Faits divers
15 et 10 ans requis dans le meurtre d'Arnaud Philibert à Autun
Publié le 17 Octobre 2014 à 14h49
Le verdict est tombé après plus de deux heures trente de débat, vendredi vers 18 h 15. Le jury a suivi les réquisitions de l'avocate générale. Emmanuel Monarello a été condamné à quinze ans de prison et l'intention de donner la mort à Arnaud Philibert a été retenue. En revanche, les jurés n'ont pas retenu la volonté homicide pour condamner Patrice Hardy à dix ans de réclusion. Cette troisième et dernière journée du procès d’Emmanuel Menarello et de Patrice Hardy au tribunal de Mâcon, pour « meurtre sur personne vulnérable », commis à Autun dans la nuit du 30 au 31 décembre 2012 sur Arnaud Philibert a commencé vendredi matin par les rapports des experts psychologues.
Emmanuel Menarello, 22 ans et Patrice Hardy , 20 ans ne sont ni psychopathes, ni schizophrènes, ni malades mentaux. Les experts psychiatre et psychologues sont formels. Ces deux jeunes gens, qui ont commis l’irréparable en rouant de coups Arnaud Philibert un handicapé mental de 33 ans voilà presque deux ans, dans un appartement d’Autun sont désespérément normaux. Ils ont tendance à boire comme des trous, en mélangeant les alcools forts, et en fumant quelques joints mais ne sont pas les seuls dans ce cas, en Saône-et-Loire ou ailleurs. Ils ont «leurs failles, leurs défauts » comme tout le monde. Mais ils ont tué. Une triste banalité, alcoolisée, du mal.
La psychologue qui a examiné Patrice Hardy, en 2013, dit de lui que c’est « un jeune homme immature » (20 ans aujourd’hui, 18 au moment des faits), assez passif et déjà dépendant de l’alcool, ce dont il n’est pas conscient. Il aurait un ancien fond dépressif. A l’école, au collège et lycée, son embonpoint a fait de lui le souffre-douleur de ses camarades de classe. Il a de bons rapports avec ses parents et ses sœurs. La psychologue émet l’hypothèse que la présence de quelqu’un de faible comme Arnaud Philibert, dont il se moquait avec Menarello a fait ressurgir l’agressivité accumulée pendant des années sous les brimades. C’est une hypothèse. « Cela a fait ressurgir son passé et sa colère est ressortie, d’autant plus qu’elle était en phase avec celle d’Emmanuel Menarello. Arnaud Philibert lui a soudain rappelé ce qu’il avait subi dans le passé » . Patrice Hardy a du mal à s’affirmer. « Il n‘a jamais eu de relation sexuelle, ça le travaillait, il était mal à l’aise avec des filles. « C’est possible qu’il se soit senti dérangé par l’homosexualité de la victime » poursuit l’experte.
Le second psychologue, en charge d’Emmanuel Menarello a détaillé également son rapport à la cour. Il a dit que le jeune homme a été très marqué par les deuils familiaux, de son petit frère, d’une tante ou d’un grand-père. Il décrit un père absent, présent physiquement mais jamais pour Emmanuel qui est du coup, en quête perpétuelle de reconnaissance de sa part. Une quête maladive de reconnaissance, en fait, profonde : « il veut se faire exister ». Il adopte la tenue vestimentaire du rappeur Booba, cherche des références ailleurs à Autun. « Son père lui a toujours répété qu’il finirait mal, ou en prison ou mort. Il ne l’a jamais encouragé » a dit jeudi sa mère. Pour le psychologue, qui répète qu’Emmanuel s’est mis à boire à 14 ans, « il noyait sa dépression dans l’alcool ». Pour la soirée fatale l’expert a insisté sur la période très particulière des fêtes de fin d’année, une époque difficile en cas de difficultés ou deuils familiaux. « La colère est profondément inscrite en lui ». Que représentait Arnaud Philibert pour Emmanuel Menarello ? demande le président. « Le faible. Ou la personne qui comme son père en ne trinquant pas ou en renversant son verre semble se moquer de lui ». Menarello serait très perméable aux ambiances. Il a pour l’expert, des traits schizoïdes (1) et serait un peu borderline. « La faiblesse de la victime le renvoie à sa propre faiblesse. Peut-être que l’homosexualité de la victime l’a renvoyé à sa propre difficulté de devenir un homme ». C’est l’irrationnel qui l’a emporté ce soir du 30 décembre 2012. « Quand il boit, il peut boire 6 litres de whisky en une soirée rappelle l’expert ».
(1) Manque d'intérêt pour les relations sociales.
"C'est un massacre"
Dans sa plaidoirie, Me Arnaud Bibard, qui représente la partie civile a précisé « que les jurés étaient là pour juger le pire des crimes. Ces deux-là ont ôté la vie d’Arnaud Phlibert parce qu’il leur a fait l’affront de ne pas trinquer, l’audace de renverser un verre. Et par-dessus tout, il était homosexuel. Ils l’ont privé du droit de vivre, pendant encore, quarante ans. C’est fini. Là, il reste des photos, des souvenirs ». Il a salué le courage et la dignité de la famille Philibert, qui pour la première fois, se retrouve face à Hardy et Menarello. « Ces deux-là ont commis un crime d’une violence, d’une lâcheté et d’une férocité sans nom. Vous n’avez laissé aucune chance de s’en sortir à la victime. » Il rappelle que les deux acolytes ont invité la victime pour l’humilier. « Vous êtes deux contre un. Deux costauds ! C’est un massacre ! Une expédition punitive. On le trimballe comme un meuble. On nettoie son sang. On retourne boire. On finit le travail. On veut finir le travail jusqu’à vouloir aller chercher une pelle ! Hier , M. Menarello a dit qu’il avait la trouille des conséquences de ses actes. Mais la famile Menarello n’a plus la trouille. Elle a simplement mal. » Il aurait espéré que plutôt que de se rejeter la faute du coup de pied fatal à la victime, l’un des deux assume.
