Chalon sur Saône

Optimiser ses comportements pour faire barrage à l'éventuelle survenue d'un cancer, tel sera en substance le message délivré par le professeur Khayat le 1er décembre à Chalon

Optimiser ses comportements pour faire barrage à l'éventuelle survenue d'un cancer, tel sera en substance le message délivré par le professeur Khayat le 1er décembre à Chalon

Chef du service d’oncologie médicale de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris depuis vingt-sept ans, professeur de cancérologie à l’Université Pierre-et-Marie Curie sise également dans la capitale (descriptif loin d’être exhaustif), le professeur David Khayat dont le niveau de compétence est très largement admis hors des frontières de l’Hexagone, sera l’orateur de la conférence « Prévenir le cancer et en guérir dépendent aussi de vous », laquelle sera donnée le vendredi 1er décembre à 20h30 à Chalon-sur-Saône. ATTENTION : prévue au départ dans la salle Sembat, elle aura finalement lieu dans le grand salon du Colisée. Interview pour info-chalon.com

« Prévenir le cancer et en guérir dépendent aussi de vous.» Quelles règles de vie suivre ?

«En fait les règles sont assez simples, elles consistent à préserver et à respecter la vie qui nous est offerte, notamment connaissant les causes de cancers. Premièrement, ne pas fumer, ou en tout cas fumer des cigarettes électroniques si on n’arrive pas à s’empêcher de fumer, ces nouvelles cigarettes qui ne brûlent pas le tabac. D’autre part manger en suivant des règles simples qui sont la saisonnalité, donc suivre les saisons, la diversité dans les aliments, dans les modes de cuisson, ne pas manger trop salé, trop sucré, trop gras, trop de calories, faire de l’exercice physique pour ne pas grossir. Faire aussi des vaccins, l’hépatite par exemple pour ne pas avoir les cancers du foie, ne pas s’exposer trop au soleil, surtout ne pas y exposer les enfants, naturellement éviter le contact avec la pollution…Ca permet de réduire autant que faire se peut le risque de cancer, mais ce risque n’atteint jamais 0, puisque globalement un homme sur deux et une femme sur trois ont ou auront un cancer en France durant le temps de leur vie. » 

Pensez-vous que le grand public soit conscient des cartes qu’il a en main, et mentalement prêt à faire battre en retraite certains des modes de fonctionnement qui peuvent lui porter préjudice ?

« Il y a une prise de conscience qui à l’évidence devient de plus en plus importante, car tous nos concitoyens ont quand même le sentiment d’être cernés par la maladie, par le cancer. Il y a tellement de gens qui sont touchés ! On a tous l’impression que ça risque de nous arriver, donc il, y a un début de prise de conscience. Néanmoins, le problème c’est que cette maladie reste dans les pays latins associée à des stigmates extrêmement sombres de fatalisme. Ils entraînent des discriminations et font également que les gens ne se soumettent pas au dépistage facilement, parce qu’ils se disent que de toute façon, si on trouve un cancer, c’est foutu, alors pourquoi faire le diagnostic précoce ? Ces personnes, finalement, n’assument pas, ne prennent pas en charge leur propre destin  par rapport à cette maladie. Il y a quand même des tendances nettes, sous-jacentes aujourd’hui sur l’évolution de nos pratiques alimentaires avec une prise de conscience que l’on est ce que l’on mange, que la maladie comme la santé sont dans l’assiette, et qu’il faut faire attention. Sur le tabagisme malheureusement c’est essentiellement le problème des jeunes, or les jeunes ne sont pas concernés par le risque de maladie. Ils se sentent encore trop loin de ce problème, et donc on n’arrive pas à faire baisser le tabagisme chez les jeunes. »

Comment appréhender le progrès au sens large du terme sans attenter à son intégrité physique ?

«Encore une fois, on est dans une société qui tend à perdre la raison, cette raison qui correspond à cette sagesse de nos territoires, de notre alimentation traditionnelle. Par exemple, dans le domaine alimentaire, c’est là où c’est le plus évident, on a une « westernisation » comme on dit en médecine de l’alimentation , c’est-à-dire qu’on va commencer à manger de plus en plus comme les Américains sous la pression des industries agroalimentaires, qui sont globalisées, et on oublie nos recettes de terroir qui ont permis à nos civilisations de se développer de manière remarquable durant les centaines et millions d’années qui nous ont précédées. Aujourd’hui on mange comme un peuple qui n’a même pas deux cents ans d’histoire, et dont on voit déjà aujourd’hui qu’avec aussi peu d’histoire, ils ont pourtant des troubles, des maladies chroniques en nombre considérable, avec presque un Américain sur deux qui est obèse. Et quand on sait que l’obésité augmente le risque de diabète, de maladies cardiovasculaires et de cancers…Donc, le vrai progrès ce n’est pas de manger comme eux, c’est de manger comme on avait l’habitude de manger dans nos territoires, dans nos pays, avec nos recettes traditionnelles, avec notre façon d’avoir de l’exercice physique, et d’avoir par conséquent une vie équilibrée. »

Garder une distance face à la détresse tout en restant humain, la frontière est-elle ténue en ce qui vous concerne ?

