Cinéma

CINEMA A CHALON - Laissez vous conter l'histoire de la princesse Kaguya

CINEMA A CHALON - Laissez vous conter l'histoire de la princesse Kaguya

Associé et rival de Hayao Miyazaki – Le vent se lève [1] –, le vétéran des mythiques studios Ghilbi, Isao Takahata s’attaque à un classique de la tradition orale nippone : « Le conte du coupeur de bambous », écrit au Xème siècle, celui du Japon féodal, par une courtisane impériale (Murasaki Shikibu). Le sentiment d’Info-Chalon sur ce film d’animation, en ce moment à l’Axel.

A l’heure où sont produits de façon presque industrielle des films « inspirés de faits réels », saturés d’images à la précision quasi chirurgicale… A l’heure où la télévision se nourrit d’une « réalité » dont elle entend gaver les accrocs du petit écran…Bref, à l’heure du réalisme à tout crin, y a-t-il encore quelque place en ce bas monde pour ces « récits d’aventures imaginaires destinés à distraire » [2] que sont les contes ? Se trouve-t-il encore quelqu’un qui, à l’instar de Bruno Bettelheim, oserait affirmer que les contes « ont infiniment plus de choses à nous apprendre sur les problèmes intérieurs de l’être humain et sur leurs solutions, dans toutes les sociétés, que n’importe quel autre type d’histoires à la portée de l’entendement de l’enfant » [3] ? Si répondre par l’affirmative est délicat, une chose semble relativement sûre : il existe manifestement un homme enclin à penser que, « à force d’avoir été répétés pendant des siècles », de s’être affinés et chargés de significations aussi bien apparentes que cachés [3], des contes comme celui « du coupeur de bambous », que « tous les enfants japonais et leur parents connaissent » [4] méritent d’être remis au goût du jour.

Cet homme, de qui s’agit-il ? De l’un des plus talentueux cinéastes japonais : l’octogénaire Isao Takahata, auteur très remarqué du Tombeau des lucioles et de Mes voisins les Yamada. Et qui, avec son dernier film d’animation, Le conte de la princesse Kaguya [5], s’apprête à finir en beauté une carrière de réalisateur pour le moins hors du commun.

De cette histoire d’un paysan découvrant un bébé à l’intérieur d’une tige de bambou, que sa femme et lui décident de recueillir et élever comme si c’était leur enfant, avant de se mettre en tête d’en faire une princesse, Takahata aurait très bien pu tirer un « simple » dessin animé, allant « dans le sens de l’animation actuelle (toujours plus de détails et de véracité » [4]. Il a au contraire choisi de lui donner une forme pour le moins stupéfiante, à mi-chemin entre l’aquarelle et le graphisme du très poétique Ernest et Célestine [6].

Un choix judicieux ? Parlons net : le caractère d’estampe animée de ce film – sa forme - donne une incroyable vigueur au fond de ce conte encourageant le jeune enfant à résister aux injonctions de son entourage (famille ou milieu social), surtout lorsque celui-ci est prompt - « pour son bien » - à le rendre étranger à lui-même, par exemple en tentant d’en faire contre toute raison une princesse, c'est-à-dire, en l’espèce, une caricature de femme ayant pour vocation d’assouvir les désirs des hommes de la haute noblesse japonaise. En tout cas, qu’il s’agisse de tracés d’esquisse irréguliers et crayonnés ou des gros traits apparents utilisés lors de la course effrénée de la princesse pour rejoindre la forêt de son enfance – un passage d’une intensité émotionnelle rare -, les choix formels de Takahata servent prodigieusement l’ode à la libération de soi que constitue son magnifique film.

Un film qu’il faut voir et qu’il faudrait surtout faire voir à celles qui seront les femmes de demain : les petites filles d’aujourd’hui. Pour leur donner dès leur plus jeune âge une envie pour le moins vitale et essentielle : devenir elles-mêmes, pour elles-mêmes.

 

S.P.A.B.

[1] Lire l’article d’Info-Chalon :

http://www.info-chalon.com/articles/cinema/2014/02/01/4565-un-drole-de-vent-souffle-a-l-axel.html

[2]  Dictionnaire Le Robert.

[3] Bruno BETTELHEIM, Psychanalyse des contes de fées, Pocket, (1976) 2013, pp 16-17

[4] Stéphane JARNO, Télérama n°3363, 25.06.2014, p 59

[5] 2014. Durée : 2 h 17.

Bande-annonce : http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19545291&cfilm=173271.html

[6] 2013, de Benjamin Renner, Vincent Patar et Stéphane Aubier. Durée : 1 h 17

Bande-annonce : http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19409528&cfilm=202924.html