC : « si un bailleur social peut solliciter la rupture d’un bail contractuel, il ne peut le faire avec succès qu’avec des témoignages et des faits à transmettre au procureur » (le nouveau directeur de l’OPAC). Ceci étant, cela ne solutionnera pas totalement le problème de l’attribution de logements sociaux à des locataires indélicats. En effet, à l’écouter, « nous sommes tous co-responsables – OPAC, municipalité, Etat – des mauvaises attributions, puisque nous siégeons tous dans les commissions d’attributions ». Une façon de dire qu’avant d’en venir à s’adresser à la justice, il faudrait qu’en amont toutes les institutions présentes dans les commissions d’attribution soient plus attentives aux dossiers qu’elles ont à examiner, car ceci permettrait certainement d’éviter d’avoir à éteindre des incendies.

Samuel Bon