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LIRE A CHALON - "Et rien d'autre" de James Salter

LIRE A CHALON - "Et rien d'autre" de James Salter

Et rien d’autre, James Salter

Ed. L’Olivier, 21 août 2014, 324p.

Les livres, les femmes. Et rien d’autre. Serait-ce un idéal de vie ? C’est en tout cas ce qu’évoque l’existence que fait mener James Salter, écrivain rare et élégant, à Philip Bowman, héros de son dernier roman. La vie de ce personnage, éditeur de son état et New-Yorkais bon teint, se dévoile aux yeux du lecteur sans réelle paresse mais sans excès ni ostentation. Vitam agere (passer sa vie), serait la locution latine la plus apte à rendre compte de ce roman langoureusement rythmé par les rencontres féminines. Celles-ci ne sont ni recherchées pour combler un quelconque manque affectif, ni provoquées pour rassurer la virilité toujours en question de l’homme moderne. Non, elles arrivent. C’est tout. L’intérêt du roman est qu’il donne à voir le héros en creux, en mettant le point de vue sur la compagne du moment. Une sorte d’effet de miroir qu’on pourrait résumer par la formule : dis-moi avec qui tu couches et je te dirai qui tu es. De fait, de la première femme, Vivian qu’on croit être la bonne et qu’on épouse, à la dernière maîtresse, Ann, qui sourit aux vieux jours, en passant par l’anglaise, Enid, passionnée et lointaine, ou la brune et trompeuse Christine, toutes renvoient à une époque particulière et différente de la vie du personnage. Mais, si celui-ci semble traverser le siècle et les ennuis domestiques avec une insouciance qui tient plus de la posture philosophique que de la légèreté d’esprit, c’est parce qu’il a connu la laideur et la violence lors de son engagement dans la marine pendant la seconde guerre mondiale, à l’aube de sa vie. Plutôt que d’en faire un aigri ou un cynique, cette expérience fondatrice lui a révélé la nécessité de saluer la beauté avec la politesse de l’esthète.

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Cette élégance se retrouve dans le style de l’auteur qui ne laisse aucun personnage, fût-il secondaire voire anecdotique, sans visage et sans racines. Ainsi James Salter semble-t-il affirmer que chaque être humain mérite qu’on s’intéresse à lui. Les portraits pénétrants et subtils sont donc systématiques, et fréquents les indices sur l’histoire familiale de chacun. Si ce procédé ralentit l’intrigue, c’est pour consacrer à la fois l’universalité et l’individualité dont est fait chaque être humain. De plus, les « détours » ainsi ménagés semblent un effet de réel dans la mesure où les cours de nos vies ne sont pas linéaires ni de même densité, s’opposant en cela à la nécessaire intensité de la trame romanesque. Le temps prend son temps et le hasard ne fait bien les choses que si l’on n’attend rien de lui, semble suggérer l’auteur. Car c’est bien de temps dont a besoin Salter qui laisse passer de longues années entre deux romans. Comme ont besoin de temps ses personnages de Et rien d’autre dont la grande majorité se sont curieusement mariés trois fois et qui font dire à Salter : « Peut-être était-ce ce dont il s’agissait au fond : reconstruire sa vie. »

Jean-Louis ANDRE