Saône et Loire
Info-chalon.com revient sur le scandale de la "déche" de Montchanin (1)
Publié le 28 Juin 2015 à 20h52
La Saône-et-Loire, le saviez-vous, a été le théâtre d’un des plus gros
scandales écologiques de France dans les années soixante-dix et quatre-vingts.
"La déche" disent les anciens. Pierre Barrellon a été l’un des responsables de l’association ADEM, opposée sans relâche à
la décharge industrielle de Montchanin. L’ADEM a permis de révéler l’ampleur du
scandale et les menaces sur la santé publique, qui affectaient déjà nombre de
Montchaninois. Retour sur un épisode bien peu glorieux de l’histoire
environnementale et de santé publique
départementale avec le président de l’association qui a bousculé les choses.Autrefois, on qualifiait Pierre Barrellon et ses amis d'"emmerdeurs", désormais retraités ou hélas déjà disparus. Aujourd'hui, on les appellerait tous des lanceurs d'alerte.
Pierre Barrellon, vous êtes l’un des membres fondateurs de l’ADEM (Association de défense de l’environnement de Montchanin). Pouvez-vous nous dire comment est née votre association directement liée à la décharge?
A plusieurs riverains, on s’est rendu compte qu’on nous menait en bateau à propos de cette décharge.
Initialement, en 1979, on a retrouvé 2000 fûts sur une zone qui n’était pas encore habilitée à recevoir des déchets. Un garde-chasse de Montchanin a donné l’alerte en préfecture, et il a eu la visite chez lui de l’exploitant de la décharge, M. Laferrere, qui, se faisant passer pour un journaliste, lui a subtilisé les photos qu’il avait prises. Par contre, le garde-chasse avait les négatifs ailleurs. Ca a été la première alerte. On n’a même pas réussi à avoir les arrêtés municipaux après moultes demandes à la mairie puisqu’avant juillet 1981, on n’était pas encore une association. Ce n’était que des démarches de particuliers. Sous des prétextes d’extension géographique de la décharge, ils la changeaient de catégorie ! On avait déjà fait des recoupements, mais on voyait bien qu’on nous baladait. Sans la médiatisation, on n’y serait jamais arrivé. Au départ, on était huit de Montchanin, après trente adhérents pour aboutir à 1805 constitutions de parties civiles au dernier procès. Un journaliste du Figaro (Lucien MIARD)venu nous interviewer nous a conseillé de faire appel à un avocat, mais avec 300 francs en caisse, on pensait qu’on ne pouvait pas se le permettre. Il nous a laissé entendre que certains grands avocats pouvaient plaider quasi gratuitement pour certaines affaires. Sur ses conseils, j’ai appelé Jacques Vergès. Qui a plaidé gratuitement parce que m’a-t-il dit quand je l’ai rencontré : « il en avait marre de voir les politiques traiter de graves problèmes de santé publique par-dessus la jambe et l’écologie nous la vivons au quotidien». C’était le premier grand procès de pollution de décharge.
Mais pourquoi les promoteurs de la décharge ont-ils choisi Montchanin ?
Ce n’est pas étonnant qu’ils soient venus ici car les carrières d’argile sont très recherchées.Celle de Montchanin a une vraie renommée par rapport à l’étanchéité du sol. L’argile, aux essais de pénétration d’eau, est cinq fois plus étanche que du béton. Ces terrains ne coûtaient rien à l’industriel, sauf la location de 500 euros par an, des terrains municipaux. Ces terrains, des anciens de la tuilerie Lambert, ont été rachetés par la commune pour cette utilisation.
Ça commençait bien…
Oui. On a tâché de savoir ce qu’il se passait. On s’est rendu compte que la mairie avait acquis des terrains en 1979. Que M. Laferrere leur avait promis d’aménager ces terrains alors en friche pour en faire des aires de jeux et de terrains d’agrément, moyennant un remblaiement gratuit, avec des déchets neutres et de l’argile. Il s’engageait à mettre ces zones-là en valeur, zones qui ne présentaient dans l’immédiat, aucun intérêt en centre-ville et qui pourtant étaient au cœur de la commune. A mon avis, ils se sont fait « bananer» par ce monsieur qui parlait très bien.
