Chalon sur Saône

TRIBUNAL DE CHALON - Une bande de cambrioleurs roumains écumait la future région Bourgogne Franche-Comté

TRIBUNAL DE CHALON - Une bande de cambrioleurs roumains écumait la future région Bourgogne Franche-Comté

Huit heures de procès. Deux heures et demie de délibéré. Dix prévenus, dont sept détenus, assistés par huit avocats. Une vingtaine de parties civiles. Une centaine de victimes. Quatre-vingt huit faits recensés. Des réquisitions du ministère public allant jusqu'à huit ans de prison. Plusieurs mandats d'arrêt européens. Des perquisitions effectuées dans un pays étranger. L'affaire examinée vendredi par le tribunal correctionnel de Chalon n'était pas un dossier ordinaire.


On jugeait en effet une longue série de cambriolages commis par une bande de Roumains entre juin 2013 et février 2014 en Saône-et-Loire, Côte d'Or, Doubs, Jura, Haute-Saône, et Haute-Marne. Huit Roumains, âgés de 21 à 47 ans, installés pour la majorité d'entre eux à Besançon et sa région, auxquels sont venus occasionnellement donner un coup de mains deux Francs-Comtois de 20 ans et de 29 ans. La bande a surtout écumé la Franche-Comté et n'a sévi en Saône-et-Loire qu'à trois reprises. Dans la nuit du 17 au 18 juin 2013 à Louhans. Dans la nuit du 24 ou 25 octobre 2013 à Savigny-en-Revermont. Et dans la nuit du 9 au 10 février 2014 à Aluze, Charrecey et Couches, quelques jours seulement avant l'arrestation d'une partie des membres le 18 février 2014 à Besançon.
L'enquête a débuté courant juin 2013 par une plainte déposée à la gendarmerie de Louhans, suite à un vol par effraction accompli dans une habitation de la Cité des Arcades, alors que ses occupants dormaient. Rapidement l'enquête, qui a duré huit mois, devant l'ampleur des méfaits, a été dirigée par un magistrat instructeur. Comme l'a fait remarquer un avocat de la défense, il y a une vingtaine d'années il eut été beaucoup plus difficile de retrouver les malfaiteurs. Lesquels ont été repérés par une géolocalisation de nuit et par une écoute des appels émis sur les lieux mêmes des cambriolages.

L'énorme travail d'enquête a permis de révéler que les voleurs avaient dérobé de nombreuses voitures, du numéraire, du matériel multimédia, du carburant, des métaux, de l'outillage, des GPS, leur cible préférée étant des commerces et des entreprises, situés dans des petites villes ou dans des villages. Plusieurs particuliers ont également été victimes du groupe, bien organisé, et qui écoulait une partie du butin vers la Roumanie.

« Le prince » pour chef 


A la tête de la bande figurait Nicolae Mihaila, 34 ans, surnommé par les autres co-prévenus « Le prince ». A Besançon depuis 2009, où il faisait officiellement du négoce automobile. Niant l'évidence, ce dernier n'a reconnu qu'un vol de métaux, l'un des vingt-huit faits qui lui étaient reprochés. A un de ses interlocuteurs il aurait dit un jour « La France, c'est facile pour voler, parce qu'on est libéré après la garde à vue ». Le plus actif en tout cas était Cristian Craineanu, 21 ans, alias « Biscotto » bien qu'il n'ait pas des muscles apparents, présumé être l'auteur de soixante-quinze faits. Le plus actif sans doute, mais certainement pas le plus franc, puisqu'il n'a avoué que trois faits. Et encore, parce qu'on a retrouvé son ADN... Pourtant il semble bien qu'il ait « fait son marché » à de nombreuses reprises, afin de satisfaire les demandes de son père, qui lui passait commande depuis la Roumanie. Un père, Bebe Craineanu, 47 ans, qui s'est retrouvé à ses côtés dans le box des prévenus, suite à un mandat d'arrêt international, mais qui a juré ses grands dieux qu'il ne savait pas que son fils volait et qu'il ne lui avait jamais demandé de voler. Un autre chef de la bande aurait été  Florin Cocos, 35 ans, qui n'était poursuivi que pour trois faits, mais qui a été extradé de Suède, lui aussi dans le cadre d'un mandat d'arrêt international, après avoir purgé une peine de 5 mois de prison pour des faits de même nature. Venu en France en juin 2013 pour acheter des voitures, il serait soupçonné d'autres cambriolages en Gironde et en Loire-Atlantique. 

