Chalon sur Saône

Liberté de la presse piétinée, le Congolais Jean se reconstruit posément en France

Liberté de la presse piétinée, le Congolais Jean se reconstruit posément en France

Dijon, Chevigny-Saint-Sauveur, Chalon-sur-Saône, associé au C.L.E.M.I Dijon (Centre de Liaison de l’Enseignement et des Médias d’Information.), le ressortissant de la République démocratique du Congo se prénommant Jean, aura cette semaine inlassablement répété à des cohortes d’élèves ce en quoi se singularise son pays, et pourquoi il a dû se sortir d’un mauvais pas en cherchant refuge en France à partir de 2012. Nous l’avons suivi au cours de l’une de ses pérégrinations au lycée Niépce de Chalon, où il a désépaissi les tenants et les aboutissants du contexte géopolitique à deux groupes d’élèves de 1èreS, lesquels bûchent sur le thème « médias et politique ».

Toute vérité n’est pas bonne à révéler

Selon Dominique Gay, responsable académique du C.L.E.M.I., ce type de rencontre est de « montrer que la liberté de la presse n’est pas universelle, bafouée dans beaucoup de pays et continents. Le but, c’est également de faire parler de l’Afrique dans sa diversité, et parler de choses concrètes, ça explique. »

 

La gouvernance et la politique à la base de la décadence et de la cacophonie

Journaliste de la République démocratique du Congo, Jean voue quasiment un culte à la France : « Elle a été pour moi la première opportunité, et il y a la question de la facilité de la langue, officielle dans mon pays, même s’il y a quatre langues nationales. Elle m’a donné les moyens de la liberté d’expression et des droits de l’homme, m’a ouvert les portes. Actuellement je suis en attente du statut de réfugié politique, ma seule chance c’est de parler de la liberté d’expression, c’est ce qui me motive. » Ce n’est pas une expatriation ferme et définitive, simplement une solution transitoire (à quelle échéance ?) dans la perspective de jours meilleurs. « Je voudrai retourner au Congo, mais il faut que le pays change. » Son exutoire, c’est de témoigner, d’informer sur ce que sa conscience professionnelle lui dicte.

En 1906 on évoquait le Congo belge, puis en 1960 ce fut l’accès à l’indépendance. « Les autorités n’avaient aucune compétence pour gérer un immense pays (grand comme 4 fois la France, 80 la Belgique). De 1960 à 1965 elles ont été dépassées par les événements, d’où de nombreuses crises politiques. En 1965 le président Mobutu a instauré la dictature, la pays va alors sombrer dans le chaos. Durant son règne il va laisser son pays dans une situation calamiteuse. En 1990 la démocratie apparaît. Et en 1991 Mobutu est chassé par Kabila. Lui aussi orchestre les assassinats, tue les opposants, il sera finalement assassiné en 2001. C’est son fils Kabila junior qui lui succédera (élu en 2006, réélu en 2011), mais la politique reste la même. Quinze journalistes seront assassinés, ainsi qu’un militant des droits de l’homme. Il n’y a pas eu de procès car les gens au pouvoir bloquent la justice. Kabila junior peut rester au pouvoir en modifiant la Constitution. Ca créé l’instabilité, la peur. Depuis 1998 la partie est connaît beaucoup de guerres économiques, les multinationales les soutiennent. On oblige la population à partir, et les multinationales volent les richesses. C’est le paradoxe congolais : les richesses ne profitant pas à la population, mais aux gouvernants, chefs, autorités. Il y a beaucoup de disparités, et si le pays n’avance pas, c’est à cause de la mauvaise gouvernance, de la mauvaise politique. »

 