Qui n’a jamais été inquiété sur le plan judiciaire ?
Il a eu trois fois rien au niveau judiciaire.Ayant mouillé le ministère de l’Environnement grâce à certaines personnes de sa famille, il lui était facile de s’appuyer sur les autorisations officielles obtenues pour l’exploitation de la décharge.Il fut seulement condamné pour des enfouissements en dehors de la zone autorisée. Sinon, il était en règle.
Au départ, sur le plan fourni par l’industriel au ministère de l’Environnement pour son projet, l’étang des Ecrasés qui jouxte le site ne figurait même pas… Il a fait l’amalgame avec les maisons du château d’eau qui venaient d’être mises en vente, avec des projets de démolitions dans le secteur, des maisons de la Glacière (détruites depuis cette époque) pour faire disparaître des limites de la décharge une zone habitée très pénalisante.
C’était un mélange astucieux de dossiers selon vous?
Oui. Il a éliminé du dossier tout ce qui le gênait.
M. Laffererre c’est un lyonnais, qui habitait Saint-Cyr-au-Mont-d’Or et qui avait déjà une décharge à proximité de Lyon.Il faisait des trucs « pas trop nets », on avait déjà retrouvé du cyanure dans le ruisseau qui longeait sa première décharge et il avait rendu localement des comptes à la justice. Il faisait de la prospection pour des maisons de traitement de déchets mais proposait en fait, aux clients à prix moindre en substitution d’un réel traitement, de l’enfouissement pour son propre compte, pour Déblai service –devenu à Montchanin Déblai Service Environnement, Cette société fut rachetée ensuite par Ellipol, une filiale d’ELF.
Comme ELF produisait beaucoup de déchets, ils ont cherché à se diversifier. Les gens de la DRIRE ( DDT d’aujourd’hui) qui ont parfois un pied dans les ministères et un pied dans les entreprises privées font la passerelle entre les deux…. Voilà. Et on en est toujours là. Le pantouflage à ce niveau-là est énorme.
Qu'a été pour vous « L’affaire Seveso ?»
Ce gigantesque scandale nous a permis de nous faire connaître. On a eu la chance de connaître Ange, un Corse qui était conseiller en douanes et qui avait été sur le site de Seveso. Expertise qui lui avait coûté cher, y a laissé un poumon, contaminé sur place par la DIOXINE. Il est venu nous voir, en nous apportant une copie du bordereau T2 qui est le bordereau international de transfert des produits qui changent de pays. Sur ce document figurait un chargement de 41 fûts de dioxine prévu pour Saint-Quentin-en-Yvelines. Au dos du bordereau T2 figurait le changement de destination, c’est-à-dire, pour Montchanin. Chez nous! La dioxine est bien passée par Montchanin. On a eu une photocopie de ce document et c’est avec ces arguments en béton que l’on a interpellé Brice Lalonde (ministre de l’Environnement des gouvernements Rocard et Cresson de 1988 à 1992) en disant qu’on voulait des fouilles.
A Saint-Quentin, ils voulaient montrer de faux fûts de Seveso, qui contenaient effectivement des vêtements et déchets qui avaient servi à la décontamination du site, qui n’était pas la dioxine pure reconditionnée dans des fûts métalliques, revêtus de polyuréthane pour être enfouis dans un site dont personne ne devait connaître la destination finale.
C’était en 1983. On avait, depuis 1979, au début de nos démarches et mi-1981 comme association, on avait déjà fait nos enquêtes et on avait pu remonter et faire le parallèle entre le cabinet du ministre et l’épouse de l’industriel, Solange. Elle était la sœur d’Emmanuel Eydoux, qui était administrateur au cabinet de Michel d’Ornano, ministre entre autres de l’Environnement (de mars 1977 à mai 1981, gouvernement Barre 2 et 3). L’enquête dithyrambique du géologue, venu trois heures sur le site et qui n’a procédé à aucun prélèvement (pas obligatoires à l’époque) a fait le reste.
