Chalon sur Saône

Amitié-amour, amour-amitié, Michèle Bernier et Frédéric Diefenthal ont fait sensation à Chalon

Amitié-amour, amour-amitié, Michèle Bernier et Frédéric Diefenthal ont fait sensation à Chalon

L’amitié entre une femme et un homme est-elle la plupart du temps immuable, ou alors dans le no man’s land du reliquat subsiste-t-il des fenêtres prêtes à s’ouvrir sur un degré d’affectivité d’une autre nature, à ses risques et périls ? La comédie « Je préfère qu’on reste amis » en est la parfaite illustration, l’archétype de la mouvance de l’attachement. En la circonstance, après des hauts et des bas, la fin aura justifié les moyens vendredi soir dans un Espace des arts de Chalon-sur-Saône rempli à souhait pour le 6ème opus des Théâtrales 2014-2015.

Claudine se jette à l’eau et déclare sa flamme

Ecrite par Laurent Ruquier d’une façon telle que l’on ne puisse absolument pas réprimer sourires complices, rires de bon aloi ou gras, la pièce ne met en tout et pour tout que deux personnages aux prises avec l’altérité, dont les visées n’apparaissent pas obligatoirement osmotiques à 100%. Claudine (dite « Cloclo ») (Michèle Bernier), fleuriste à « La crevette rose », et Valentin (Frédéric Diefenthal) sont très familiers depuis un lustre, des vieilles branches. Mais sans plus, jamais la frontière de l’irrémédiable n’a été franchie. Un beau jour prennent-ils un repas à l’intérieur de la boutique de fleurs et, alcool aidant, les langues se délient. « Ca fait cinq ans qu’on se connaît. On se raconte tout, on s’est toujours tout dit », émet en préambule Cloclo. « C’est normal, je suis ton meilleur pote, tu es ma meilleure pote. Tu es sympa, drôle, inventive, attentionnée, sexy. On sent que tu ne t’es pas habillée par hasard, il y a de la recherche », lui réplique le flegmatique Valentin. Claudine n’en peut plus de cette situation où elle s’est si longtemps murée dans le silence, fantasmant à mort sur son chevalier servant. « Ca fait cinq ans que je ne dis rien. Il est peut-être temps de passer à autre chose entre nous ? Si je te disais que j’étais amoureuse ? J’ai envie de toi depuis le début dans le secret. Depuis cinq ans j’ai envie de te sauter dessus. Mon ambition, c’était de t’avoir à l’usure.« Sonné, son soupirant en rêve ne maquille rien. « J’ai pas envie d’un plan foireux avec toi. Ca serait criminel qu’on couche ensemble. Je n’ai pas envie de toi. Je ne couche qu’avec des filles que je peux remplacer très facilement. »

Les vérités de Valentin ne sont pas bonnes à entendre…

Cette incoercible envie d’aboutir à l’acte pour la gouailleuse et tranchante Cloclo avec son copain de première va accentuer la propension à faire du sexe un quasi-objet de propagande. Car si à sa manière l’amoureuse transie en faisant mystère de sa passion tue a quelque peu travesti la vérité, Valentin a, lui aussi, caché des choses. Encore moins avouables. Patatras ! Il lâche le morceau : depuis dix ans il n’est plus dans la pub, licencié qu’il a été, se concentrant sur sa fonction de gigolo, d’escort, majoritairement avec des dames, accessoirement avec des hommes. Ce n’est pas tout. « Valentin, c’est un pseudo, mon vrai prénom c’est André », lui déclare-t-il pas fier pour deux sous. « Et pourquoi pas « Dédé la Saumure ? », lui balance du tac au tac sa copine. Les masques sont tombés, ce qui n’a pas arrangé ses affaires, elle qui voit l’objet de ses désirs, « ce travailleur du sexe, sex-addict » arborer un profil qui ne lui sied guère…

Une conclusion des plus heureuses

Valentin-André se retrouve à l’hôpital suite à un accident de moto. Dans cette chambre où Cloclo lui témoigne un inconditionnel soutien malgré tout, on se tire la bourre, troque des propos aigres-doux. Jamais toutefois la forme ne l’emporte sur le fond. Et si le donneur de plaisir charnel est physiquement abîmé, c’est non pas parce qu’il avait rendez-vous avec une cliente, mais simplement car il faisait machine arrière et décidait de revenir chez sa potentielle dulcinée. « Tu vois qu’on est fait pour vivre ensemble. On peut très bien faire l’amour entre copain-copine », lui souffle André. Revêche, Cloclo lui rétorque que « je ne suis peut-être pas de la première saison, mais je ne suis pas en soldes ! » Montant même d’un cran : »Dans mon métier on coupe les tiges pour qu’elles durent plus longtemps », avant de faire mine de mettre son projet à exécution, sécateur à la main près des attributs virils…La déclaration d’André laisse pantoise son alter ego féminin : »La plus belle période de ma vie, c’est les cinq ans que j’ai passés avec toi. C’est toi qui est importante. «Proie facile, Claudine fond. Un baiser scelle leur amour naissant…

Ils ne voulaient pas quitter Chalon sans un au revoir généreux, respectueux, gonflé de chaleur humaine

Non contents d’avoir entraîné de gré le chaleureux public dans leur relation troublante,  les deux comédiens, et le fait est suffisamment rare pour être signalé, ont continué à jour avec lui une fois le parachèvement officiel accompli. Standing ovation, ban bourguignon, bons mots, « L’avventura » de Stone et Charden en chœur avec les spectateurs, le final également a valu son pesant d’or.

                                                                                            Michel Poiriault