Cinéma
Salle comble pour Ida à Chalon..
Publié le 10 Mai 2014 à 09h44
Mais il reste des séances semaine prochaine.
La Bobine a présenté la nouvelle programmation qui court de mai à juillet, avec les temps forts de la saison comme la transmission en direct de la cérémonie d'ouverture à Cannes, la fête du cinéma avec 4 films art et essai, le partenariat avec les Musicaves de Givry.
Avant de prendre ses vœux définitifs, Anna, orpheline élevée au couvent, est envoyée par la Mère supérieure voir sa tante, Wanda, dont elle ignore tout. Elle apprend qui elle est : Ida, juive, et l’histoire de sa famille, par bribes. Toutes deux vont essayer de retrouver les traces de ce qui s’est passé dans la ferme où ont disparu ses parents. Un roadmovie, un chemin tout en intériorité, où la vie quotidienne surgit ici et là, où l’Histoire rejoint celles de chacun.
Pour une fois, ce n’est pas le film habituel, le cliché, de l’abandon des vœux d’une nana qui se serait trompée de voie et retournerait dans le monde qui serait la vraie vie, non, ici la vraie vie est autre que le monde ordinaire tout en étant relié à lui. Et le film évoque le chemin intérieur que chacun accomplit à sa manière dans les aléas de la vie.
Ci-dessous quelques sentiments sur le film, au fil du pinceau, tels qu'ils surgissent dans l'esprit...
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Ida cristallise les images et les chemins. Car il y a beaucoup de route dans ce film sans être véritablement un road movie sinon symbolique. Chaque personnage cherche son chemin, celui de sa conscience. Cela commence là où elles sont toutes deux, la tante et la novice, dans leur présent quotidien, avec cette improbable amitié qui se noue entre elles, chacune dans sa force, magnifiquement portée par les actrices Agata Kulesza dans le rôle de Wanda la tante, et Agata Trzebuchowska dans le rôle d’Anna/Ida la novice.
Wanda et Ida incarnent les deux versants de la Pologne, vodka et chapelet, idéologie communiste et foi catholique, héritage russe et ancrage européen. Deux voies qui s’opposent que ces deux personnes en quête. Wanda, dans une errance d’un trop plein de douleur et de connaissance des bas-fonds sordides de l’âme humaine par son métier de procureur. Ida, qui suit sa ligne droite en traversant les univers des autres. Il y a un 3e personnage, le musicien qu’elles rencontrent, vie de nomade de concert en concert, qui représente le monde ordinaire, le rêve d’une vie heureuse mais ordinaire (se marier, avoir des enfants…et des problèmes : comme tout le monde). Wanda, une Mater dolorosa, Ida la perle pure et audacieuse, le musicien le rêveur plus que l’ange noir. Chacun au-delà des limites.
Ce trio est une musique de la vie, celle du monde, qui unit, divise, réunit… Mais ce 3e personnage, c’est aussi les hommes en général, dans leur place de l’amant, cette place du désir, de l’amour, ou du non-amour qui a été jusqu’à la violence et la peur de la vengeance.
Et le paysage se déploie, filmé en noir et blanc, dans des blancs-gris plutôt que l’opposition radicale entre noir et blanc, qui aurait symbolisé la noirceur et la pureté de l’âme. Chacun possède les deux dimensions et cherche le pourquoi de son existence.
Tout le film parle du choix du chemin spirituel, accompli dans l’âme avant que d’être conscientisé à travers les expériences de la vie et du cœur humain. Anna, élevée dans un orphelinat, va prendre ses vœux définitifs mais y renonce au dernier moment : "je ne suis pas prête" dit-elle, en larmes. Elle doit être sûre, savoir pourquoi intuitivement elle a choisi de demeurer dans la voie spirituelle, et les personnages rencontrés tout le long de sa quête, tout le long du film, vont l’aider sans le savoir, ou malgré eux, à assumer cette certitude. Quand Wanda se suicide, Ida entre dans la peau de sa tante, se glisse dans sa manière de vivre, pour en goûter le sel et elle suit son opinion : elle vit l’amour avec le musicien durant un bref moment. Wanda disait : si tu ne connais pas le désir, tu ne peux avoir "un vrai renoncement". Wanda lui a transmis ce qu’elle savait de la famille, de l’histoire, des origines, mais Ida/Anna lui transmet autre chose.