« C’est impossible, elle n’existe pas cette frontière, parce que quand vous faites ce métier que j’exerce depuis plus de quarante ans, vous n’arrivez plus à vous protéger contre la douleur, la souffrance, l’angoisse de tous les malades, qui viennent chaque jour à la consultation. Ils sont dans ma vie, les morts que j’ai accompagnés sont dans mon esprit, et c’est pour ça qu’à un moment donné il faut savoir prendre le courage d’arrêter la pratique médicale et de passer à autre chose, parce que la mort est trop prégnante. A un moment donné, on n’arrive plus à oublier l’infinitude de la vie, c’est-à-dire cette angoisse, à l’idée que vous-même, et que les gens que vous aimez vont disparaître aussi  comme tous ces malades auxquels vous avez apporté un peu de soutien. »  

Quel est votre rapport à la mort d’une manière générale ?

« C’est à la fois un rapport de combat, un ennemi personnel, quelque chose qui n’a rien d’abstrait pour moi, contrairement à ce qui se passe pour la plupart de nos concitoyens qui n’ont jamais vu un mort. Mais en même temps c’est une résignation, parce qu’arrivé au terme d’une vie de combat, on voit bien que finalement elle viendra aussi me chercher et aussi chercher tous ceux que j’aime, parce qu’elle est inéluctable et qu’il faut savoir se préparer avec beaucoup de sagesse. C’est une forme de schizophrénie, parce qu’il y a à la fois une notion d’ennemi qu’il faut combattre coûte que coûte malade par malade, et c’est un ennemi qui fait la valeur de la vie parce que justement elle n’est pas finie, et qu’il faut savoir accepter comme une étape malheureusement nécessaire, inéluctable, et à laquelle il faut savoir se préparer. » 

A quel niveau international se situe la France dans ce combat implacable ?

« D’après l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques NDLR), la France a la meilleure survie par cancer après le diagnostic de cancer, de tous les pays développés. Ceci résulte à la fois des caractéristiques de notre système de santé, c’est-à-dire l’accès universel, parce que même les gens les plus pauvres avec la CMU ont accès à des soins de qualité, et un accès illimité. Contrairement à l’Angleterre par exemple, où quand ça coûte trop cher, ou que le malade est trop vieux, les médecins disent que ça ne vaut pas la peine, et ils arrêtent les soins. On est donc à la fois illimité et universel, ce sont deux caractéristiques de notre système de santé, et puis  surtout les chiffres  de survie et de guérison se sont considérablement améliorés. Il y a notamment une très belle étude nationale  publiée en février 2015, qui regarde la survie des malades français atteints de cancer, cancer par cancer entre deux périodes, celle de 98 et celle de 2010. Entre les deux il y a eu certes de nouveaux médicaments, mais comme cette amélioration est de l’ordre de 10 à 15% pour chacun des cancers, elle ne peut pas résulter de la découverte d’un médicament, c’est parce que notre système de soins s’est considérablement amélioré grâce au Plan Cancer.

Quand on a constaté en 2003, si vous voulez il y avait un saupoudrage de la prise en charge du traitement des cancers dans les établissements français privés et publics, qu’il y avait des établissements qui soignaient un cancer du sein par an, ou un cancer du colon par an, ils n’avaient clairement pas la compétence, l’expérience. On a pris un décret avec le Plan Cancer qui est de mettre en place des seuils d’activité, c’est-à-dire que si un établissement ne traite pas au moins vingt-cinq cancers du sein par an, il n’a plus le droit de traiter les cancers du sein. Et le fait d’avoir concentré les cas dans des établissements en veillant à ce qu’il n’y ait pas trop de distance, parce que par exemple on a calculé que pour le cancer du sein la distance maximale que devrait éventuellement parcourir une femme, quelle que soit sa position sur le territoire, ne dépasserait pas quarante kilomètres, ce qui, avec l’état de nos routes est tout à fait acceptable, donc on a veillé à la proximité mais en même temps, on a dit  que seuls les hôpitaux qui peuvent démontrer qu’ils ont l’expérience et la compétence vont continuer de traiter les malades atteints d’un cancer. C’est un bouleversement : il y a 47% des établissements qui en 2004 avaient traité au moins quatre cancers, qui en 2008 n’ont plus eu le droit de traiter les malades atteints de cancer, c’est presque un établissement sur deux quand même. Et puis on a mis aussi une deuxième règle qui est la réunion de concertation pluridisciplinaire, c’est-à-dire que chaque nouveau cas de cancer en France doit impérativement, et c’est pénal sinon, être discuté par au moins trois médecins dont au moins un cancérologue.

