Saône et Loire économie

Pour Luc Guyau, « S’engager n’a jamais été facile »

Pour  Luc Guyau,  « S’engager n’a jamais été facile »

Grand témoin de la 72e assemblée générale de la FDSEA 71 qui se tiendra le vendredi 10 mars à Montchanin, salle Le Moderne, Luc Guyau témoignera sur plusieurs questions centrales pour notre société. Il aborde ici son parcours et sa vision de l’agriculture, de la place qu’elle occupe dans nos territoires. Il parle aussi de l’importance de l’engagement.

Ancien président du CNJA, de la FNSEA, de l’APCA, mais aussi du Conseil de la FAO, Luc Guyau est aujourd’hui agriculteur retraité. Il a été élu, lors des dernières élections municipales, maire de Thorigny, son village natal de Vendée et a été élu premier vice-président de la Communauté d’agglomération de La Roche-sur-Yon. Grand témoin, il abordera plusieurs questions centrales qui se posent à notre agriculture : la relation entre agriculture et alimentation, mais aussi la place de l’agriculture au sein des territoires et, bien entendu, la notion d’engagement.

 

On ne vous présente plus dans le secteur agricole, mais vous, comment vous présentez-vous ?

Luc Guyau : comme un paysan d’abord. Un paysan aux deux sens du terme : aujourd’hui à la retraite certes, mais j’ai été agriculteur pendant près de quarante ans ; et paysan aussi parce que je fais vivre le pays autour de moi, ma commune qui est située en zone péri-urbaine, son économie, sa vie sociale…

Mais aussi comme un homme engagé depuis mon plus jeune âge, mû par les notions de service des autres, d’animation.

Comment le paysan que vous êtes juge-t-il l’évolution de la place de l’agriculture dans notre société française et dans l’échiquier mondial ?

 en 30-40 ans, on a beaucoup changé au niveau national. Ainsi, si la présence physique et territoriale est quasiment restée la même dans nos territoires, le nombre d’agriculteurs a fortement diminué et nous avons assisté à un "mixage" dans le milieu rural. Les relations ont évolué en conséquence.

Je note aussi une présence moins importante des agriculteurs dans la vie publique, en partie due à la démographie de notre secteur. Pourtant, l’agriculture demeure un secteur fort important en matière d’économie, d’emplois… et cela dans la quasi-totalité des territoires.

Enfin, la relation avec les consommateurs a profondément évolué. Avant, on produisait et on se souciait moins de la destination. Désormais, le monde agricole ne peut plus se désintéresser des exigences en terme de qualité, d’environnement, de bien-être et de marché. La contractualisation répond à ce nouveau contexte, elle n’est pas la seule.

Quant au niveau mondial, j’ai eu la confirmation de ce que tout paysan sait par nature : il ne faut pas dissocier Agriculture et Alimentation !

C’est-à-dire ?

quand on est à la FAO, on réalise qu’à l’échelle mondiale nous sommes encore en pénurie de disponibilités et qu’il y a encore des efforts importants de production à faire, avec des variantes par région.

Le marché mondial certes existe, mais on consomme avant tout là où sont produits les biens alimentaires.

J’ai aussi réalisé à quel point l’Europe peut jouer un rôle essentiel d’équilibre pour éviter des déséquilibres locaux ailleurs tantôt dus à des problématiques politiques ou à des phénomènes climatologiques. L’Europe bénéficie d’un marché solvable de 500 millions de consommateurs, d’un climat modéré, d’une diversité de production… c’est un pôle de stabilité alimentaire qui doit à ce titre apporter un réel équilibre.

Quels sont les enjeux à venir pour notre profession, pour notre métier dans nos campagnes ?

 le principal est d’assurer un revenu aux agriculteurs pour des conditions de vie normale ! Dans notre société, l’alimentation n’a plus de prix, mais on ne regardera pas le prix d’achat du portable ou de tel ou tel autre bien de consommation lié aux loisirs.

Il faut donc remettre cette profession au cœur de l’équilibre économique. C’est là le vrai enjeu pour le métier et nos campagnes.

Pour autant, la profession doit faire ses propres efforts, notamment en matière d’installation en renouvelant la solidarité entre générations, en poursuivant encore les importants efforts déjà réalisés en lien avec les pouvoirs publics sur la question de l’environnement. Bref, en étant irréprochables et en poursuivant nos efforts.

L’agriculture a un rôle majeur dans l’équilibre économique et territorial de notre pays. Elle irrigue l’économie de nos campagnes, par ses industries agroalimentaires, ses fournisseurs…

Certes, les exigences de la société nous pèsent un peu sur le dos, je pense au bien-être animal, des attaques injustes médiatisées à l'extrême et qui montent en épingle des comportements isolés et condamnables nous mettant tous au banc des accusés. Malgré tout, il faut faire avec et continuer à bien faire notre travail et à communiquer. Nous n’avons pas le choix. Notre difficulté à les gérer est que tout cela vient vite, de manière très successive et qu’on n’a pas encore fini d’en régler un bout qu’un autre arrive…

À ce titre, les relations entre collectivités territoriales et organisations agricoles, vous qui êtes premier vice-président de votre com’com, comment les concevez-vous ?

elles sont majeures, stratégiques. J’ai succédé à la mairie à mon épouse, qui a été maire pendant treize ans. Si je suivais les affaires, je mesure désormais à quel point la responsabilité de maire oblige à agir, à décider.