ça paraît totalement inouï aujourd’hui…
Les médecins avaient fait chacun de leur coté des constats en dix ans, mais pas d’analyses.
Notamment les affections des voies respiratoires beaucoup plus nombreuses qu’avant à Montchanin. Les problèmes d’asthme, les eczémas. Les crises d’asthme, on dit qu’elles se déclenchent toujours chez les enfants, pas chez les adultes. Beaucoup d’adultes avaient des crises. Mme A., qui travaillait à la limite de la décharge a fait soudain des crises d’eczéma pendant des années. Du jour où la décharge a arrêté son activité, ça s’est arrêté. C’était « inexpliqué ».
Les causes du décès de M. Seurat, riverain de la décharge, n’ont jamais été révélées à la famille qui a déménagé ensuite. A la fermeture de la décharge, une enquête sanitaire, a été menée par le docteur Smirou épidémiologiste d’un organisme de Grenoble.Il a conduit une étude rétrospective et prospective basée sur les consommations de médicaments pour essayer de comprendre et expliquer ce qui s’était passé avec les riverains. Ça a été mis dans le panier. Ces arguments ont pesé lourd dans la balance pour décider la fermeture définitive. Au préalable, des médecins avaient rencontré Pierre Joxe qui à l’époque était député de la Bresse et de Montceau et ensuite ministre de l’intérieur. En tant que ministre, il était venu soutenir les candidats de son parti sur place. Nous, on en a profité pour l’alpaguer. Les médecins lui ont fait part des problèmes observés concernant la décharge de Montchanin et il a fait une déclaration télévisée. C’est lui qui a diligenté une enquête. Il a ordonné la fermeture de la décharge en attendant les résultats.
Il s’est passé plus de 11 ans entre la découverte des fûts par le garde-chasse et la fermeture…
Dix ans d’exploitation tranquille. L’achat des terrains date de 1976 et 1977. Le 13 mai 1977, avec un avis favorable du conseil municipal. Ca passe comme une lettre à la poste. En plus de ça, le POS (ancêtre du PLU, document d’urbanisme indispensable) n’autorisait pas la décharge! Pour avoir l’autorisation, ils ont obtenu une dérogation, une modification approuvée le 20 septembre 1978. Le texte est à bondir… Lorsque l’on sait que à l’époque, le préfet avait écrit au président du conseil de communauté en disant : « je vous conseille vivement de rechercher avec le concours des conseils de la DDE un autre secteur susceptible de recevoir une décharge contrôlée qui en tout état de cause est soumise à l’autorisation préfectorale préalable ». Alors qu’elle a été exploitée avant l’autorisation préfectorale ! C’est monstrueux. C’est à tomber par terre. La fermeture définitive, c’est un décret du 20 octobre 1989.
Les termes de l’autorisation du POS étaient «rendre au site son caractère naturel » «et effacer l’exploitation sauvage du siècle dernier»… Le projet de 1976 est présenté comme une réhabilitation des erreurs du siècle dernier dans le rapport municipal…
C’était la magouille. Il était écrit:« Les déchets de catégorie 1 sont admis sans analyse sur la décharge », arrêté préfectoral du 12 février 1981. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est écrit dans l’arrêté (avec la liste de produits autorisés). C’était un monstre cette décharge. Nous quand on écrivait, réponse polie en fin de non recevoir. La première fois, que l’on a écrit à propos des fûts en 1978. Accusé de réception poli, promesse de réunion, et puis rien. Dix ans de pollution facile. On a écrit à tous les ministres de l’Environnement : Corinne Lepage, Brice Lalonde, Ségolène Royal pendant dix ans. On est monté jusqu’à la commission européenne. Mais, tous les recours n’étaient pas épuisés, les procès étaient en cours, ils ne pouvaient pas intervenir. »
(A suivre)
Florence GENESTIER
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