Bourgogne

« Le Goût d’ici », produit et consommé localement

« Le Goût d’ici », produit et consommé localement

En Côte-d’Or, la communauté d’agglomérations de Beaune et le Pays beaunois ont initié la création d’une filière locale d’approvisionnement en viande bovine. Vingt exploitations d’élevage fournissent ainsi, contre plus-value, les cantines, la restauration et la grande distribution dans le secteur de Beaune.

 

Gérard Roy est le maire d’Aubigny-la-Ronce, une petite commune limitrophe de la Saône-et-Loire, perchée sur les hauteurs de Nolay et d’Epinac. Bien que faisant partie de la communauté d’agglomérations de Beaune et du Pays beaunois, Aubigny-la-Ronce est une commune profondément rurale qui compte quatre exploitations agricoles dominées par l’élevage allaitant. Confronté aux difficultés grandissantes de ses administrés agriculteurs et par ailleurs vice-président chargé du développement économique à la communauté d’agglomérations, Gérard Roy a placé la question de l’élevage au cœur d’un projet territorial. 


« La situation économique des exploitations bovines est devenue catastrophique. Aujourd’hui, la plupart des éleveurs bovins ne gagnent pas le Smic. Un audit mené à l’échelle du pays beaunois montre que seulement trois exploitations bovines sur dix sont rentables sur notre territoire ! Dans mon village, nous risquons de perdre deux voire trois des quatre exploitations qu’il nous reste d’ici dix ans », décrit l’élu. Très inquiet de cette situation, le maire d’Aubigny-la-Ronce voit là ni plus ni moins que « le retrait de l’économie de nos campagnes », une perspective qui le « désespère » car pour ce défenseur engagé de la ruralité, « les bourgs n’ont pas vocation à devenir des villages dortoirs ! », ajoutant aussi que « la disparition des agriculteurs serait une vraie catastrophe écologique pour le territoire ».


Constatant que « le schéma qui a conduit les élevages là où ils sont ne marche plus (intensification, agrandissement, augmentation des charges, endettement…) », et que le territoire en question, avec ses petites parcelles dispersées et défavorisées, rend impossible toute optimisation intensive, le maire d’Aubigny-la-Ronce estime que la seule solution est d’augmenter le prix des animaux. « Et c’est à nous élus de porter ce projet »,ajoute Gérard Roy.

 
Plus value de +25 %


La démarche engagée concerne la communauté d’agglomérations qui compte 54 communes autour de Beaune ainsi que le Pays beaunois, qui s’étend quant à lui sur plus de 90 communes et compte environ 150 éleveurs. Vingt d’entre eux ont été regroupés dans une association et ils ont pris part à la rédaction d’une « charte de production et de distribution ». Cette charte engage ses signataires à rémunérer le kilo de carcasse « 25 % de plus que le cours moyen des douze derniers mois (1) »,détaille Gérard Roy. En contrepartie de cette plus-value, les producteurs ont à respecter « un certain nombre de critères d’élevage et d’accompagnement de la bête ». OGM et ensilages sont exclus. Les éleveurs sont tenus de livrer eux-mêmes leurs bêtes à l’abattoir de Beaune. Signataire de la charte au même titre que les autres maillons de la filière, l’abattoir s’engage quant à lui à tuer les animaux dans les deux heures suivant leur arrivée. Les arrières doivent subir une période de maturation minimum de dix jours en chambre froide. Cette filière courte a été conçue « de telle sorte que les 25 % de plus-value soient intégralement répercutés jusqu’au client final. En clair, ce surcoût apparait distinctement en fin de facture sous le prix au cours ordinaire », explique Gérard Roy. « Et c’est bien le client final qui le paie ! », insiste l’élu.
Cantines, restaurants et grande distribution


