Chalon sur Saône

Artiste international, le Chalonnais Daniel Brandely voit plus loin que le bout de son nez au sujet des horribles exactions perpétrées…

Artiste international, le Chalonnais Daniel Brandely voit plus loin que le bout de son nez au sujet des horribles exactions perpétrées…

« Le poids des mots, le choc des photos », telle était la devise d’un célèbre magazine français. Depuis l’invraisemblable tribut payé à la mort par Charlie Hebdo, on peut sans peine lui adjoindre les effets secondaires évocateurs du dessin. Info-chalon a donné la parole à l’un des chantres des formes inventées de toutes pièces pour en connaître l’alchimie, en replaçant les éléments de compréhension dans leur contexte.

Au carrefour des aspirations

Afin d’éviter une interprétation fallacieuse de son dessin (ci-dessus), l’auteur le traduit par les termes ad hoc. « Ce sont deux juifs orthodoxes qui se parlent. Ce n’est pas du tout un dessin antisémite, c’est juste pour repositionner la question sur un plan identitaire : le droit ou le non-droit au débat. »

L’aspect ludique, un credo inébranlable

Chalonnais à partir de 1999, Daniel Brandely a excavé dans la problématique, en généralisant de prime abord. «On a tous en soi une volonté de dire quelque chose. Je suis vraiment un artiste joueur qui considère que l’on est en décalage par rapport à l’existentiel. Ce qu’on peut appeler la distanciation. L’artiste, c’est le porteur d’idées, de l’esprit de jeu et d’artifice. Ce qui transcende la réalité. Les idées, ce n’est pas une position hégémonique. A tous les niveaux les individus doivent penser et conscientiser le Monde. C’est un lieu de réflexion, de prise de conscience, qui ne s’inscrit pas dans une critique sociétale, esthétique. Je serais assez dadaïste dans l’esprit. L’art, au départ, il n’est pas que le dessin, il y a aussi l’écriture, le jeu de mots. » Un leitmotiv parsème les allégations de Daniel : le jeu. « Ca peut être le superflu, le côté futile, très léger. Ca peut être quelque chose d’incroyablement provocant, voire cynique, intrusif. Je vois la pratique du jeu dans tous les domaines (les soins, le médical, la communication…). »

Dédramatiser le retentissement de la caricature

D’une portée anodine au premier regard, le dessin peut par ailleurs être le révélateur de quantité de messages, sibyllins ou pas. Daniel Brandely le décortique. « Le dessin c’est quand même un moyen d’expression, et surtout ça a un côté souvent plus immédiat, compréhensible. C’est codifié, très abstrait quelque part. Il s’agit quand même d’une relation du cerveau à la main, il y a quelque chose d’inexplicable dans cette transmission. Le dessin a forcément des nuances (croquis, graphique, graff…), il peut être léger. C’est fort, et une monnaie d’échange. J’éprouve du plaisir à voir le travail des autres. » Le créateur relativise face à l’omniprésence de l’image, plus souvent qu’à son tour accommodée à toutes les sauces. « On est dans un monde très, très visuel abusivement, et ce qu’on voit c’est très lisse, dévitalisé. Le dessin peut retrouver cette faculté de présence immédiate. » Quant au dessin de presse, c’est une autre paire de manches. Consommateur en leur temps de « Hara-Kiri », « La gueule ouverte », ainsi que, plus proche de nous, de « Charlie-Hebdo », « Le canard enchaîné », Daniel Brandely en exhale l’essence. « C’est une ponctuation, une respiration, c’est forcément une note d’humour. Les dessins sont là pour décaler le sérieux du texte. C’est rare qu’ils soient redondants. « Bal tragique à Colombey : un mort », ça m’a fait marrer. Beaucoup de gens vont dire qu’il faut prendre du recul, et du plaisir. »

« Attention aux bien-pensants »

