Cinéma

CINEMA A CHALON - Christoph Blocher passé au crible de la caméra de Jean-Stéphane Bron

CINEMA A CHALON - Christoph Blocher passé au crible de la caméra de Jean-Stéphane Bron

Jeudi soir dernier, La Bobine, association chalonnaise de cinéphiles, organisait au cinéma Axel la projection de L’Expérience Blocher [1], de Jean-Stéphane Bron, réalisateur suisse.

« J’ai essayé de faire un tableau, regardons-le ». Avec ce long métrage, il s’agissait de montrer Christoph Blocher dans son quotidien, dans ses rapports avec les citoyens suisses, dans ses déplacement et interventions politiques, plus particulièrement à l’occasion d’une campagne électorale. Cet homme d’affaire milliardaire, leader de l’UDC – Union Démocratique du Centre –, parti suisse d’extrême droite qui a réussi à empêcher l’entrée de la Suisse dans l’Espace Economique Européen et dont l’une des dernières victoires s’est réalisée dans la votation contre l’immigration massive, est un modèle pour Marine Le Pen.

Contrairement à Une partie de campagne [2] où Raymond Depardon filmait à l’époque Valéry Giscard D’Estaing durant sa campagne politique pour l’élection présidentielle de 1974, les personnages politiques aujourd’hui ne se contentent plus de se laisser filmer. Ils sont experts en communication, maîtrisent la moindre image, comme la moindre parole qu’ils veulent bien autoriser caméras ou magnétophones à capter d’eux. Christoph Blocher est un de ceux-là. Il a réussi à imposer ses idées grâce à cette maîtrise de l’image qu’il donne, en se montrant souriant et drôle, autant que faire se peut.

Ceci étant, comment faire le portrait de cet homme avec une caméra sans se faire berner ? Comment poser les bonnes questions pour le montrer tel qu’il est et non tel qu’il voudrait qu’on le perçoive ?

La Bobine, qui organise régulièrement la venue de réalisateurs ou d’acteurs à Chalon-sur-Saône, avait invité Jean-Stéphane Bron pour parler de son travail à l’issue de la projection de L’expérience Blocher. Celui-ci ayant répondu favorablement à l’invitation, une interview collective des spectateurs s’est spontanément organisée. Les questions posées ont notamment permis à Jean-Stéphane Bron de parler de ses doutes à réaliser le film, prégnants aux débuts du tournage. Elles lui ont également permis d’expliquer les difficultés qu’il a pu rencontrer dans la réalisation de ce portrait, ainsi que l’objectif de son travail.

La première question fut très vite posée, puis d’autres ont suivi en nombres, la situation suisse ayant un certain écho au-delà des frontières helvétiques.

 

  • Les Suisses ont-ils vu le film ?

Jean-Stéphane Bron (JSB) : Lors de sa sortie, il y a eu une polémique violente contre le film. Peu de personnes l’ont vu. Avec Blocher, il y a une relation amour-haine qui a empêché toute prise de distance critique. L’intérêt était de reprendre de la distance. Les journalistes attendaient que ce soit une mise à mort, or l’idée était de lui faire face, de faire face à ce système, à des idées.

  • Quel a été le regard de Blocher sur le film ?

JSB : Christoph Blocher a vu le film lors d’une projection confidentielle avec sa femme et son fils. Lui ne savait pas quoi penser du film et ils se disputaient entre eux sur le sens à lui donner. Lors d’une interview dans la presse, il a dit qu’il ne se reconnaissait pas dans le film.

  • L’utilisation de la voix off était-elle prévue dès le départ ?

JSB : Dès le premier mois j’ai dit à Blocher que je n’étais pas sûr de faire le film, il était surpris car il pensait faire une fleur. Et l’idée de la voiture (la caméra filme souvent Blocher dans sa voiture) n’a pas été acceptée dès le début car il ne voulait pas qu’on le voit attaché (en référence à l’image d’homme libre qu’il souhaite renvoyer). La voix off objective les choses, redit des dialogues qu’on ne voit pas, d’où son intérêt. La voix off crée de l’empathie et en même temps doit contester cette empathie. Elle cherche à mettre en difficulté le spectateur, à l’interroger. Elle ne doit pas répondre directement sur Blocher. La caméra est pour lui l’occasion de se mettre en avant. Quand je le mets en scène je suis plus proche de la réalité qu’en le laissant libre.

  • Quel est le rôle de sa femme ?

JSB : Son rôle est de le regarder. Blocher a besoin d’un regard, d’être rassuré, qu’on l’écoute. Elle est son premier rideau protecteur, après il y a sa voiture, sa maison, son château.

 

Au fil des questions, Jean-Stéphane Bron a pu livrer son ressenti sur Christoph Blocher : « Le film est un miroir tendu aux Suisses. Blocher semble inoffensif mais c’est un vampire qui a mordu sans que l’on s’en aperçoive. Ses idées sont aujourd’hui acceptées, il n’a plus besoin de se battre. » « Blocher a entraîné un pays dans sa folie. Il y a quelque chose de l’ordre d’une impasse, quelque chose de mortifère, qui réfère à une image passée de la Suisse. »

Les lecteurs d’Info-Chalon l’auront compris : L’Expérience Blocher est une expérience relativement unique, à voir dès la première occasion.

M.B.

[1] 2013. Durée : 1h40

Bande-annonce : http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19541911&cfilm=222820.html

 

[2] S’il fut réalisé en 1974 - sur commande de Valéry Giscard d’Estaing -, le film ne fut diffusé pour la première fois qu’au début de l’année 2002. Durée : 1 h 30

Bande-annonce :

http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=18669625&cfilm=41307.html