Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON : Faute d'escorte, on juge en visio et ça gêne tout le monde

TRIBUNAL DE CHALON : Faute d'escorte, on juge en visio et ça gêne tout le monde

"Je ressens un profond malaise dans mon rôle d'avocat de la défense, à intervenir alors que je n'ai pas pu rencontrer mon client, je ne l'ai jamais vu, et là, je ne vois même pas son visage." : faute d'escorte les deux CI du jour se font par visioconférence à Chalon sur Saône.

Ce dont se plaint maître Leray en débutant sa plaidoirie, tout le monde a des motifs de s'en plaindre. Lundi après midi au TGI de Chalon, à 15 heures, aucun détenu n'était arrivé, ni aux assises ni pour les comparutions immédiates. Hier après midi au TGI de Mâcon, tous les dossiers requérant des escortes ont été renvoyés. Cet après-midi à Chalon, les audiences se sont tenues dans une toute petite salle, pour juger en visioconférence, dans une promiscuité rare, la sœur d'un détenu se tenant, à l'annonce du verdict, à quelques centimètres de la robe du procureur. Le défaut d'escorte* gêne terriblement les magistrats aussi, dans leur travail quotidien, et, in fine, prive les détenus de contacts visuels et de courts échanges avec leurs proches, tout cela n'est pas normal, et la jeune avocate le dit pour tout le monde.

Elle avait donc à défendre un homme qu'elle n'avait jamais rencontré et dont, de surcroît, le français était insuffisant, il fallut une interprète et l'instruction en fut doublée : même dans des conditions acrobatiques le tribunal prend le temps, le temps nécessaire à exposer en détail ce qu'on reprochait à monsieur et le temps de recevoir ses réponses et ses explications.

En cause, un couple de toxicomanes, un couple de dèche dont les enfants sont placés. Leur bébé né en février a reçu des soins spécifiques pour un syndrome de sevrage.

Monsieur est poursuivi pour violences conjugales. La police était déjà intervenu quelques fois, mais madame n'a jamais voulu porter plainte. Récemment elle se rend au foyer pour voir ses enfants, et s'effondre dans les bras d'un éducateur : marques de strangulation, une dent cassée, des bleus, les lèvres fendues. "Je suis au fond du gouffre."

Alerté, le parquet diligente une enquête, à l'issue de laquelle les policiers placent monsieur en garde à vue. Le juge des libertés le met ensuite en détention provisoire.

Monsieur : 30 ans, tunisien arrivé en France en 2012. Maître Leray a raison : on ne le voit pas, il est loin dans l'image, il est flou, mais ses reniflements, eux, ne le sont pas, ils sont sonores et prennent de la place. Car si l'audience manque de corps, les sons la rendent humides et un peu gluante. Monsieur pleure beaucoup mais ses larmes sont de crocodiles pour le parquet : "Je n'y crois pas, assène la procureur. Il nous dit qu'il la tape pour son bien ? Parce qu'il est inquiet pour la grossesse ? Il ne veut pas qu'elle prenne de médicaments ? Tous ceux qui frappent leur femme le font "pour leur bien". Le risque de réitération est élevé."

Dans cette petite salle la victime se tient là où elle le peut, près des représentants de la justice comme elle ne l'a sans doute jamais été. Elle maintient qu'elle ne veut pas qu'il aille en prison (où il se trouve déjà), et que "sûrement, il a compris, là", et qu'il ne la touchera plus violemment. Elle ne se constitue pas partie civile. Les années de drogue l'ont rendue maigre et prématurément vieillie. Les violences qu'elle subit (les coups, la dèche, les petits placés en urgence) aussi. Elle est calme et attentive à l'audience mais n'est pas pour autant avec nous. 

Lui, entre deux accès de sanglots, ne fait que demander pardon, mais ne reconnaît pas sa violence. "Des claques", oui, mais toujours avec une raison. Une bonne raison, dans son esprit, "il a, au delà de sa toxicomanie, un problème psychologique qu'il convient de régler, il est foncièrement instable, et, je pense, déséquilibré". Son avocate souligne qu'il est pris dans un cercle infernal : son nouveau titre de séjour est prêt mais il n'a pas l'argent pour payer la taxe, supérieure à 200 euros pour une carte temporaire. "Sans carte il ne peut pas travailler, sans travail il n'a pas l'argent pour le payer."

Du reste la question obsède le prévenu, qui, condamné en tout à 14 mois de prison ferme, interroge encore le tribunal : "Et comment je vais faire pour récupérer ma carte ?"

On coupe la liaison vidéo. L'audience est levée.

 

Florence Saint-Arroman

 

*15 surveillants et leur chef, soit 16 hommes, assurent les transports des prisonniers pour les prisons de Dijon, Nevers, Chalon (Varennes), Auxerre et Joux-la-Ville. Ils s'occupent de tout ce qui est judiciaire. Les Assises, les comparutions immédiates, les JLD (juge des libertés), et toutes les convocations des juges d'instruction sont prioritaires, ce qui fait qu'il y a beaucoup de priorités. Si un détenu de Dijon est jugé à Narbonne, ils l'emmèneront. 16 hommes, c'est insuffisant, et les audiences des deux juridictions du département en sont perturbées, le quotidien des magistrats l'est aussi, de manière invisible pour le public mais prégnante. Cela ajoute du stress et dégrade les conditions de travail de tout le monde, et ça se répercute, en bout de course, sur les détenus, forcément.

On peut lire un article du monde ici : http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2017/01/03/transfert-des-detenus-autopsie-d-une-reforme-mal-menee_5056889_1653578.html