L’avocate générale , Mme Saenz-Cobo enfonce le clou. « S’il n’y a pas de volonté homicide, une telle violence suppose qu’ils sont fous. Or, on nous assure qu’ils ne le sont pas. » Pour elle, c’est Emmanuel Minarello qui a asséné le coup fatal au ventre qui a tué en quelques minutes Arnaud Philibert. Il a reconnu en garde à vue et à la première audition avoir donné des coups au ventre et « à la sangle abdominale ». Après, l’accusé est moins précis. Rappelle aussi que le médecin légiste a lors de la reconstitution déclaré que la version de Patrice Hardy correspondait mieux aux coups reçus par la victime. D’autre part « l’intention d’homicide est là. Il a proféré à plusieurs reprises des propos sans ambiguïté. Quand on dit : « j’ai pas envie de finir au ch’tard. Il faut le finir. Arnaud est une balance ». L’important n’est pas de sauver Arnaud. C’était que lui, Emmanuel Menarello s’en sorte ». Elle souligne qu’il n’y avait « ni meneur ni suiveur » dans cette affaire. Ils sont dans une « conjonction de fureur et de violence ». M. Hardy, en jetant à terre la victime, est à l’origine du déchaînement de violence. « C’est une co-action sur la scène de crime. C’est un entraînement. D’autre part, quand M. Menarello commence à réaliser la gravité de ses actes, M. Hardy minimise » M. Hardy n’a pas du tout envie que les secours soient-là ». Et de souligner qu’Arnaud Philibert est mort sans qu’après deux ans et trois jours de procès, on ait un mobile ou on ne comprenne pourquoi. Elle parle du syndrome de bouc-émissaire. Rappelle que « l’alcool et la drogue désinhibe et libèrent la violence que les gens portent. Ils ne la créent pas. Ce ne sont pas des monstres mais leurs actes sont monstrueux et irréparables ». Elle requiert, quinze ans de réclusion pour Emmanuel Menarello et dix pour Patrice Hardy. « Il ne faut pas rajouter du gâchis au gâchis ».
Les plaidoiries de la défense
Me Benoit Diry défend Patrice Hardy. Thème de sa plaidoirie ? La solitude. « Ils étaient trois ce soir-là mais étaient-ils ensemble ? » interroge-t-il. « Chacun était dans sa bulle ». Patrice Hardy a toute sa vie "été défini par son physique. C’est le petit gros, il a peur de tout. Quand on a une consommation pareille d’alcool, c’est qu’on veut mettre un voile entre soi et le monde. » Il parle d’alchimie extrêmement négative entre ces trois-là, dans une soirée qui ne respire « ni la joie, ni la fête » avant le drame.
Il réfute l’expression « d’expédition punitive » employée par l’avocate générale et la partie civile. Défend son client de toute homophobie: « Il a dix-huit ans au moment des faits. Il a toujours vécu dans des petites communes rurales, a peu de connaissances. Il a la réaction qu’on a quand on a son niveau intellectuel, son âge et son manque d‘expérience. Il met tout cela à distance. » A-t-il connaissance de la vulnérabilité de la victime ? Rien n’est sûr. « Son comportement change à la deuxième série de coups assénés par Emmanuel Menarello. Malgré son alcoolisation, il tente de protéger Arnaud Philibert des coups d’Emmanuel en le déplaçant. » Et de demander au jury de condamner son client pour « sa responsabilité, mais rien que pour sa responsabilité. Les déferlantes de coups ne concernent pas M. Hardy. Il y a eu un effet boule de neige ».
Me Damien Varlet a pris la parole pour défendre le principal accusé. « C’est un garçon banal que vous jugez." L’avocat évoque l'état dépressif du jeune homme au moment des faits, reprend l’expression du psychiatre qui a parlé « d’effondrement narcissique. Il était dans un état sinistré ». Me Varlet a rappelé à la cour qu’Emmanuel Menarello a toujours reconnu une violence incontrôlée et a toujours nié avoir voulu tuer la victime. « S’il avait voulu finir la victime, comme en est persuadée l’avocate générale, il aurait saisi la serpette ou un couteau ». Me Varlet a aussi déclaré que « si la peine devait être à la hauteur de la douleur des victimes, c’est une peine de mille fois perpétuité qu’il faudrait prononcer ».
Patrice Hardy a pour la première fois présenté ses excuses à la famille de la victime. Emmanuel Menarello les a réitérées avant la délibération du jury.
Un jury qui, en plus de de deux heures de débat, a fait la distinction entre les deux accusés. Si le jury a été unanime pour déclarer Menarello coupable de l’intention de tuer, il n’a pas retenu ce chef d’accusation pour Patrice Hardy. Les jurés ont suivi les peines requises par l’avocate générale. Emmanuel Menarello passera quinze années en prison, Patrice Hardy dix.
Florence Genestier
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