Faits divers
TRIBUNAL DE CHALON - " Ben oui, je finissais mon pétard…quand lui, il est arrivé".
Publié le 18 Mai 2020 à 20h54
Du cannabis qui s’ajoutait à de l’alcool fort. « Lui », c’est un jeune enseignant qui rentrait chez lui à Chalon-sur-Saône, le 17 mars dernier, jour 1 du confinement national. Il aperçoit une silhouette inconnue dans la partie commune où se trouvent des toilettes. Ça se termine par deux coups de couteaux dans son omoplate gauche. Pourquoi ?
Eh bien pour rien, si ce n’est que l’agresseur, vieux de 19 années seulement, se drogue depuis ses 11 ans, et avait pris l’habitude de boire, beaucoup, chaque jour. L’audience de comparution immédiate de ce lundi 18 mai ne nous dit pas comment il a été retrouvé et arrêté, la présidente Verger explique en revanche qu’il est en détention provisoire depuis le 20 mars dernier et que le tribunal avait ordonné une expertise psychiatrique, or l’expert confirme que le jeune homme souffre de schizophrénie paranoïde, ceci explique qu’il entendait également des voix.
« C’était des ricanements, et que je devais lui faire mal, aussi »
« Ouais, je les ai entendues, oui. Elles étaient là aussi. Ça n’a pas arrangé la situation. » Que lui disaient ces voix ? « C’était des ricanements, et que je devais lui faire mal, aussi. » Pourtant, il avait un traitement, et pourtant il affirme qu’il sait « les contenir » ces fichues voix. Un traitement, enfin… La présidente retrace l’enfance et la jeunesse du prévenu. Dans la famille « pauvre de lui », ce garçon mériterait une médaille. Pourquoi pas, ça se fait bien en ce moment.
Victime de violences, violent lui-même « dès la maternelle »
Tout petit, il est victime de violences de la part de son père, et il est victime également d’assister aux scènes de violences conjugales. Ses parents divorcent vers ses 3 ans. Il vit avec sa mère, mais il est placé de ses 8 à ses 10 ans. « J’étais violent, dès la maternelle, j’avais des problèmes de comportement. » Sa mère se remet en couple, et hop le beau-père est violent avec le garçonnet. Alors on le place à nouveau, de ses 12 à ses 16 ans. « Vous n’avez jamais vu de médecins psychiatre ? s’inquiète la présidente. – Non. On me punissait dans ma chambre, c’est tout. Ils s’en foutaient, en fait. » Il vivait à nouveau avec sa maman lorsque, début février dernier, il va planter une tente en bord de Saône et s’y installe.
Des addictions phénoménales et des voix
Pourquoi ? « Pour prendre mon indépendance. » … La garantie jeune et son petit revenu, c’était terminé. Il faisait la manche pour manger (d’où le couteau, dit-il, puisqu’il était à la rue). Avant cela il fut deux fois interné, fin 2019 et début 2020. La première fois à la demande de sa mère, la deuxième fois, d’office. Et c’est lors de cette deuxième fois qu’un médecin pose un diagnostic et lui prescrit un traitement lourd. Enfin !
Ça ne l’a pas empêché de passer à l’acte, mais pour l’expert c’est surtout lié à des addictions phénoménales, car quand les voix s’en mêlent il doit être plus difficile, parce qu’il est torché et shooté, de les dominer. L’expert conclut à l’altération du discernement, estime qu’il faut une injonction de soins, et « un suivi au long cours ».
« Une agression gratuite, fulgurante, inattendue »
« Elles ne me dérangent pas », répète le jeune homme à la présidente. Elles ne le dérangent pas… « Carences affectives, grandes addictions, schizophrénie paranoïde », voilà le travail. Le prévenu comparait en visio, du centre pénitentiaire, il ne voit pas la victime qui est présente, mais il entend son avocat. Maître Marceau plaide « une agression gratuite, fulgurante, inattendue. Deux coups de couteau à 15 cm de la carotide ont créé un syndrome de stress post traumatique. Monsieur souffre d’hypervigilance, il est méfiant, il développe des troubles consécutifs, et puis il n’a pas pu retourner vivre dans son studio dont il a payé le loyer quand même. » L’homme, jeune lui aussi, a eu 15 jours d’ITT. Doublement blessé, il s’était précipité dehors. La police l’a récupéré sur l’esplanade de l’espace des arts.
« Ah si, j’écoute ! Mais c’est juste que j’ai l’impression qu’il sort le violon, là »
Le prévenu semble trouver le temps un peu long, il baille, il gigote un peu, lutte contre la somnolence. La présidente le remarque et lui demande s’il peut rester attentif encore un moment, puisque c’est son procès. « Ah si, j’écoute ! Mais c’est juste que j’ai l’impression qu’il sort le violon, là. » Marie-Lucie Hooker, substitut du procureur, rappelle qu’en octobre, avant d’être hospitalisé, le prévenu a été condamné deux fois, dont l’une pour des violences. Elle requiert 16 mois de prison, dont 10 mois seraient assortis d’un sursis probatoire de 3 ans. Maître Jérôme Duquennoy pointe la difficulté pour son client de prendre conscience de la nécessité d’un traitement. Pendant le délibéré le prévenu, sagement posé sur une chaise, marmonne en comptant sur ses doigts, puis marmonne encore, les mains fermées l’une sur l’autre.
10 mois de prison ferme, puis 3 ans de suivi renforcé
Le tribunal le déclare coupable et le condamne à la peine de 20 mois de prison dont 10 mois sont assortis d’un sursis probatoire renforcé, pendant 3 ans. Obligation de soins, psychiatrique et en addicto ; interdiction de contact avec la victime, obligation d’indemniser, obligation d’intégrer le dispositif d’accompagnement individuel renforcé (AIR), interdiction de porter une arme.
La présidente reprend le tout, lui explique qu’à sa sortie de prison « vous serez suivi en milieu libre pendant 3 ans, vous serez accompagné pour le logement et le travail. – D’accord, dit-il. »
Florence Saint-Arroman
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