Chalon sur Saône

Placide se joue du conformisme ambiant en brossant un grand tableau satirique

Placide se joue du conformisme ambiant en brossant un grand tableau satirique

L’illustrateur, dessinateur de presse et caricaturiste Placide était convié au lycée Niépce à, de par la singularité de son travail, prodiguer ses lumières, donner des clés de compréhension relatives à la liberté de la presse. Cette ouverture vivante sur le monde concernait des élèves de 1ère S alors en éducation civique, sur le thème : « Médias et politique. » Cerise sur le gâteau, plusieurs jeunes se sont fait croquer par le spécialiste au terme de son exposé.

Un formidable panorama sur lequel guigner avec avidité

Placide a décliné son identité à ses auditeurs, révélé sa méthodologie, répondu aux attentes de ses auditeurs. « Le but du dessin est quand même de s’adresser à un public. Les codes évoluent aussi, et plus je vieillis, plus je m’aperçois que je suis en décalage avec des personnes comme vous. Apprendre à dessiner, c’est aussi copier les grands artistes. Un dessin, c’est la photographie de l’actualité du moment. Quand on parle des menteurs dans le dessin de presse, c’est toujours Pinocchio», leur a-t-il notamment dit. Ses dessins thématiques, les références historiques, ses techniques, sa manière d’appréhender les nouvelles fraîches, la latitude de dépeindre à sa guise au moyen de son outil de travail le blasphème en France, son sentiment sur les crimes perpétrés dans les locaux de Charlie Hebdo, au sujet desquels il pense qu’ils induisent un tournant pour la caricature et le dessin de presse…les lycéens ont beaucoup appris, qui plus est, sur un mode ludique, ses réalisations pouvant être certes, drôles, mais également tristes. « La femme du boulanger » de Pagnol avec Cécilia et Nicolas Sarkozy, l’Inspecteur Gadget et Rantanplan pour les mosquées de Roissy avec Philippe de Villiers, Astérix et Obélix représentés par Dominique de Villepin et Sarkozy, Titanic II portraiturant la séparation de François Hollande et Ségolène Royal, Docteur Folamour appliqué à Kouchner, Tintin, les sept nains, Babar, La Panthère rose, le Théâtre de Guignol, Les Pieds nickelés, Zorro, etc. ces sortes d’énigmes à résoudre, didactiques et prenantes, avaient en elles tous les ingrédients permettant de garder l’attention en éveil, d’autant plus que le géniteur soigne généreusement ses créations, avec un rendu impressionnant. « Des fois, on fait des dessins de presse, mais parfois l’actualité est plus forte que lui. La réalité dépasse la fiction », a-t-il reconnu. L’auteur s’ingénie également à détourner des peintures, histoire de faire passer différemment des messages connotés politiquement. Il a ainsi dénaturé Le Bœuf écorché (Rembrandt), L’Angélus (Millet), Le Déjeuner sur l’herbe (Manet), La méridienne (Van Gogh)…

Seize ans de pratique professionnelle derrière lui

Si la passion du maniement de crayon l’habite depuis tout petit, Placide a néanmoins passé un bac pro électronique, sésame qui l’a amené à devenir électronicien dans l’Armée de l’air. Et ce n’est qu’à partir de 1999 qu’il devait se lancer à corps perdu dans l’illustration. « C’est d’abord un plaisir personnel, doublé d’un comportement ironique de se moquer des puissants de tout poil, et principalement des hommes politiques. C’est une façon d’être en empathie humoristique avec les lecteurs. Je me suis rendu compte de la puissance comique du dessin, et ça attire de suite la sympathie », définit l’autodidacte, qui travaille pour la revue Historia principalement, et quatre ou cinq titres, plutôt de la presse quotidienne régionale. «Je ne vis pas que du dessin, je vis surtout de la pub. Le dessin de presse ne me prend environ que le quart de mon temps. » Bien que résidant à Paris où il s’est retrouvé momentanément sous escorte policière consécutivement au séisme Charlie, le très disert témoin ne rechigne pas à aller sur le terrain en payant de sa personne. « Ca fait neuf ans que j’interviens dans les collèges et lycées, dont beaucoup en Bourgogne. La demande s’est développée avec ce qui s’est déroulé en janvier. Le dessin de presse est un très bon support pédagogique. Il amène un éclairage sur la liberté d’expression et l’autocritique. Il fait réfléchir les élèves. Je leur explique les ficelles et les codes. Il est exigeant, et il faut avoir une petite culture personnelle. »

Charlie Hebdo : un énorme traumatisme. Charb et Cabu se sentaient menacés…

Impossible de ne pas lui soutirer son opinion et ses dispositions affectives et émotionnelles. « C’était très, très douloureux. Les principales victimes pour ce combat ça a été un choc, principalement car c’étaient des camarades qui sont morts. On se fréquentait, on se voyait lors de festivals, on discutait de tout ça, mais on n’était pas tous du même avis. On ne s’imaginait pas qu’un événement comme ça puisse se produire. On a vécu ça dans notre chair. Nous avons été touchés en plein cœur. On a enterré nos camarades, nous avons tous dessiné sur leur cercueil, c’était une communion. Deux mois avant j’avais participé à un festival avec Cabu ; je lui avais dédicacé mes ouvrages, et lui en avait fait de même. Charb et Cabu se sentaient menacés, ils étaient persuadés que quelque chose allait arriver…  C’est une profession que l’on considère comme enfant pauvre de la presse. Il y en a d’ailleurs de moins en moins, car il y a des restrictions budgétaires…Pourtant, les dessins de presse sont en amont dans la liberté. » Quid du présent, de l’avenir ? «On continue de la même façon avec une gravité, mais plus avec la même insouciance. Il y a un avant, et un après-Charlie. Il y a quelque chose de brisé en nous, ça nous a fait mal. On ne veut pas trop tomber dans l’autocensure, mais nous sommes obligés de considérer la société telle qu’elle est, et d’envisager des conséquences qui n’étaient pas envisagées autrefois. Exercer ce métier sous surveillance policière, c’est quand même paradoxal : défendre la liberté, c’est ne plus avoir de liberté(s) ! »Malgré tout Placide a cette inextinguible appétence de poursuivre la voie tracée avec détermination. « Je ne sais pas ce que j’aurais fait d’autre, je serais beaucoup moins épanoui. » Il y a cependant un bémol. « Ce métier n’est pas gratifiant financièrement. On a un contact avec les gens, un retour de sympathie, qui compensent amplement. Humour et dessin, c’est une façon d’être. »

Un dessin journalier, aisément consultable

Placide en sera bientôt à quatre mille dessins de presse ! Tout un chacun peut parfaitement jauger la pertinence de son labeur en se rendant sur le site : www.leplacide.com, où il fait partager un dessin par jour, ce depuis 1999.

                                                                                                  Michel Poiriault