Chalon sur Saône
De Marcel Rufo, bientôt à Chalon : « Il n’y a pas d’évolution de l’enfant sans frustrations nécessaires »
Publié le 08 Mars 2015 à 12h20
« De l’enfant à l’homme, l’éducation en question ». Voici ce qu’aura à traiter prochainement à Chalon-sur-Saône le natif de Toulon Marcel Rufo, pédopsychiatre, professeur émérite, directeur médical de l’Espace méditerranéen de l’adolescence à Marseille. Heureux les chalonnais qui supplémenteront leur capital intellectuel par l’entremise de cette personnalité qui croule sous les études, titres universitaires, hospitaliers et scientifiques, par ailleurs Officier de la légion d’honneur et homme de plume avec une bonne trentaine d’essais sur les tendres années. Cette sommité a très complaisamment accepté de débuter les préliminaires de son futur exposé pour les lecteurs d’info-chalon. Entretien.
Qui dit éducation dit quoi exactement ?
« C’est la transmission pour réussir à devenir grand et grand. Il faut savoir que 47% des consultations de psychiatrie des enfants et des adolescents sont en première intention du fait de difficultés scolaires ou cognitives, plus qu’affectives. »
A partir de quel âge peut-on véritablement parler d’éducation ?
« Dès la première heure de la vie de l’enfant, parce qu’il y a un phénomène qui s’appelle l’accordage affectif. C’est-à-dire le fait de pouvoir communiquer avec ce nouveau-né, et puis très, très rapidement les mères et les pères sont des scrutateurs du développement psychomoteur et cognitif de l’enfant. Par exemple il y a une sorte d’ »hallucination » favorable qui comprend : il parlera, progressera, dessinera. On voit bien que dès la section de grande maternelle les choses se jouent difficilement pour les gosses en difficulté. Lorsque je parle de pathologie, c’est que bien sûr 85% des enfants vont très bien, mais les 15% qui ne vont pas bien, révèlent vraiment toutes les craintes que l’on a eues qu’ils n’allaient pas bien. Vous savez, on a tous des vraies craintes lorsque l’on va être parent pendant la grossesse : est-ce qu’il se développera bien, est-ce qu’il comprendra bien, est-ce qu’il n’aura pas un retard, etc. et tout ça marque vraiment très, très fort les nouveaux parents, avec une particularité très singulière, c’est que les parents d’aujourd’hui cherchent à comprendre plutôt qu’à éduquer. C’est moins la compréhension que l’éducation qui pose problème actuellement. Avec toute la question aussi de l’autorité qui est sous-jacente à cette modification incroyable de la parentalité de nos jours. »
Quelle influence doit avoir l’inné par rapport à l’acquis ?
« A mon avis l’inné et l’acquis, c’est un véritable métissage. Je crois que l’inné représente 80% de l’évolution de l’enfant, mais c’est avec les 20% d’acquis que l’on fait la différence. L’inné est certainement majeur, mais l’environnement est déterminant pour l’éducation. »
L’éducation au sens littéral du terme ne souffre-t-elle pas d’un manque de charisme ?
« Les « suites séquellaires » de 1968, ça signifie que les grands-parents d’aujourd’hui sont des soixante-huitards, il est interdit d’interdire, etc. le bonheur, et en même temps cette révolution a modifié véritablement les choses, beaucoup plus en profondeur que ce qu’on croit, y compris pour ceux qui sont opposés par exemple à ce mouvement. On voit que la société évolue par une bascule. Finalement 68 c’est quoi ? C’est s’opposer à l’image emblématique du père de de Gaulle, l’image du père tout-puissant qui règne, c’est la fin de l’image du pater familias, sachant par exemple qu’en Italie c’est en 1975 que le podestà s’est arrêté. De là ont suivi des mouvement intéressants du féminisme, de l’égalité homme-femme, sur lesquels on ne peut être que favorable, une sorte aussi de féminisation des hommes comme les nouveaux pères avec leur bébé. Toutes ces transformations font que l’éducation éducative, on l’a constaté récemment avec le débat sur la fessée par rapport au Conseil de l’Europe, on voit que tout ce qui est éducatif risque d’être évoqué comme le garde-chiourme, le gardien de prison, la rugosité, l’austérité, comme finalement l’impossibilité d’exécution. C’est vrai qu’il y a un côté péjoratif sur l’éducation, or il faut répondre à ça qu’il n’y a pas d’évolution de l’enfant sans frustrations nécessaires. C’est un message sur lequel il faut vraiment insister Il faut savoir dire non à un enfant pour qu’il accède au oui, et pas toujours : « Oui mon chéri. »
Quelles sont les tranches d’âge les plus retorses à l’instruction ?
« La chose difficile, certainement, c’est deux ans. Il se pose la question de la scolarité précoce, car l’enfant traverse une période d’opposition, il dit : « Non, je ne veux pas », donc je souhaite bien du plaisir aux enseignants qui vont travailler avec des enfants de deux ans, parce que c’est absolument impossible d’avoir vingt-cinq individus de ce style toute la journée. Par conséquent il faudra réfléchir à ce qu’il n’y ait que huit enfants par classe ou à la scolarité précoce, mais où sont les moyens pour mettre ça en place ? Ca, c’est un autre problème. Après, il y a une période bénie, qui est la période de latence de 6 à 11 ans, l’âge du primaire, et puis c’est réellement le moment d’apprendre. Il y a autrement des moments difficiles : la 3ème pour les filles, et la seconde pour les garçons, en pleine phase d’adolescence. »
Face aux incohérences éducatives, préconisez-vous des retouches ou un chambardement ?