Comment a-t-il perçu le tsunami meurtrier du journal satirique ? « On a tué des personnes qui n’avaient pas l’intention de faire du mal. J’ai aussi été choqué par le vocabulaire de va-t-en- guerre, comme le crayon en guise d’arme, « Mobilisez-vous tous », même le slogan « Je suis Charlie », qui pour ces gens incarnent l’esprit de Wolinski, Reiser, etc. L’impact était évident, au-delà de ça, ce n’est pas une armée de djihadistes qui va tout envahir et tout faire sauter. Il faut réfléchir le Monde plutôt que le subir. La question, c’est une planète où les gens ont le droit de vivre, de dire ce qu’ils ont à dire. Ce qui est arrivé c’est le drame de ces personnes tuées, ce n’est pas un drame national. Ces mecs-là pissaient sur la république, mais dans le bon sens. Je suis très soulevé contre les réactions par rapport à cet événement. Le pot aux roses, c’est le débat sur Marine. »  Le doute l’a gagné d’emblée. « Quand j’ai appris, je me suis demandé si ces gens-là tuaient vraiment pour des idées. On est une société où la communauté musulmane est quand même bien à sa place en France. L’interrogation, c’est qu’il y en a qui vont morfler, des musulmans, contre des gens qui ne sont pas responsables.  Après, je me suis dit que je n’ai pas eu une attitude de haine envers les meurtriers, mais une réaction globale contre tous les actes de censure et de refus d’expression qu’il y a eus dans notre pays (représentation du Christ, œuvres d’art, textes apocryphes…). Ca y est, encore une fois on veut faire taire les idées, l’expression, quelles qu’elles soient. Je mets de côté le choc au cœur. Il faut se méfier du jugement des gens. Attention aux bien-pensants. Si on continue à ostraciser les individus en les mettant sous le couvert d’une identité globale, c’est grave. « Avant de se montrer davantage explicite. « On est dans une refragmentation des identités. Nous sommes héritiers de cette époque de guerre, de colonisation, qui mettra des décennies à disparaître… »

Digérer puis se relever

Le sexagénaire a tiré des leçons de ces monstruosités. « Ca m’a beaucoup interpellé. Je me dis que la tuerie doit servir la réflexion. Il faut continuer à balancer des idées, déconner, c’est tellement sérieux qu’il faut pouvoir se marrer. J’espère que « Charlie Hebdo » va rester soutenu, et va trouver d’autres plumes. Il y a le passé, mais on peut décaler le propos à tous les niveaux. Il ne faut pas quitter le débat avec les musulmans, qui nous dépasse très largement. Il ne faut pas insister sur le fait que les tueurs soient Français. On a envie d’un Monde pacifique, et il faut se recentrer sur des choses plus vitales. »

Daniel Brandely dans les grandes lignes

Si peinture et dessin ont constitué son baptême du feu, l’homme s’est ensuite dirigé vers le détournement d’objets (les installations, les performances). « C’est toujours un art de confrontation. J’amène des images dans un lieu très, très loin de leur origine : circulation, transport, déplacement. Je travaille beaucoup sur le codage de texte. J’ai ce souci de questionner régulièrement les règles d’organisation », se justifie-t-il. Avec à la base une formation d’architecte à l’Ecole nationale supérieure des arts et industries de Strasbourg, sa ville chérie où il devait se mouvoir jusqu’en 1990 avant de s’installer en Saône-et-Loire, Daniel devait ensuite mettre à l’épreuve son savoir au sein d’agences d’architecture et de publicité. Un beau jour, à la fin des Trente Glorieuses, et par contrecoup, avec l’arrivée du chômage, Daniel, sentant le vent mauvais souffler, décida de stopper net toutes les formes de salariat. Et d’opter pour le statut d’artiste. Son parcours international, assez costaud, plaide en sa faveur : trois séjours en Australie, Los Angeles, l’Allemagne, la Suisse, La Réunion… »Ca donne une vision sur l’espace public, l’esthétisme, la technique, et surtout une formation conceptuelle. Par rapport à l’aspect international, je faisais partie d’une génération qui voulait que les frontières sautent. Je suis pratiquement bilingue avec l’anglais», décrit-il. Il revient sur la conduite qui a été la sienne jadis, ce ferment lui permettant d’avoir un mode de pensée d’une indépendance indétrônable. « Je fais partie de ces anciens qui se sont battus pour de vraies causes à l’époque, notamment celle des femmes. Nous étions vraiment des activistes contre des activistes et des groupes qui étaient catholiques. Par exemple, l’avortement résout bien des problèmes. Ces gens-là étaient des obscurantistes», lance-t-il. Actuellement Daniel, qui couche sur le papier ce que lui dictent ses états d’âme à l’occasion, délivre les rudiments des arts plastiques dans le péri-scolaire, animant également des ateliers de peinture dans lesquels il ne privilégie pas la technicité. Renseignements complémentaires aux adresses suivantes : www.danielbrandely.com; kookaburraeditions.blogspot.com 

                                                                                                 Michel Poiriault