De mauvais traitements endurés d’une manière totalement arbitraire

Les soucis de Jean sont allés de pair avec le quotidien d’informations générales « Le Journal » monté de toutes pièces en 2004, à leur corps défendant. « On n’était ni de  droite, ni de gauche », a-t-il tenu à affirmer. Un an plus tard le canard sera victime d’ennuis. « Depuis plusieurs années les enseignants étaient mal payés, pour ne pas dire sous-payés. A un certain moment, ils se sont dit « non ». On forme l’élite, mais on a besoin de changement. Ils étaient prêts à faire la grève. L’info est parvenue à la rédaction. Résultat : six mois d’interdiction de parution, et son directeur condamné à neuf mois de prison ferme. Après, « Le Journal » est presque mort, tous les journalistes désertent la direction. » En 2007, Jean, enseignant, intègre la rédaction comme collaborateur externe. En 2008, il est membre de la rédaction, devient rédacteur-adjoint en 2009. Il est tombé sur une info de taille : « Les génocidaires du Rwanda s’installent à l’est du Congo avec une arme à feu, des tas de personnes ont été tuées, des militaires congolais ont participé aussi pour les viols. Le même jour le ministre de la communication interdit « Le Journal » de parution. Le but n’était pas de discréditer les militaires. En avril 2010 le directeur de la publication est convoqué, arrêté et transféré à la prison centrale. » Jean a alors pris ses cliques et ses claques, craignant que ça ne lui retombe dessus. En juin il change de région où il éprouve une grande déception, ses compatriotes vivant comme des primitifs : « Comme si on était dans un siècle reculé », devait-il déplorer. Dans la province équatoriale il rencontre un groupe de 50 manifestants armés de fusils de chasse et de flèches ! Il a mené son enquête sur ce qu’il s’y passait, ainsi qu’au sein de l’armée régulière. Une fois retourné à Kinshasa, il n’a pu prendre le risque de déstabiliser son journal. Jean a voulu trouver des O.N.G., il a eu affaire à l’Agence Nationale des Renseignements, laquelle fonctionne très bien. Ces personnes ont fouillé la maison de l’ami qui l’hébergeait, ont découvert l’ordinateur portable, le dictaphone, les carnets d’entretien. Elles l’ont accusé de rebelle, lui a opposé sa fonction de journaliste. Dans son malheur, figurait dans les enregistrements de Jean le cri du cœur d’une dame insultant à mort le Président, car son fils avait été tué. Jean est alors emmené au commissariat de police où il reste 24 heures, accusé de détenir des documents contre l’Etat. « Ils m’ont ligoté, bandé les yeux, je me suis retrouvé dans un lieu inconnu de détention réservé aux gens soupçonnés de connivence avec les rebelles. J’étais dans une petite cellule, ils m’ont donné 15 coups de fouet. C’était très sale, j’y faisais mes besoins naturels, l’éclairage était juste un petit trou qui permettait aussi de faire entrer l’air. Chaque jour, en guise de toilette, on me jetait un seau d’eau dessus. Je mangeais de la sardine et du pain. Avec ces conditions sanitaires déplorables j’ai contracté la typhoïde, c’était difficile comme situation. Dans les fleuves les poissons mangent les cadavres…Un jour j’ai pu grâce à la complicité d’un geôlier plus proche de moi monter dans le coffre de sa voiture, et je me suis retrouvé à l’université de Kinshasa, j’y ai retrouvé des parents. Je ne pouvais pas rentrer chez ms parents. Je suis allé chez mon oncle, j’ai suivi des traitements contre la typhoïde. »

 

Petit à petit il recouvre sa propre souveraineté

Acculé, Jean n’avait d’autre alternative que de s’éclipser sans autre forme de procès. « Par crainte des représailles je suis parti en France par avion avec un passeport d’emprunt et des faux documents. Je suis allé voir France terre d’asile, j’ai couché dehors, mendié. Dans un cybercafé je suis entré en contact avec l’association « La Maison des journaliste » située à Paris, qui traite des cas assez pertinents. Ma demande a été acceptée, je vais être logé pendant six mois. Ca m’a permis de vivre, de me reconstituer. Ensuite, je suis allé dans un centre d’accueil pour les demandeurs d’asile. Actuellement je vis à Metz dans un foyer d’accueil. » Jean n’a pas abandonné par la pensée ses proches, sa famille, toujours en danger au Congo. Dans l’immédiat il souhaiterait entreprendre ici une formation en journalisme. Et peut-être qu’un projet qui le touche de près, sa biographie, deviendra tangible, à plus ou moins long terme…

                                                                                            Michel Poiriault