Saône et Loire

Ce « Merci Monsieur Spielberg », à la fois si proche et si loin…

Ce « Merci Monsieur Spielberg », à la fois si proche et si loin…

Heureux qui, à l’instar des Montcelliens, ont pu se repaître de ce « Merci Monsieur Spielberg » expulsé de la matrice de Bunny Godillot, alternativement juge et partie, puisqu’ayant conçu, élevé au lait maternel puis fait faire les premiers pas de la petite au sein de l’infiniment grand. En trois temps plusieurs mouvements (dont un exclusivement à l’endroit des scolaires), son one-woman-show aura happé les consciences dans cet écrin des Ateliers du Jour qui lui sied comme un gant. Il faut vouloir pour pouvoir, ou pouvoir pour vouloir, choisissez votre camp…

Une personnalité marquante sur scène

Revue et corrigée dernièrement par le metteur en scène Gilbert Pascal, la pièce a remis la gomme, cette renaissance aboutissant à un produit fini où s’entrechoquent des sentiments forts, révélateurs, parfois contraires. Mais toujours dans le droit fil de la puissance évocatrice de l’intrigue, magnifiée de main de maîtresse par une comédienne effectuant, si l’on se réfère à un cliché du jargon sportif, un marquage à la culotte des plus efficients. Les voix off se manifestent, la projection d’images dans la boucherie en particulier en rajoute une couche, des paroles en anglais et en italien complexifient la chose, la chanson « My way » de Nina Simone se fait troublante, etc. le tout se solde par une atmosphère saisissante. Du plus strict anonymat d’une boucherie au strass, aux paillettes d’Hollywood, il y a effectivement des années-lumière de distance. Lorsque la factualité adoube l’abstraction, la frontière est ténue, non dénuée toutefois de retour de bâton, car il y a sempiternellement un revers à la médaille…

 

La flamboyance du sang

L’ex-cité minière n’a pas été choisie au hasard, étant donné que ses grands-parents et ses parents y ont vécu. La petite voix intérieure de Bunny –dont les cinq premières années ont été consommées là-bas- lui a dicté une sorte d’hommage familial, ce cadeau enrubanné à souhait. Un devoir mémoriel ne devant point faillir, vaille que vaille. Le rêvé éveillé prend appui sur l’arrière-boutique de son père, Georges 1er, boucher de son état à Belleville. C’est ici que la petite fille va s’abandonner avec délectation à l’onirisme. « Au milieu des quartiers de viande je pouvais enfin être moi-même, c’est-à-dire l’autre. J’ai tout de suite vu les similitudes entre les rêves et les actrices. C’est là que j’ai commencé à jouer pour des veaux, des cochons, des poulets… » Dure école de la vie, et en même temps certes support inerte, mais rampe de lancement peut-être idoine pour s’envoler vers une condition moins dans l’hyperréalisme. Avec en toile de fond ce rouge, « la couleur de la vie, et de ma vie. »

 

Oscarisée, femme de l’année, pénalisée par la mort de sa maman

Le caractère obsessionnel d’une chose fait que ça passe ou que ça casse. Dans son cas la seconde solution a été boutée hors de son champ d’évolution. « J’ai toujours su que ma vie devait passer par ce croisement-là : celui à qui je parle depuis vingt-cinq ans dans ma tête, mon ami le plus proche (Spielberg). Pourquoi ça fait si mal un rêve qui se réalise ? Il faut que je me rassemble... » Lorsque le Nirvana lui tend enfin la main, le niveau le plus élevé de la félicité lui joue des tours. Dans le bureau où sa légende vivante lui annonce : « Je vous ai déjà choisie », elle tourne de l’œil face au papa d’E.T. et d’Indiana Jones. Son « bidule », l’oscar, lui tombe dessus sans crier gare. La consécration ultime dans le saint des saints, « avec des applaudissements pour toute une vie. » Comme un bonheur n’arrive jamais seul, elle est élue femme de l’année. Difficile de faire mieux. L’exubérance le dispute quand même à la tristesse. A son grand dam sa mère est partie. Même en paix, libérée…elle n’est plus. Rien n’est parfait en ce bas monde. On joue, on gagne, on perd… »Et voilà que le monde me reconnaît comme la bouchère française. Je suis arrivée en revenant au point de départ. » La boucle est bouclée, avec un arrière-goût d’inachevé…Entre deux maux, l’immobilisme contraint du départ sans commune mesure avec ses aspirations, et le fait de renverser tout sur son passage en s’appartenant peu ou prou…pour lequel opter ?

Yamina Benguigui en inconditionnel soutien

Sa meilleure amie, Yamina Benguigui, réalisatrice et ministre déléguée chargée des français de l’étranger et de la francophonie dans les gouvernements Ayrault 1 et 2, a mis les pieds à Montceau, trop heureuse de partager des instants intemporels. Quelle regard porte-t-elle sur Bunny Godillot ? « Au-delà de notre amitié, Bunny est une comédienne très singulière, car elle sait allier aussi bien la comédie que la tragédie, et les mixer à la perfection. Elle travaille de plus en plus avec la mémoire. Finalement elle a jeté son dévolu sur la mémoire française, elle réalise en plus un travail important qui a un effet miroir en parlant de ses racines, Montceau-les-Mines. C’est une comédienne qui a su trouver un juste équilibre. Elle ne s’est pas cantonnée dans un seul registre. Ce n’est pas un stand-up, il y a beaucoup d’émotions. Elle réussit merveilleusement bien, a maintenant aussi pris la décision de perpétuer. On voit qu’elle a envie de transmettre, notamment auprès des jeunes. Le théâtre a ce pouvoir-là d’ouvrir la parole. »

                                                                                                 Michel Poiriault