Chalon sur Saône
L’éthique et le bien commun ont été triturés par Axel Kahn
Publié le 11 Décembre 2013 à 22h06
Ayant déjà répondu favorablement à l’invitation de l’Université pour Tous de Bourgogne (U.T.B.) en 2003, le scientifique-médecin généticien-essayiste Axel Kahn a bissé. Sa seconde halte à Chalon, mardi soir en la salle Marcel Sembat, avait pour fers de lance l’éthique et le bien commun. Tous concepts développés et magnifiés par son brio du faire savoir.
« L’icône corruptrice : l’argent »
A contexte particulier, homme d’exception. Dans le programme des trente ans d’existence de l’U.T.B. figurait, cerclée de rouge, la venue d’un homme protéiforme qui a des choses carrées à révéler, liberté de parole aidant. Ses propos ont d’ailleurs pris du relief de par son dernier ouvrage en date (« L’homme, le libéralisme et le bien commun »), « dont le thème principal est plutôt économique, qui traite de la notion du bien commun et de la place qu’elle acquiert au fil des ans ». Quelle est sa définition de l’éthique ? «C’est la réflexion sur ce qu’est la vie bonne et les valeurs qui la fondent. Cette vie bonne est l’action correcte, on est confronté assez souvent à un choix. Il semblerait qu’il y ait une manière correcte et incorrecte d’agir, mais on ne le fait pas à pile ou face ». Pour imager le dilemme, le grand écart, le conférencier a pris pour exemple la fin de vie. « On connaît bien les deux démarches. L’une d’entre elles dit que la vie a une valeur en soi, qu’on ne peut la raturer d’un trait. D’un autre côté c’est l’évitement essentiel de la souffrance, et si la vie est un fardeau, il vaut mieux l’arrêter ». L’humaniste va plus avant dans sa pensée. » Quelle est la base de ces valeurs sur lesquelles on va se reposer ? C’est la morale, et son application dans l’action. La voie correcte que je vais privilégier a un rapport avec le bien et le mal. Nous sommes une société diverse, mais avons-nous des valeurs communes ? Est-ce qu’il existe, ou pas, des bases universelles de la morale ? L’immense majorité des philosophes ne se réclamant pas d’une religion diront que la morale est purement relative. Mon sentiment est qu’il existe bien des valeurs universelles qui forment la base de la morale ». Ici entre en scène la sacro-sainte altérité. » Il faut qu’il y ait une prédestination à échanger avec l’autre, là réside la base d’une morale universelle. Nous avons une aptitude fondamentale à penser l’existence de l’autre ». Lui qui revendique un agnosticisme parfait s’empare de l’économie. « C’est la science de l’échange des biens dans une société de pénurie ». Pourquoi de pénurie ? «Pour que l’échange soit indispensable il faut au moins qu’il y ait une pénurie relative. Mon souci de l’éthique m’amène à penser que l’échange des biens depuis la nuit des temps a une importance essentielle pour faire société ». En citant à plusieurs reprises Aristote, « le premier économiste du Monde connu », le sexagénaire a affirmé « qu’il n’y a nul divorce entre la pensée éthique et la pensée économique ». Sauf que… » mais la difficulté dans laquelle nous sommes confrontés, c’est qu’un divorce est apparu au fil de l’Histoire. Aristote oppose deux théories : l’économie sage et raisonnable, à l’économie perverse, profondément vicieuse, dont le but est d’accumuler de la monnaie et pas d’échanger les biens. Ca conduit les nations à leur dégradation morale et à leur perte ». La dichotomie perpétuelle entre l’humanisation et le rendement n’a de cesse de se manifester. « L’idéal d’une pauvreté absolue, Jésus a dit que seule la pauvreté permettait d’accéder au royaume de Dieu facilement, amène à créer les fondations de notre économie moderne. Elément fondamental du capitalisme, l’argent doit travailler ». Jusqu’à la Renaissance l’économie s’avérait éminemment théologique. Changement de décor ensuite, avec la laïcisation progressive de la société et de l’économie. « Les pères du libéralisme sont croyants. La société libérale se doit de faire régner les conditions de la paix, mais dans le strict respect des droits naturels, mais aussi avec l’exigence de la poursuite du bien commun ». En citant trois citations cultes du libéralisme, parmi lesquelles « Les vices privés font les vertus publiques », « laisser faire, laisser passer), Axel Kahn estime que « dans la société humaine il ne faut pas qu’il y ait de finalité à l’économie ». « Siècle de feu, de sang, de guerre », la fin du XXème siècle portera en elle les stigmates de difficultés stagnantes. « Cette révolution néo-conservatrice des années 80 (Ronald Reagan et Margaret Thatcher) va aboutir à la grave crise que l’on connaît. C’est un accident de parcours, une conséquence inéluctable de ce choix idéologique ». Il n’a pas brossé un tableau flatteur de l’économie. « L’économie n’a qu’un but : l’économie. Elle va dès lors être définie par tout ce qui va permettre d’accumuler de l’argent. Puisque l’économie abandonne sciemment la poursuite du bien commun, on en arrive à une réduction généralisée des valeurs. Nous sommes une société de consuméristes. On va vivre une société qui va créer une équivalence de toutes les valeurs avec la valeur numéraire, et l’on revient à ce qu’une grande partie des valeurs éthiques modernes sont liées à une réduction des valeurs ».
Des préconisations
Rester les bras croisés et attendre que ça se passe est l’antithèse de la marche à suivre indiquée par Axel Kahn, consécutivement à la question d’un auditeur. « Il ne faut pas se résoudre à l’inéluctable. Chacun de nous a tendance à être intimidé par la force des mécanismes, là où nous sommes. L’avenir en réalité n’est pas écrit. Osons vouloir écrire nous-mêmes notre avenir. Le Monde tel qu’il est depuis ces trente dernières années comprend une grande augmentation des inégalités, avec la généralisation des moyens d’information. C’est un des éléments qui entraînent la frustration, la violence. Chacun d’entre nous peut vraiment dire que ce n’est pas une Terre accueillante que nous léguerons à nos enfants et petits-enfants. C’est en voie de barbarisation. Ne faut-il pas changer le cours des choses ? Le retour en arrière est plus difficile que le saut dans l’ineptie dans laquelle nous sommes ».
Michel Poiriault
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