Diffusée sous la marque « Le goût d’ici », cette viande bovine locale a trois débouchés. Le premier est la restauration hors foyer : cantines, maison de retraite, hôpitaux… « Ce surcoût représente un impact extrêmement faible pour la collectivité. 1 à 2 euros de plus du kilo équivaut à seulement 40 centimes sur le prix de l’entrecôte », explique le vice-président de la communauté d’agglomérations. Pour ces repas hors foyer, la collectivité s’en remet à la société Sogeres, laquelle est elle-même signataire de la charte « Le goût d’ici », informe Gérard Roy.
La démarche cible également la restauration traditionnelle. « Si nous ne sommes pas parvenu à faire adhérer un grand nombre de restaurants, nous avons cependant obtenu la signature des meilleurs d’entre eux : Loiseau des Vignes et Jardin des Remparts à Beaune notamment… ». Un signe qui ne trompe pas quant à l’image qualitative des produits.

Troisième et dernière cible : la grande distribution. « Au début, les agriculteurs n’en voulaient pas… », confie le maire d’Aubigny-la-Ronce. Mais pour l’élu, faire l’impasse sur un débouché qui distribue 80% de la viande consommée aurait été une erreur. Une place incontournable pour communiquer auprès des consommateurs, estime-t-il. En dépit des réticences du départ, « la démarche s’est remarquablement bien passée »,confie Gérard Roy qui a vu Carrefour, Intermarché et Leclerc adhérer à la démarche. Le seul bémol auquel il a fallu rapidement remédier, c’est qu’au début, les grandes enseignes ne résistaient pas à la tentation d’absorber ce surcoût sur leurs marges… Un acte qui aurait été à l’encontre du principe même de cette filière locale.
Les éleveurs assurent également des présences en magasin. « Quelque chose de très gratifiant », signale le maire. Autre motif de satisfaction, à l’issue d’une année d’expérimentation, l’une des grandes enseignes signataires s’annonce d’ores et déjà partantes pour continuer l’aventure. « Grâce à ce principe citoyen de consommer localement ce qu’on produit localement, nous avons redonné la dimension humaine et vertueuse que la filière bovine avait perdu. Notre projet a aussi retissé des liens entre Beaune et la campagne », conclut Gérard Roy.
 

Objectif de 200 bêtes par an


A son lancement, l’objectif expérimental était d’écouler une centaine de bêtes par an. La communauté d’agglomérations s’est chargée de financer la communication et la promotion de cette nouvelle filière auprès du grand public. Elle finance également le travail de sélection et de répartition des animaux assuré par un éleveur.

« Pour la suite, on aimerait étendre le territoire de diffusion avec l’objectif d’écouler jusqu’à 200 bêtes par an soit une dizaine de bêtes par éleveur », confie l’élu. La marque « Le goût d’ici » s’ouvre également aux pommes de terre, yaourts de la coopérative laitière de bourgogne… et d’autres idées viendront enrichir la démarche comme des échanges légumes/viande…

Au-delà de son aspect strictement rémunérateur, la démarche a un certain nombre d’effets induits, signale Gérard Roy. D’abord, elle permet aux éleveurs de renouer avec « une forme de retour sur la qualité de leurs animaux ». Les producteurs ont en effet l’occasion chaque année de rencontrer leurs acheteurs.
 

Marc Labille
L’Exploitant Agricole de Saône-et-Loire


(1) Ce prix ne devant toutefois pas dépasser 25 % de plus que le cours du jour.

Gérard Roy, maire d’Aubigny-la-Ronce
« Nous, élus, devons être des stimulants d’économie »


Dans ce projet territorial, les élus ont joué un rôle moteur et leur volonté politique a été déterminante. Gérard Roy ne le cache pas : dès que les élus accompagnent les éleveurs face à leurs interlocuteurs de la filière, le discours prend une toute autre tournure… Les acteurs économiques se montrent sensibles aux arguments sur l’économie d’un territoire, sur le paysage. Le vice-président chargé du développement économique reconnait en outre que les portes s’ouvrent davantage à un élu politique qu’à un éleveur, considéré avant tout comme un fournisseur parmi d’autres. En cela, les élus ont un rôle essentiel de facilitateurs. « Nous, élus, devons remettre les mains dans la mécanique. Nous devons être des stimulants d’économie », défend Gérard Roy.