On a financé des visioconférences pour les établissements à la campagne où les médecins ne pouvaient pas se réunir toutes les semaines pour que ces discussions puissent avoir lieu, on a fait tout ce qu’il fallait, moyennant quoi il y a maintenant une vraie discussion autour de chaque cas, et on n’est plus comme avant 2008 où un chirurgien voyait un cancer, l’opérait, et après selon son humeur et ce qu’il pensait, il donnait, ou pas, de la chimio. Maintenant les cas sont discutés, il y a des règles, on a défini des bonnes pratiques disant ce qu’il faut faire devant chaque cas. Il y a un respect de cette discussion et des bonnes pratiques, en plus on est le seul pays, enfin on l’a été, maintenant nous avons été rejoints par d’autres pays, mais on a été le premier pays à avoir un dépistage organisé du cancer du sein, du cancer du colon, etc. Donc c’est ce qui explique que la France au niveau international  se situe au premier plan, c’est le meilleur pays pour ce qui concerne le traitement, la prise en charge, par contre on est très mauvais en prévention parce qu’on ne fait pas d’actions de santé publique en France dans le domaine du cancer. On a vaguement fait les cinq fruits et légumes, quelques campagnes anti-tabac, mais globalement, alors que les Anglo-Saxons protestants sont très orientés sur la prévention et font de moins bons résultats sur le soin, nous, nous sommes très bons sur le soin et moins bons sur la prévention. »        

Le cancer sera-t-il un jour totalement éradiqué ?

« Oui, malheureusement je ne serai probablement plus là, parce que c’est une maladie extrêmement compliquée qui touche à tous les ressorts de la vie même, puisque les gènes du cancer sont les mêmes que ceux de la vie, donc on est sur quelque chose d’extrêmement résistant, fort, puissant…C’est la puissance  de la vie qui a résisté aux famines, à l’histoire de l’humanité qui est une histoire catastrophique et pourtant on est toujours là : on est capable d’aller dans l’espace ou au fond des mers, on a des capacités fantastiques, mais nos cellules cancéreuses ont les mêmes capacités fantastiques, ce qui explique la difficulté de les vaincre. Plus on avance dans la compréhension des mécanismes intimes de la cancérisation, de l’apparition d’un cancer, plus on constate que finalement chaque cancer est différent. On a 350.000 cas de cancer en France, avant l’année 2000 on disait le cancer, après on a dit les cancers, ce qui signifie que le cancer du sein n’est pas comme celui du colon ou du poumon. Aujourd’hui on sait que vous avez dix cas de cancer du poumon, ce sont probablement dix maladies différentes. Un jour il faudra savoir faire des traitements à la carte, personnalisés, et donc ça veut dire qu’on a introduit un niveau de compétitivité extrêmement important. »

 A l’heure actuelle de quelles façons fiables le citoyen lambda est-il en mesure d’apporter son écot afin de contribuer à la réduction du mal ?

« Déjà, en se comportant bien et en respectant sa vie, en ne l’abîmant pas, en ne fumant pas, en mangeant bien, en faisant de l’exercice physique, en n’exagérant pas avec le soleil, en vaccinant ses enfants… Chacun a une part de responsabilité dans ce qui touche à sa vie ou la vie de ses enfants, et son risque, ou le risque de ses enfants d’avoir un cancer. Après, bien sûr chacun peut aussi contribuer à la lutte contre le cancer en faisant des dons, en s’engageant auprès des organisations, des associations, des fondations, qui travaillent dans ce domaine. »

Avez-vous un livre en préparation ?

« Oui, il sortira en mars-avril de l’année prochaine, et il touchera évidemment au cancer, mais mon éditeur ne souhaite pas que je dise de quelle manière. »

 

Les renseignements pratiques

Tarifs : 12,00 et 16,00 euros. Points billetterie : Office de tourisme et des congrès de Chalon (4, Place du Port-Villiers, 03.85.48.37.97) ; Billetel : Magasins Fnac/Carrefour/Géant Casino, www.fnac.com, www.francebillet.com TicketNet : les magasins Leclerc/Auchan, www.ticketnet.fr

                                                                               Propos recueillis par Michel Poiriault

                                                                           [email protected]