Chalon sur Saône

Procès de Jean-Pierre Mura pour le meurtre de Christelle Maillery - Sobriété et dignité à Chalon sur Saône

Procès de Jean-Pierre Mura pour le meurtre de Christelle Maillery  - Sobriété et dignité à Chalon sur Saône

Jeudi, vers 17 h 20, La cour d’Assises de Saône-et-Loire a rendu son verdict après trois heures et demi de délibéré et une semaine entière d’audience. Jean-Pierre Mura a été reconnu coupable du meurtre de Christelle Maillery, 16 ans, commis dans une cave d’un immeuble du quartier de La Charmille au Creusot le 18 décembre 1986. L’avocat de la défense, Me Michel Grebot, du barreau chalonnais a déjà fait appel dès vendredi 19 juin au matin. Ce premier procès a permis à la famille de la victime d’avoir des réponses, après une attente de 29 ans. « Il a été reconnu coupable et il est enfermé, c’est un soulagement » a commenté Marie Pichon, la mère de Christelle.

Sobriété et dignité ont marqué tout aussi bien les interventions des parties civiles et de la défense, comme les réquisitions de l’avocat général ou l’attitude de la famille de la victime. Cette tonalité n’était pas évidente à installer dans une Cour d’Assises, vingt-neuf ans après les faits et une enquête bien mal commencée. La perte brutale de Christelle reste une plaie ouverte, ravivée davantage pour la famille par ce procès d’une semaine, inédit et ô combien nécessaire. De la maman aux cousines, la famille a été présente à toutes les minutes du procès. Silencieuse et respectueuse, mais pas inexpressive.

Présidée par Antoine Brugère avec une ferme courtoisie et une autorité naturelle, la Cour d’assises de Saône-et-Loire n’a été le théâtre que de peu de débordements. Deux fois, mardi, l’accusé a insulté ses contradicteurs avant de se taire mercredi et jeudi. Son ex- belle-sœur d’abord, qui compose tant bien que mal avec un fils aussi schizophrène que son oncle. Me Didier Seban, ensuite, l’un des avocats de la partie civile. Ces deux personnes ont commis, aux yeux de Jean-Pierre Mura, l’erreur irréparable d’évoquer sa mère et son « lourd secret ». Sonia Mura, décédée en 2008, était selon l’hypothèse de la partie civile, la seule à savoir, pendant les vingt-cinq ans qui ont séparé la découverte du corps de Christelle à la première garde à vue de l’accusé, que son fils était le meurtrier de cette jolie rouquine creusotine de 16 ans, qui a reçu au total 31 coups de couteau.

Avachi sur son siège, une main soutenant son menton, l’accusé a peu parlé, n’a jamais regardé en face ses contradicteurs. A peine donnait-il l’impression, jeudi, de suivre la plaidoirie de Me Grebot en sa faveur. Sous traitement, ce schizophrène de 47 ans a nié le meurtre, traité les témoins de menteurs, dit qu’il ne connaissait pas la victime, a donné l’impression d’être ailleurs sans cesse, au chaud dans une réalité qui lui convenait. A croire que sa maladie, diagnostiquée en 1989, trois ans après le meurtre, le persuade intimement qu’il n’est pas comme on le lui dit.

Au-delà de la légèreté des investigations policières initiales de 1986 (absence d’enquête de voisinage ou de passage du détecteur de métaux pour retrouver l’arme du crime, par exemple. Un cran d’arrêt sera retrouvé par hasard dans un buisson en février 1987) qui se sont déroulées à une époque où la police scientifique n’était, faute de savoir ce qu’était l’ADN, pas une religion, ce sont les efforts conjugués de l’association de victimes, de nouveaux policiers et enquêteurs divers qui ont permis d’identifier Jean-Pierre Murat comme le meurtrier présumé. En 2005, lors d’une soirée, il avoue avoir commis le meurtre à trois de ses connaissances de 1986, quand âgé de 19 ans, il traînait à la cité de la Charmille.

Un enquêteur privé, mandaté par l’association Christelle qui regroupe diverses familles de victimes de meurtres non élucidés, recueillera les témoignages des participants de cette soirée d’aveux. Au final, cette soirée-là, son obsession du meurtre de 1986, deux agressions dans des station-service en 1998 et 2010 sont à l’origine de sa mise en accusation. Le comportement de l’accusé au fil du procès a accrédité la thèse de la partie civile et de l’accusation auprès des jurés. Il a affirmé ne pas connaître Christelle Maillery, alors qu’avec ses copains, il « glandait » quotidiennement dans l’immeuble et allait chercher son cannabis dans la même montée.

Me Didier Seban pour la partie civile a lui avancé - les personnes atteintes de schizophrénie étant, d’apres les experts entendus, excessivement sensibles aux drogues - un « délire cannabique ». « Toutes les pièces du puzzle s’assemblent et au final apparaît le visage de Jean-Pierre Murat » a conclu l’avocat parisien. Ce pénaliste expérimenté, avec sa collègue criminologue Corinne Hermann, auteure d’une plaidoirie très humaine au procès, accompagne depuis 12 ans, l’association des familles de victimes. Leur cabinet est spécialiste des « cold cases », ces affaires de meurtres non élucidés en France. Le duo s’est révélé plus qu’efficace, sans emphase aucune.

Christophe Rode, procureur à Chalon et avocat général au procès a requis jeudi matin, le maximum d’années d’emprisonnement possible, en cas d’altération du comportement de l’auteur, que la loi française prévoit pour un meurtre. « Jean-Pierre Mura a eu vingt-cinq ans de remise de peine ! Il a échappé vingt-cinq ans à la justice ».

Pour la défense, Me Grebot, après avoir tenu des paroles très respecteuses à la maman de Christelle et présenté des excuses personnelles aux personnes insultées par son client, a fait son travail de défenseur et plaidé l’acquittement. Aucune preuve matérielle dans le dossier, des témoignages qui lui paraissent aléatoires, une maladie non déclarée à l’époque du meurtre... Pour lui, le « puzzle » évoqué par la partie civile ne produit aucune image, surtout pas celle de son client. Sa démonstration argumentée, comme l’avocat chalonnais habitué des Assises sait les bâtir, n’a pas convaincu la cour. Les jurés de la Cour d’Assises de Saône-et-Loire ont reconnu Jean-Pierre Mura coupable du meurtre de Christelle Maillery, sans enlever un mois aux réquisitions de l’avocat général. Un nouveau procès aura lieu mais le verdict, 29 ans après les faits, est un soulagement réel pour la famille de la victime.

Florence Genestier