Journée Internationale des droits des femmes
Femmes à l'honneur [Portrait 2] - Laurence Faure
Publié le 08 Mars 2018 à 07h00
Partageant aujourd'hui sa vie entre Chalon-sur-Saône et Paris, Laurence Faure qui a créé son agence en 2008, a suivi un parcours atypique.
Laurence Faure débute ses études par la préparation du concours de l'École Normale Supérieure pour Saint-Cloud-Fontenay en Lettres Modernes. Après l'obtention d'une licence et d'une Maîtrise de Lettres sur les jeux de reflet et de transparence dans l'oeuvre proustienne, elle commence un DEA en littérature comparée en même temps que les Beaux-Arts. Après avoir enseigné quelques temps, elle décide de se consacrer entièrement aux arts et à l'architecture. Après 5 ans de formation à l'école Camondo à Paris, sous la houlette de différents architectes et designers, elle obtient un double diplôme en design produits d'environnement et en architecture intérieure, en 1993. Elle travaille ensuite pour différentes agences parisiennes, notamment chez Yann Brunel, pionnier de la démarche HQE et de l'ossature bois. Après s'être installée à son compte pour concevoir le projet de la médiathèque de Viry-Chatillon et travailler sur la rédaction d'articles pour différents magazines d'architecture, elle travaille ensuite à Lyon en tant que chef de projet en design et architecture intérieure pour différentes agences. Elle fonde, en association, sa première agence, Novi Loci, en 2000, puis fait cavalier seul pour fonder l'agence Laurence Faure, il y a 10 ans.
Que représente pour vous la journée internationale des droits des femmes ?
Je pense que cette journée est essentielle pour rappeler les discriminations encore trop présentes entre hommes et femmes. Les droits des femmes sont encore trop souvent bafoués : égalité des salaires, parité dans les postes à responsabilité, droit à l’avortement, droit de disposer de son corps à sa guise, d’épouser qui elles veulent... En France comme ailleurs, aucun de ces droits ne leur est encore définitivement acquis. Cette journée est importante pour rappeler également les avancées et les victoires!
Au cours de votre vie ou de votre carrière, avez-vous vécu ou avez-vous été témoin d'inégalités hommes/femmes ?
Bien sûr. Il faudrait malheureusement être aveugle pour n’en être pas témoin. Sans parler de violences physiques, il y a, même au sein du quotidien des familles, encore trop d’inégalités, ne serait-ce que dans les salaires et la répartition des tâches du foyer...
Depuis ces dernières années, les politiques tentent de prendre à bras le corps ce problème, la mise en place de la parité vous a-t-elle semblé être une bonne mesure ?
Oui, mais à mon sens pas encore assez effective. Beaucoup de progrès sont encore à espérer.
Pensez-vous que l'image et la place de la femme dans la société française aient évolué ?
OUI. Il faut tout de même reconnaître aussi les progressions : se rappeler ce qu’était la France de De Gaulle où les femmes ne pouvaient même pas avoir de compte en banque, ni le droit de choisir si elles souhaitaient être mère ou non ... Ce n’est pas si loin, c’est la France de nos mères!
Être une femme a-t-il déjà été pour vous un handicap ? Une force ?
En tant qu’architecte et maître d’oeuvre, je fais un métier considéré comme masculin. On le constate même dans la terminologie.. S’il y a de plus en plus de femmes en architecture et bien sûr dans la décoration - car tout ce qui a trait à la décoration a toujours été considéré comme féminin - il n’en reste pas moins que le monde du bâtiment est surtout masculin. Dès que vous gérez le gros oeuvre, les réseaux, la construction à proprement parler, vous avez des équipes essentiellement constituées d’hommes sur le terrain. Une fois leur confiance acquise, tout se passe très bien et je dois dire que la mixité que je crée de fait avec mes équipes est plutôt agréable à vivre. J’ai néanmoins toujours l’impression qu’à statut égal, on demande à une femme d’être plus compétente qu’un homme pour être crédible dans les métiers traditionnellement masculins.
Comment conciliez-vous vie professionnelle et vie personnelle ?
Ce fut très complexe au départ. Je travaillais en tant que salariée dans de grosses agences géographiquement éloignées de mon domicile et jusqu’à ce que mon fils ait 2 ans, je ne le voyais que le weekend. C’est un choix que j’ai fait pour continuer à exercer ce métier que j’aime. Ensuite, cela devenant invivable, j’ai créé ma propre agence et j’en suis très heureuse. J’ai cependant pu le faire grâce à mon conjoint. Je trouve qu’il n’y a pas assez d’aides pour les femmes qui veulent créer leur entreprise tout en gérant leurs enfants. L’année où je me suis installée, en 2001, l’aide aux femmes créatrices d’entreprise venait juste d’être supprimée. Je n’aurais peut être pas osé franchir le pas en étant seule.
Quelle est la phrase que vous aimeriez ne plus entendre ?
Une partie de mon métier consiste à travailler avec les matériaux, la couleur, choisir des luminaires et du mobilier en rapport avec le parti pris du projet. De l’extérieur, c’est ce que l’on perçoit de ce métier, rarement la gestion de l’entreprise, le respect des budgets et des délais, les soucis inhérents à la construction, le management psychologique des clients, qui en constituent les éléments les plus stressants. C’est la raison pour laquelle j’entends souvent: « tu t’amuses bien... », c’est vrai aussi, et ce n’est pas très grave, mais j’aimerais ne plus entendre cette phrase!