« Je préconiserais une alliance école-parents-élus. D’ailleurs quelque chose m’a passionné, cette réforme si débattue, si critiquée des rythmes scolaires, qui est pourtant l’occasion de mettre ensemble de manière transversale les parents au sein de l’école, par exemple avec des activités bénévoles, les animateurs au sein de l’école, et les enseignants et les politiques ensemble avec tout le reste pour une amélioration de l’introduction de la culture et d’autres choses à l’école pour réussir la pédagogie. En fait ce qui me passionne c’est l’expérience, et je sais que je suis minoritaire là-dedans, l’idéed’ouvrir l’école à la cité est certainement la seule solution pour l’école. Le ministre de l’Education nationale avait dit lors de l’attaque sur l’école que celle-ci est un sanctuaire, or c’est exactement ce qu’elle n’est pas. L’école on le voit bien doit être ouverte à tout. D’ailleurs à l’école il faut aussi apprendre les religions, l’apprentissage des religions est un fait de l’école laïque, l’école confessionnelle certainement aussi, ça fait partie des cultures. C’est comme ça qu’on évite les aspérités et les attitudes dommageables au niveau des évolutions des plus fragiles sans doute, des plus démunis, au niveau socioculturel. »
En France est-on plutôt bien loti en la matière ?
« On a de bons moyens, et on est mal classé au classement PISA, donc il faut qu’on remonte. La France est géniale en sport, il faudrait qu’elle soit géniale aussi en éducation. Les Français sont vraiment très performants, en-dehors du rugby qui est un drame pour moi actuellement, avec tous les sports d’équipe, le ski, la natation, l’athlétisme avec le sauteur à la perche Lavillenie, on voit qu’on est un grand peuple. Mais au classement Pisa on est au milieu de l’Europe, et puis à un niveau médiocre, donc il faut qu’on gagne la bataille de l’éducation, c’est sûrement essentiel pour l’avenir du pays. Mais en même temps je crois que l’on doit diminuer nos perspectives anciennes, c’est-à-dire l’excellence, la pyramide de toujours exclure et sanctionner, et encore une fois j’étais minoritaire au niveau des débats sur les notes. J’étais très favorable à leur suppression avec un examen toutes les années, en fin d’année, avec un oral aussi, et à remettre les notes à partir de la seconde ou de la troisième pour véritablement les ouvertures. Quand à 16 ans on sort de l’école sans rien, qu’on soit obligé d’aller apprendre un métier de 16 à 21 ans, et qu’on fasse également l’université des métiers (maçonnerie, boulangerie…). Quand je dis étudiant en maçonnerie c’est qu’on puisse aller dans une unité de gestion pour savoir comment monter une entreprise ; quand je dis étudiant en boulangerie c’est qu’on aurait des unités de valeur en anglais en fac de langues, on saurait comme ça étudier un métier, et narcissiquement ça changerait tout par rapport aux grandes écoles françaises, aux prépas, et donc à ce niveau d’excellence qui exclue l’immense majorité des Français de la réussite. »
Un homme ou une femme défaillant(e) car mal éduqué(e) serait-il (elle) à même de renverser la vapeur en annihilant son passif ?
« Je crois que tout se joue toujours. Je suis complètement contre les hypothèses développementalistes que tout se jouerait entre 0 et 6 ans, c’est une pure imbécillité. La preuve de ce que je dis, c’est que je suis très passionné par les expériences d’école de la deuxième chance où il y a des loups-garous, des gosses qui vont tout casser et à 22-23-24 ans. Ils recommencent une scolarité, et 70% sortent avec un CAP ou un BEP, alors qu’ils avaient saccagé et sabordé toutes les propositions antérieures. Tout se rejoue. On a toujours une chance. C’est ma position. Je suis optimiste par rapport à une position développementaliste qui serait un peu une fixité vis-à-vis de l’être humain. C’est la question peut-être un peu plus mystique de la réserve d’espérance qu’il faut toujours maintenir, et je suis très, très frappé par ce que disait Spinoza : « Le sage n’est pas triste ». Je ne vois pas pourquoi les politiques et les piliers des enseignants le seraient. »
Le 20 mars arrivera très vite…
Le plein tarif de cette conférence organisée par A Chalon Evénements, fixée au vendredi 20 mars à 20h30 en la salle Marcel-Sembat, est de 15,00 euros. Le tarif réduit (étudiants, groupes, sans-emploi, + de 60 ans, détenteurs de la carte UTB) est quant à lui de 10,00 euros. Réservations à l’Office de tourisme et des congrès du Grand Chalon (03.85.48.37.97), à la librairie La Mandragore (03.85.48.74.27, celle-ci sera présente salle Sembat avant et après l’intervention avec l’essentiel des livres de l’orateur). Réseaux Ticketnet et Fnac/billetel.
Michel Poiriault
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