« Dans ce dossier on a une volonté délibérée de ne pas assurer ses responsabilités » a fait observer le vice-procureur Isabelle Durnerin, après avoir entendu les explications des prévenus, lors de l'instruction à la barre, lesquels, à une exception près, ont tous dit que ce n'était pas eux. La plupart d'entre eux a déclaré qu'au moment de la commission des faits ils jouaient au poker chez Nicolae Mihaila, que s'ils avaient ouvert des lignes de téléphone sous une fausse identité c'était pour des raisons pratiques, et que surtout ils n'étaient pas les titulaires des lignes concernées par les appels les accusant et que donc ce n'était ni leur voix, ni leur propos. 

« Ils s'organisaient pour rendre difficile la preuve. On ouvrait des lignes, on constituait des équipes à tiroirs, c'est cela qui caractérise une association de malfaiteurs » a également souligné la représentante du ministère public, avant d'ajouter « On a la réalité d'un pillage systématique, organisé. On a la réalité d'un choix de vie que procure la société française mais ce n'est pas la dure fuite de la réalité en Roumanie ».


Une peine de Cour d’Assises

La magistrate du parquet a notamment requis 8 ans de prison à l'encontre de Nicolae Mihaila. « C'est une peine de Cour d'Assises » s'est insurgé Me Randall Schwerdorffer. « Mon client est un primo-délinquant et il doit être jugé comme un primo-délinquant. Ce ne sont que des atteintes aux biens ». Et l'avocat bisontin de poursuivre « On n'a pas d'ADN, on n'a pas d'aveu, on n'a pas de constatations visuelles, on n'a pas de flagrant délit ». Après avoir estimé que « le délire des enquêteurs est de faire de Mihaila le chef de la bande » et après avoir souligné que « ce n'est pas le dossier phénoménal d'une bande organisée » Me Schwerdorffer a encore signalé « La géolocalisation, c'est dangereux, car ça vous fait ipso facto l'auteur d'un cambriolage ».
En l'absence de conseil, Cristian Craineanu, contre qui une peine de 7 ans a été requise, s'est défendu tout seul. « C'est une peine très longue. Je regrette les faits » a-t-il dit.
« Il ignorait qu'on allait plaider devant une Cour d'Assises. Je rappelle que le doute doit profiter à l'accusé » a confié Me Jean-Michel Vernier, qui défendait Doru Iancu, à l'encontre duquel 5 ans de prison ont été réclamés. L'avocat de Besançon a notamment fait remarquer « Ce qui est absent dans ce dossier, ce sont les certitudes. A l'évidence, ce dossier est bâti sur le sable, car le portable est un élément matériel mobile. Il faut faire attention aux évidences évidentes ». Une peine de 5 ans de prison a été aussi requise contre Alexandru Paraschiv, qui était défendu par Me Jean-Luc Seriot. « 5 ans, ce n'est pas raisonnable. Mon client était en Roumanie jusqu'au 11 janvier 2014 et il a été interpellé le 18 février 2014. Sa participation n'aura tenu qu'un mois. Il n'a pas le parcours d'un addict à la délinquance ». Dernier à avoir eu à son encontre une réquisition de 5 ans de prison, Nicolae Gonciulea avait pour conseil Me Ramazan Ozturk, lequel a fait remarquer « 5 ans pour un primo-délinquant, arrivé au cours de l'histoire, c'est beaucoup trop. Ce n'est qu'un larbin, qu'un simple exécutant. Son silence n'est pas un aveu de culpabilité ».
En définitive, Nicolae Mihaila et Cristian Craineanu ont été condamnés à 5 ans de prison, dont 2 ans avec sursis, Nicolae Gonciulea et Doru Iancu à 3 ans de prison, Alexandru Paraschiv à 3 ans de prison, dont 18 mois avec sursis, Florin Cocos à 18 mois de prison, Bebe Craineanu à 2 ans de prison, dont 1 an avec sursis, Mehdi Fouquet à 2 ans de prison, dont 1 an avec sursis assorti d'une mise à l'épreuve de 18 mois avec obligation de travailler et d'indemniser les victimes, Traian Babaoiana à 8 mois de prison et enfin Julien Marques Teixeira à 3 mois de prison avec sursis. En outre Nicolae Mihaila, Cristian Craineanu, Nicolae Gonciulea, Doru Iancu, Alexandru Paraschiv, Florin Cocos, et Traian Babaoiana se sont vus infliger par le Tribunal 5 ans d'interdiction de séjour en Saône-et-Loire, Côte d'Or, Doubs, Jura, Haute-Saône et Haute-Marne.

Gabriel-Henri THEULOT