Tout le film vogue sur ce ton touchant, juste, profond, poignant, pour ces personnages pris par la tourmente de l’Histoire. Comment réparer l’âme d’un pays hanté par le souvenir des atrocités ? Non pas en jugeant, mais en déterrant. Non pas pour voir, mais pour réparer le mal, défaire ce mal pour refaire les bons gestes. Pour pardonner. Pardonner à soi, à l’autre, à l’Histoire. A Dieu ?
Le quotidien, les gestes simples et quotidiens tiennent une grande place dans le film. C’est par eux que se font ces dénouements des douleurs et des secrets. Le paysan qui les a tués déterre les corps des parents d’Ida et du fils de Wanda. Il reste assis dans le trou, car déterrer les passés ne suffit pas à se relever. Ré-enterrer les trois crânes dans le cimetière familial remet en marche le fil de l’histoire, replace tout dans l’ordre des choses, la vie peut se faire.
Tout le film parle de silence, d’intériorité, de chemin. Le noir et blanc tait le bavardage, le superflu, la distraction pour toujours tout concentrer sur l’essentiel. Taire les mouvements du cœur, les passions extrêmes, c’est cela que transmet Ida à Wanda.
La caméra glisse de tableau en tableau, avec des ellipses suivies de plans fixes qui permettent au spectateur de reconstituer l’histoire. Parfois le son de la scène suivante entre dans la scène précédente avant l’apparition de l’image, parfois la caméra est à ras des personnages ou du cadre. L’espace et le gris-blanc donne un effet miroir et en même temps crée une profondeur plus vaste qui place les personnages dans une dimension qui les dépasse.
Les personnages sont dans l’attente permanente d’eux-mêmes, de leur vie, de l’autre. Ils montrent aussi à Ida ce qu’on attend d’une nonne : de bénir, d’inspirer, on attend d’elle la confiance, d’être garante de la parole et de la paix. Elle cristallise les regards, les projections de l’amour, de diverses formes d’amour.
Mais rien n’est dit ni appuyé, tout est suggestion, évocation, sur un rythme tranquille avec des colères intérieures, des révoltes, des refus… sans cris.
Rien n’est morale ni leçon ni enseignement et tout est enseignement, leçon et morale. Ce film trace comment l’expérience du monde est contemplation, comment la contemplation du monde se fait dans le retrait du couvent mais aussi au cœur du monde ordinaire, les deux étant fait de vie quotidienne aux gestes répétés.
Un mot, un regard suffisent à donner l’intensité du sentiment, du chemin vécu. Le vêtement de la novice est son gardien, les prières sont chemin de Poucet qui lui permet d’avancer et d’arriver au bord du chemin véritable : celui du renoncement.
La scène finale laisse peut-être une porte ouverte sur l’interprétation du choix qu’elle fera. Cependant le film semble apporter une autre réponse par les multiples sens apportés aux routes et chemins. D’abord Ida suit la route en bagnole avec sa tante, puis elle mène le chemin puisqu’elle veut savoir ce qui est advenu à ses parents, ensuite elle fait son chemin, son expérience en traversant les univers des autres, enfin elle va sur la route à pied, car on fait ses propres pas sur le chemin et le chemin est fait de cela, nos pas créent notre chemin.
Un film dense, riche, profond, tout en restant léger. Du grand art.
A voir bien sûr, mais on dira plutôt "à vivre", car ce film est plus que du cinéma, c’est une expérience de contemplation, tout en étant aussi une histoire, celle de deux polonaises dans leur pays, ce pays qui fut longtemps en sandwich entre Allemagne et Russie, et qui tente de réparer les plaies de son histoire …
Ida, de Pawlikowski.
Encore lundi 18h30 et mardi 17h45, au cinéma Axel à Chalon
S.B.
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