Faits divers
Assises / Meurtre d’Arnaud Philibert à Autun en 2012 - "Aucune explication rationelle"
Publié le 17 Octobre 2014 à 07h16
La deuxième journée du procès d’assises d’Emmanuel Menarello et de Patrice Hardy pour « meurtre sur personne vulnérable » a été majoritairement consacrée aux personnalités de la victime, Arnaud Philibert et des co-accusés. On en tire une approche plus subtile des acteurs, même si le pourquoi de ce déchaînement de violence gratuite contre le jeune handicapé autunois restera toujours sans réponse.
Comprendre. Comprendre pourquoi deux jeunes gens de 18 et 20 ans à l’époque des faits, ont roué de coups un homme de 33 ans, légèrement handicapé mental dans un appartement du centre-ville d’Autun, la nuit du 30 au 31 décembre 2012. Ceux qui ont donné les coups n’arrivent pas à l’expliquer. Sinon que leur consommation excessive d’alcool, agrémentée pendant la journée de quelques joints a créé une ambiance délétère, dans ce huis-clos à trois propice à la violence. A l’issue de cette avant-dernière journée, la possible détestation des homosexuels par l’un ou l’autre des co-accusés apparaît plus comme un élément glauque du décor de cette nuit tragique que comme un déclic fondamental pour la haine.
La matinée a été marquée par le témoignage de la maman de la victime. Emue aux larmes une fois à la barre, elle a toutefois répondu aux questions du président Brugère. « Il ne méritait pas la mort qu’il a eue, dit-elle. C’est inadmissible. » Arnaud était son sixième et dernier enfant (il avait un frère jumeau, présent au procès). Elle évoque la marche blanche d’hommage qui a rassemblé des centaines de personnes à Autun au lendemain du drame. Elle souligne la gentillesse excessive et la naïveté d’Arnaud, qui recevait trop de monde chez lui, avait été victime de vols lors de soirées. Elle évoque peu l’homosexualité de son fils car « elle n’y croit pas ». Rappelle qu’il est papa d’un enfant de douze ans, [dont la garde a été retirée à la mère]. Arnaud avait choisi de vivre seul, en appartement. Il a toujours refusé d’avoir un tuteur pour gérer ses comptes. Au CAT, collègues et cadres le décrivent « gentil, bon camarade, travailleur, très calme » mais avaient noté, comme certains membres de sa famille une dépendance inquiétante à l’alcool. Il devait passer le réveillon du 31 décembre 2012 avec son père. Sa cousine, qui intéressait fortement Emmanuel Menarello, travaillait aussi au CAT, était très proche d’Arnaud. Dans un témoignage lu par le président Antoine Brugère, elle dit avoir refusé de venir ce 30 décembre chez Meranello car elle travaillait tôt le lendemain matin.
L’expert psychiatre qui s’est entretenu avec les deux co-accusés n’a, ni chez l’un, ni chez l’autre diagnostiqué de problème psychologique grave. Pas de psychopathie, ni de perversité. Il a noté du regret, de la honte et de la culpabilité chez Emmanuel Menarello face à son acte. Evoque un problème narcissique (il n’a pas été soutenu et encouragé comme il le voulait pendant son enfance, notamment par son père) chez Emmanuel, une névrose et un complexe lié à son poids chez Patrice. Des banalités.
Hardy et Menarello n’ont jamais, au cours des entretiens, reporté la faute sur la victime, comme cela arrive chez beaucoup de meurtriers qui nient leur responsabilité. Rien de tel ici. « C’est un enchaînement de violence sans que cela ait été prévu, pensé, ajoute le Dr Gérald Alloy. Il n’y a aucune explication rationnelle. Beaucoup de passages à l’acte n’ont aucune explication rationnelle en psychiatrie. Le fait que la victime fasse tomber son verre par terre a été ressenti comme une provocation ». Et l’expert précise que la consommation excessive d’alcool comme celle de cannabis multiplie par dix la possibilité de devenir violent. L’avocat de la partie civile, Me Bibart interroge l’expert sur l’éventualité d’une récidive. Le Dr Alloy n’en est pas certain. Les deux accusés ont pris conscience de la gravité de leur acte mais, comme a dit Emmanuel Meranello « ne peuvent pas effacer ce qu’ils ont fait ».
Patrice Hardy, qui s’est rendu chez la victime avec les policiers, a entrevu alors une photo d’Arnaud avec son fils et a dit au médecin : « on a aussi détruit la vie de ce petit garçon ».
Les mères des accusés sont intervenues chacune à leur tour. Celle de Patrice Hardy l’a décrit comme « un gros nounours ». La mère d’Emmanuel Menarello a été plus volubile. Elle avait noté que depuis la perte de son dernier emploi à Autun, Emmanuel semblait « triste », « éteint ». Il ne s’était pas inscrit à Pole Emploi, avait baissé les bras. Les deux mères n’ont pas cru à la culpabilité de leurs fils à la révélation des faits. En prison, Menarello a confié à sa mère que « quand il tapait Arnaud, c’était une colère noire qui venait de loin, comme s’il tapait sur lui-même. [Il n’a] pas pu {s’] arrêter »
D’autres témoins, comme André, un ami des parents Menarello, a reconnu à la barre, en répondant aux questions de Me Varlet, le défenseur d’Emmanuel, être homosexuel. Il a insisté sur la gentillesse du gamin qu’il a vu grandir. Il ne l’a jamais entendu tenir de propos homophobes. « Il savait parfaitement que j’étais homo ». Me Bibart, pour la partie civile a aussitôt réagi : « Mais alors, Monsieur, si je vous appelle, « André le pédé, André la tafiole », [ NDLR : comme Emmanuel parlait de la victime à certaines personnes à Autun] ça vous choque ?
- Oui, ça me dérange. Mais hélas, c’est assez répandu, a répondu le témoin. Dans la société, on emploie souvent ces mots-là, c’est pas forcément par méchanceté ».
Le président a ensuite interrogé à nouveau les accusés afin d’établir précisément la chronologie du déchaînement de violence. La première gifle aurait été donnée vers 0 h 10 et la scène de violence aurait duré environ une trentaine de minutes. Tous les deux sont susceptibles d’avoir donné le coup fatal à l’abdomen, qui a entraîné la rupture brutale du mésentère et le décès rapide d’Arnaud Philibert. Chacun rejette la possibilité du coup fatal sur l’autre. Les questions très précises du président ou de l’avocate générale n’ont pas permis d’en savoir plus.
« Je veux demander pardon à la famille de la victime même si je sais que c’est impardonnable » a lancé Emmanuel Menarello. J’peux pas revenir en arrière ». La mère d’Arnaud Philibert, qui n’a pu s’empêcher de pousser un cri dans le prétoire en entendant à cette déclaration, n’était pas en mesure, hier, de pardonner. « Mon fils n’est plus là, lui » disait-elle en descendant tristement les marches du palais de justice.
Florence Genestier
Le procès se termine ce vendredi. Deux experts restent à écouter. Suivront ensuite la plaidoirie de la partie civile, le réquisitoire du parquet et les plaidoiries de la défense.
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