Opinion

"La noblesse de la République est de garantir cet espace de liberté qui permet la liberté de penser".

Une autre opinion d'un fidèle lecteur d'info-chalon.com.

Ces assassins ont tué notre jeunesse !
Ceux, qui nous ont aidé à devenir des hommes à penser par nous-mêmes dès le milieu des années '70 en ce qui me concerne sortir des carcans familiaux et sociaux, parler librement de sexualité oser le mauvais goût pour dénoncer la connerie manier dérision, sarcasme, rire pour devenir un peu plus intelligents sortir des lectures au premier degré qui sont le poison absolu de la pensée.
Reiser, Brétécher, Fluide Glacial, Choron, Cavanna, Cabu (ne pas oublier la sublime couverture du premier album de Font et Val) et tous les autres de Hara Kiri, Fluide Glacial (le froid moi jamais avec Damart 12° du clodo) etc...
Certains nous fustigeaient de lire ces provocs, ces grossièretés (souvenez-vous des aventures de momo le morbac !)
oui c'était too much, mais comment ignorer que le lecteur des ces publications n'était pas un primate mais quelqu'un qui développait ce qui distingue l'homme de la bête : la capacité de rire de tout, de prendre de la distance, de la hauteur, de sublimer ses propres inhibitions, de développer la capacité de penser par l'humour et le second, troisième ou quatrième degré.
Ce sont les héritiers de Rabelais, Molière ou Voltaire qu'on a assassinés, c'est à dire très précisément ce qui fait justement la grandeur de la pensée française.
Peu de peuples ont développé ce sens aigü de la dérision source de réflexion et d'introspection. On a souvent ri jaune car ils nous mettaient devant nos propres incohérences et hypocrisies.
Pour beaucoup d'amis de ma génération, les "Charlie" nous ont aidés à devenir des hommes et à être farouchement laïcs et républicains et je les en remercie de tout coeur. Ils nous ont aidés à devenir des hommes et comme le disait mon ami Thierry hier, c'est devant hara kiri que je me suis branlé la première fois, c'est ça aussi devenir homme.
Les monothéismes ont apporté les crimes contre l'humanité car forcément, quand on détient l'unique vérité, l'unique Dieu, il faut absolument soumettre et convaincre l'autre. Le moyen âge chrétien c'était l'inquisition, nous y voilà revenus mais cette fois-ci par les fous d'Islam.
Quel remède ? Un seul : l'éducation. Éduquer les générations montantes qui se sentent concernées par les religions à lire les textes comme étant des récits mêlant réalité et imaginaire, des paraboles, des récits initiatiques et civilisationnels, employant des symboliques compliquées et n'étant jamais à prendre au premier degré, nous sommes dans la métaphore bande de cons ! Se laisser aller à une lecture basique au premier degré est juste le degré zéro de la lecture et de l'intelligence et le fondement de la barbarie. Même un film d'horreur ne saurait égaler la violence de certains passages de la bible si on ne sait en décrypter la symbolique !
De grâce, un peu d'intelligence, de culture générale incluant la connaissance du fait religieux partout, de l'éducation nationale à l'éducation populaire..
Je veux bien entendre les problèmes sociaux, les marginalisations, les stigmatisations sociales, spatiales, "ethniques", mais le principal problème ne serait-il la faillite de l'éducation et de la culture ?
Les politiques culturelles issues de Malraux ont contribué à garder élitaire ce qui se voulait universel par un savant codage pour sauvegarder l’entre soi.
Il est grand temps, en tirant les enseignements des ces évènements tragiques, symptômes de nos échecs (de la politique de la ville par exemple centrée sur le bâti, c'est tellement plus facile), de la recherche de l'immédiateté (réseaux sociaux etc... qui ne laissent pas le temps à la réflexion et à l'analyse), de repenser les politiques éducatives et culturelles pour former des hommes et des femmes libres en les aidant à construire une pensée à partir d'une analyse critique de tout ce qui nous est balancé en flux continu alors que la plupart d’entre nous n'est pas armé pour faire le tri. Quelle place donnée à la beauté pour enrichir nos vies ?
L'ignorance, l'absence de repères culturels, philosophiques et politiques sont le terreau de la crédulité qui peut mener, en absence de régulation, à la déshérence qui ouvre un boulevard à l'intoxication mentale qui mène tout droit à l'abjection et au déni d'humanité qui est le propre de tous les extrémismes.
N'est homme que celui qui, par sa capacité à penser son existence dans son rapport à l'autre, se construit une existence sociale.
Que dire alors d'une société qui coupe les crédits à la culture et aux initiatives culturelles de proximité ou encore à l'économie sociale et solidaire.
L'éducation et la culture ça ne coute pas cher et ça rapporte gros. Lorsque des arbitrages budgétaires se font au détriment de ce secteur, ils traduisent une absence totale de vision et de sens politique au sens le plus noble du terme. Renucci et Stiegler ont écrit récemment un bouquin : "s'élever d'urgence"; oui il y a urgence à s'élever et leurs caricatures à la con nous ont aidés à nous élever, à grandir, à réfléchir.
Caricaturer n'est que grossir le trait de quelque chose d'observable pour le faire éclater à la figure de ceux qui n'ont rien vu. Je comprends que cela soit insupportable à tous ceux qui, imbibés de leurs croyances et prétendues vérités, sont incapables de penser. La caricature est l'art de la provocation à penser.
La noblesse de la République est de garantir cet espace de liberté qui permet la liberté de penser.


Pierre Buch