Saône et Loire

Assassinat de Ghislaine Leclerc : 18 ans de prison pour Sylvain Schrutt

Sylvain Schrutt a été reconnu coupable de l’assassinat de Ghislaine Leclerc et condamné à 18 ans de prison par la Cour d’Assises de Saône-et-Loire, vendredi 24 octobre à Mâcon. Le verdict a clos la session d’octobre 2014.

« Je suis innocent, je le répète, je n’ai pas tué Ghislaine. Je vis un cauchemar depuis deux ans. Aidez-moi !» a clamé, avant que le jury ne parte délibérer, Sylvain Schrutt.

Pour les avocats des deux filles de Ghislaine Leclerc persuadées de la culpabilité de Sylvain Schrutt, le procès,  « douloureux », crée une division dans la fratrie. Estelle, qui d’après les amis de la famille est celle qui ressemble le plus physiquement et de caractère à la maman disparue a eu le courage, au risque de se fâcher avec sa sœur Céline, de relancer l’enquête, fin 2011. Elle a  partagé ses doutes au sujet du changement de comportement de son beau-frère. Sylvain était devenu plus taciturne, plus fuyant, lui qui voulait toujours avoir le dernier mot. Céline, l’aînée des trois, ne veut pas croire que son compagnon et père de sa fille puisse être l’assassin de sa mère. Emeline, la cadette, est au centre de l’histoire.

« Sans sa relation sexuelle avec Sylvain, insiste Me Millot-Morin, je crois qu’on n’en serait pas là. Il y a trente ans de différence entre les deux. C’est un séducteur, un manipulateur. On dirait l’araignée qui tisse sa toile et à la fin piège Emeline.  Son beau-frère menace de révéler leur liaison à Céline. De dire que c’est elle qui lui a fait des avances. C’est facile de manipuler une gamine de 16 ans. Il est dingue de cette gamine. Comment peut-on imaginer une seconde que Ghislaine Leclerc supporte que son gendre ait des relations sexuelles avec deux de ses filles ? On est dans le schéma de l’assassin acculé, contrarié dans ses plans, qui se trouve face à un obstacle. L’obstacle s’appelle Ghislaine Leclerc.»

 

Un trajet Alsace-Volesvres trop suspect

 

Me Michel Grebot, plaide pour Estelle, la deuxième fille. Au fil du procès, il pointe avec efficacité nombre « d’éléments troubles », notamment le mensonge – a priori inutile - de l’accusé sur son heure d’arrivée à Volesvres, le 23 août, quand il emprunte la voiture.  Comme a résumé dans une des formules faussement familières dont elle a le secret la présidente Catherine Lathelier-Lombard,  Estelle est « celle par qui le scandale arrive ».  « L’arme n’a jamais été retrouvée, mais on ne peut exclure que Sylvain Schrutt en ait possédé une.  Cet homme est revenu avec une intention homicide le 26 août au soir chez Ghislaine Leclerc. Le 23, il se passe quelque chose dont nous ignorons tout. Bien sûr qu’ils ont parlé d’Emeline ! Il sait déjà, ce lundi soir, qu’il va revenir quand il repart pour l’Alsace. Chez sa belle-mère la nuit du crime, il a peur qu’il y ait encore quelqu’un et ma foi, pourquoi pas un tueur à gages ! Il va rentrer chez lui et le lendemain matin, va à la piscine. Il a vu le cadavre de sa belle-mère la veille, qu’il dit bien aimer. Il n’en parle pas. Il côtoie la douleur de sa compagne, de sa fille. Celui qui ment, c’est celui qui veut cacher. »