À la communauté d’agglomération, j’ai en charge l’aspect économique, l’emploi, la robotique, le numérique et l’enseignement supérieur. Nous avons la chance d’être trois maires agriculteurs à la Com’com, dont deux sont vice-présidents, et plusieurs autres issus soit des OPA, soit de l’environnement proche de l’agriculture. C’est un atout.

Ainsi, de part mon poste de premier vice-président et de part mon expérience, je veille à ce que l’agriculture soit considérée, qu’on puisse travailler avec des projections à 5 ou 10 ans des possibles emprises destinées à la cinquantaine de zones d’activités économiques que compte la Com’com.

La fibre militante est moins présente aujourd’hui, ou en tous cas de manière très différente de ce qu’elle a été dans le passé…

être engagé n’a jamais été facile. En Agriculture, on le sait : la moindre erreur se paye cher aujourd’hui et peut même être fatale. J’ai rencontré mon épouse dans un mouvement de jeunesse, alors, chez nous, l’engagement se partage en couple. Et cela facilite les choses.

Comment concevoir l’engagement quand on n’a plus le temps, et sans doute pas assez de temps pour mener à bien ce que l’on doit faire et en premier lieu sur son exploitation et dans sa famille ?

 il ne faut jamais concevoir l’engagement seul, à titre individuel, mais toujours en groupe, dans le cadre d’équipes locales. Et j’insiste : il n’y a pas de petits engagements ! Il y a ce que chacun est prêt à faire pour le collectif. Au local, l’un s’occupe du Service de remplacement, l’autre est trésorier du syndicat, le troisième s’occupe de la lutte contre les nuisibles… Ce qui est important, c’est que chacun ait un peu à rendre compte aux autres.

Nos écoles et nos lycées ont à bosser un peu plus sur le collectif, mais je crois que nous ne sommes pas plus mal aujourd’hui qu’il y a dix ans. La notion d’engagement revient au goût du jour, et pas que dans l’agriculture.

À titre personnel, l’engagement est une ouverture sur les autres et je me refuse à concevoir un monde d’individus dont les relations ne seraient réglées que par les seuls juristes… L’engagement, c’est le lien, c’est l’échange, c’est la progression ensemble autour d’un même objectif.

Quel message entendez-vous faire passer à l’AG de la Fédé ?

mes messages sont simples :

„ rien ne se fera sans l’espérance. L’espérance, c’est l’essence même de notre métier d’agriculteur : on sème le blé dans l’espoir d’une récolte, on met la vache au taureau dans l’espoir d’un veau…

„ mais l’espérance, ça se prépare, ça se maîtrise. Pour semer, il faut bien travailler le sol. Et dans notre métier, cette préparation, c’est la formation des individus, c’est le travail en commun, en équipe.

Je veux aussi rappeler que les combats pour améliorer la situation de notre agriculture sont permanents. Il faut beaucoup d’efforts pour faire évoluer les choses ; il ne faut donc pas baisser les bras et renoncer.

Enfin, et c’est une évidence mais encore faut-il le rappeler : "seul on va plus vite, mais à plusieurs on va plus loin".

 

Une culture de responsabilités

Quelle image avez-vous de la Saône-et-Loire, de son agriculture ?

la Saône-et-Loire est un département qui a toujours eu du répondant dans ses responsables. Il y a des similitudes en cela entre la Vendée et votre département : une culture de la responsabilité assez partagée.

En matière agricole, l’image de la Saône-et-Loire, c’est celle de vastes et belles prairies, des espaces assez grands parsemés de magnifiques bovins blancs. Sans oublier son vignoble…

Nos deux départements ont sans doute eu des orientations philosophiques assez différentes. En Vendée, nous avons été habitués à nous battre et nous avions collectivement tous envie de reprendre notre place alors qu’il y a quarante ans personne ne savait situer notre département sur une carte de France. À mon sens, l’élevage traditionnel est resté un peu trop traditionnel en Saône-et-Loire, en vivant sur ses acquis et en n’allant pas suffisamment chercher de valeur ajoutée ailleurs.

 

Une agriculture engagée

Thorigny, 1.250 habitants, est une des treize communes de la communauté d’agglomération de La Roche-sur-Yon, laquelle compte 100.000 habitants. « C’est la commune la plus rurale de notre communauté de communes, mais même La Roche-sur-Yon qui fait 9.000 hectares est une commune agricole », souligne son maire qui fait remarquer que l’actuel maire de La Roche-sur-Yon et par ailleurs président de la Com’com, était vice-présidents du CDJA 85 quand Luc Guyau était le président de la FDSEA 85.

La commune de Thorigny compte 3.300 hectares, 24 exploitations pour 35 chefs d’exploitations et, se réjouit le maire, une forte dynamique en matière d’installation avec 7 jeunes installés au cours des cinq dernières années. Si les élevages bovin viande et lait dominent, Thorigny compte aussi deux élevages de porcs, plusieurs de canards et deux de lapins.

L'Exploitant Agricole de Saône et Loire