Quelle est votre devise ou votre philosophie ?
Je n’ai pas vraiment de devise, mais j’essaie de saisir de la vie la moindre parcelle de beauté, car , comme le disait Truffaut "la vie a beaucoup plus d’imagination que nous ".
Que défendez-vous et que voulez-vous transmettre ?
J’ai une fille et un garçon et je souhaite leur transmettre les mêmes valeurs : l’altruisme et le respect de l’autre, l’amour des arts et de la littérature et, ce qui est plus difficile, une confiance en eux et la joie de vivre!
Quel est le meilleur conseil que vous ayez reçu ? Le meilleur que vous ayez donné ?
Rêvons nos vies, vivons nos rêves...
Quelle est ou quelles sont les femmes qui vous ont le plus influencée ?
Charlotte Perriand, qui disait avoir toujours "l’oeil en éventail", Andrée Putmann, Carson Mc Cullers, Simone de Beauvoir et ma grand-mère.
De nombreuses actrices ont pris la parole ces derniers mois, qu'a suscité chez vous l'affaire Weinstein ?
J’ai apprécié l’intervention de Maïwen, qui a su rappeler à quel point l’on n’est pas « tous égaux dans la douleur ou la résilience et que l’on n’a pas la même capacité mentale ou physique de se remettre de ses traumatismes ». Chacune doit réagir comme elle le souhaite, sans être jugée.
Avant que le scandale n'explose médiatiquement, aviez-vous conscience de l'ampleur de ce problème de harcèlement sexuel ?
Je ne connais pas bien le milieu du cinéma en général et d’Hollywood en particulier, mais j’avoue avoir été consternée d’apprendre l’ampleur d’un tel phénomène.
Comprenez-vous que certaines femmes n'aient pas voulu s'exprimer sur le sujet, comme certaines victimes qui ne veulent pas porter plainte alors qu'elles subissent des violences conjugales ?
Bien sûr, c’est ce que je viens de dire, chaque femme doit pouvoir réagir comme elle le peut, comme elle le veut.
L'actrice Cate Blanchett a été désignée pour présider le jury du Festival de Cannes. De nombreux média ont commenté cette annonce en mettant en avant qu'elle avait été l'une des premières femmes à s'être élevée contre Weinstein. N'est-ce pas déroutant que l'on puisse penser qu'elle ait été choisie pour cette raison ?
Si, cela est évidemment révoltant. Cate Blanchett est une très grande actrice, récompensée pour son travail remarquable et non pour son action militante!
Qu'avez-vous pensé du #balancetonporc en France ou #MeToo lancé aux États-Unis ?
Je pense qu’en règle générale les réseaux sociaux ne devraient pas être l’instrument pour régler ses comptes : le fait que n’importe qui puisse « balancer » autrui n’importe comment, sans droit de réponse et sans contrôle, me fait peur. Il y a des cadres pour cela, qui s’appellent les lois et la justice. Malheureusement ces cadres sont beaucoup trop lents, trop lourds et pour beaucoup paraissent inaccessibles. Cette libération de la parole a permis de démontrer un vrai problème de société. Il conviendrait d’y répondre de toute urgence par des structures mieux adaptées, plus rapides, plus faciles d’accès et au moyen d’interlocuteurs mieux formés, avec un réel accompagnement psychologique après les dépôts de plainte.
... D'autres initiatives, comme le mouvement Time's Up (un fonds pour soutenir toutes les victimes de harcèlement sexuel) initié entre autres par Natalie Portman et Jessica Chastain ?
Je suis pour, bien sûr.
Chef, cheffe, auteur, auteure, autrice, madame le sénateur, madame la sénatrice... que pensez-vous de la féminisation de certaines professions et de l'écriture inclusive ?
Que certaines professions se féminisent est bien sûr une bonne chose. Dans mon métier par exemple, je côtoie de plus en plus de femmes peintres, plaquistes, maçonnes, et la mixité sur les chantiers favorise une atmosphère plus saine et plus joyeuse dans le travail. Quant à l’écriture inclusive, il y a eu au 17ème siècle une masculinisation délibérée du langage pour renforcer l’ordre masculin. Je ne suis pas contre le retour des noms féminins parfaitement justes et utilisés auparavant comme autrice, peintresse... Quant aux expressions comme madame la maire, il me semble que cela soit déjà parfaitement intégré, non?
Que pensez-vous des féministes ?
Je pense que c’est un mouvement nécessaire et j’admire certaines féministes comme Elisabeth Badinter. Comme elle, je ne suis néanmoins pas favorable à « une guerre des sexes ». Il ne doit pas s’agir de revanche des femmes contre les hommes ni de misandrie. Je n’ai pas d’animosité contre les hommes, je souhaite juste que l’on parvienne à mieux vivre ensemble. Certains messages féministes sont parfois maladroits à mon sens, dans la mesure où ils ne font que victimiser la femme à tout prix et provoquent des réactions qui vont justement dans le sens de ce qu’ils souhaitent dénoncer.
Homme/femme, un message pour un "mieux vivre ensemble" ?
L’égalité! L’égalité à tout prix.
Propos recueillis par SBR - Photo transmise par Laurence Faure
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