Karine Malara, procureure à Mâcon et avocate générale dans cette affaire,  s’estime « déçue  par le procès, qui lui laisse une impression mitigée ». Ghislaine Leclerc a été « exécutée » cette nuit du 26 au 27 août 2010. « On ne lui a laissé aucune chance, coincée entre le lit et la porte de la chambre ». Les explications de l’accusé sont « fluctuantes, imprécises, peu convaincantes. Mais parmi ce flot de mensonges, il y a eu aussi des moments de vérité, comme le témoignage de son ex-femme Marie-Thé ». La première à mettre en évidence la violence potentielle de l’accusé. Le « travail des enquêteurs a été minutieux », avec des investigations poussées. Pas d’arme du crime, pas d’ADN exploitable à Volesvres, pas d’aveux. Pendant les cinq jours d’audience, l’avocate générale a multiplié les séries de questions à l’accusé, s’est montrée très pragmatique, attachée aux seuls faits. Les indices matériels comme un antidote aux « inventions » de l’accusé, qui, de nouveau, a parfois fourni de nouvelles versions…

 

Exit le tueur à gages fantasmé

 

Revenant sur l’arme utilisée, ce Beretta 1934, « une arme a dit l’expert, qu’on ne trouve plus dans le commerce, mais se transmet dans les familles ».  Quid du tueur à gages commandité par le dernier mari de la défunte pour des raisons d’argent, hypothèse évoquée par l’accusé ? Ezzedine a signé une reconnaissance de dettes à Ghislaine, l’affaire d’argent est réglée. « Le tueur à gages ? Un pur fantasme, appuie l’avocate générale. On n’est ni dans une affaire corse, ni marseillaise, on est dans une affaire familiale. » Toutes les pistes se sont refermées. Elle détaille les multiples mensonges de Sylvain Schrutt, démontés par l’enquête et les faits.

Un inventaire d’objets du quotidien : des clés de véhicule, un portable, des paiements exceptionnellement faits en espèces, un temps de trajet Alsace-Volesvres fantaisiste… « Il a menti sur tout. Absolument tout. Il a même téléphoné à la gendarmerie, après son audition de 2010, pour leur signaler que la victime avait l’habitude de laisser ouvert, même la nuit. » Habitude inventée par M. Schrutt puisqu’elle faisait, chaque soir le tour de sa maison pour vérifier que tout était fermé, ont certifié ses filles. Reste la relation de Sylvain Schrutt qui brise un tabou familial, avec Emeline, gamine de 16 ans, encore au collège. Une jeune fille qu’on lui avait confiée et qu’il abuse. « Ghislaine Leclerc va dire « stop ». C’est ça le mobile ! Et sérieux : l’inceste » assène Mme Malara. Elle a requis « de 20 à 25 ans » de prison pour assassinat.

 

Médiocrité coupable ? 

 

La défense avait donc fort à faire ce vendredi. Les deux jeunes avocats de l’accusé (l’une plaide depuis 2012, l’autre depuis cette année) qui ont récupéré le dossier en septembre dernier, Maîtres Chloé Bonnat et Antony Truchy, de Dijon ont demandé l’acquittement. Insistant sur l’absence de preuves scientifiques. Me Truchy a évoqué l’erreur judiciaire avec des exemples célèbres : « Rien de pire qu’un enquêteur plein de certitudes et un avocat général convaincu. Rien ne permet de dire que la victime était au courant de la liaison entre Emeline et Sylvain. Rien ne dit non plus qu’elle aurait réagi si elle avait su ». Sa collègue a aussi insisté sur le doute. « Ce n’est pas parce que c’est un « sale type », qui a tout faux,  un « narcissique en surestime de soi », qu’il a tué Ghislaine Leclerc. C’est surtout un « pauvre type », qui entend depuis cinq jours ses proches dépeindre sa médiocrité. Il paie sa lâcheté, son silence de 18 mois à la découverte du corps. On a le droit de ne pas être courageux».

Le jury ne s’est pas laissé atteindre par le doute en trois heures de débats. Sylvain Schrutt a été reconnu coupable d’assassinat. Il a été condamné à 18 ans de prison. Une durée d’emprisonnement moins longue que celle requise le matin par l’avocate générale. Un détail qui, en cas de volonté des diverses parties, de faire appel (un délai de 10 jours commence le jour du verdict) donc de nouveau procès possible, devrait peser.

 

Florence Genestier