Saône et Loire
Info-chalon.com revient sur le scandale de la "déche" de Montchanin (2)
Publié le 28 Juin 2015 à 21h05
Quand on se balade à pied vers le château d'eau ou qu'on jette un fugace coup d’œil en passant sur la voie express, on ne voit qu'un petit vallon engazonné. Tout vert avec des petites cheminées. Presque joli. Sous le gazon, très surveillées, 800.000 tonnes de déchets industriels, souvent toxiques, dorment.
Si près du coeur de ville, à deux pas des habitations. Ce scandale environnemental et de santé publique qu'a été la décharge de Montchanin, du milieu des années 1970 à sa fermeture officielle en 1988 a été dénoncé, au départ par un groupe de riverains inquiets, qui s'est constitué en association, l'ADEM (Assciation pour la défense de l'environnement de Montchanin). Rencontre avec Pierre Barrellon, l'actuel président et l'un des premiers à s'alarmer. Après avoir évoqué la naissance de la décharge, nous voilà au début des années 1990.
A partir de la fermeture de la décharge, en 1988, comment vous agissez ?
On a eu la collaboration importante du préfet de Saône-et-Loire, Jacques Dewatre. C’était un personnage. Il a pris le problème à bras le corps et nous a dit: « s’il y a une solution, on la trouvera». On a fait vraiment le forcing en disant:« ce n’est pas parce qu’elle est fermée qu’elle est neutre… Pour nous, il fallait réhabiliter le site.» Au départ, on voulait une évacuation de tous les déchets mais ça n’était pas possible. C’est ce qu’on souhaitait. Ils ont consulté des entreprises mais il n’y a pas eu d’avis favorable.
Il faut préciser qu’il rentrait, au plus fort, de la période d’exploitation, 40 camions par jour, soit 800 tonnes par jour. Il aurait fallu évacuer 800 000 tonnes de déchets au total. Quand ils ont entamé la réhabilitation du site, Pour faire une tranchée drainante d’un mètre de profond, ils avaient des aspirateurs pour évacuer les gaz et les gens travaillaient avec des masques et des exposimètres!
On est là au début des années 1990, on cherche une solution avec le concours de l’ANRED (ancêtre de l’ADEME) et l’ANRED proposait, en gros, de mettre un chapeau dessus et de tout oublier… On s’est foutu en colère. On a eu la chance d’avoir un préfet dynamique qui nous a suivi. Il a nommé une commission d’experts internationale présidée par le professeur Gislain Demarcilly, Géologue de Paris, qui s’est penchée sur le problème pour savoir quelle était la meilleure solution pour mettre le site en sécurité
La commission internationale a proposé de faire deux puits. Et de faire des drains qui passaient sous les déchets et autour des déchets pour capter toute la phase liquide, pour l’évacuer et la faire traiter. C’est ce qui se passe depuis 1992.
Le site est sécurisé. Il y a une couverture superficielle, un mur périphérique et le captage des eaux de ruissellement. Pour les gaz, un incinérateur est en place sur le site pour les brûler au-delà de 650 degrés afin de faire craquer les molécules dangereuses. Là, les dégagements sont d’ordre chimique.
On a obtenu la mise en sécurité du site parce qu’on avait une grande gueule. Je suis persuadé qu’il y a même en Europe des décharges qui sont dans le même état que celle de Montchanin, voire pire. On n‘en parle pas, parce que, à mon avis, les riverains ou les associations, sans moyens financiers ni politiques, sont calmées tout de suite. Les recours juridiques sont si chers qu’ils sont inaccessibles aux associations.
Parlez nous des actionnaires d’ELF Aquitaine venus pour visiter le site.
En 1988, à la vente de la décharge à Elf. On a vu un joli bus entrer dans la décharge, on a su que c’était les actionnaires qui venaient voir où ils avaient mis leur argent, On les a bouclés sur place quand ils sont venus voir ce qu’ils avaient acheté.
On y a été avec un poste à soudure. On a soudé les grilles du portail. Après le cocktail, les petites dames en talons hauts ont été contraintes de traverser la décharge pour rejoindre la voie express. Ça, ça a fait du bruit ! Les gendarmes sont venus les chercher sur la voie express, après avoir traversé le site dans la boue, ils étaient contents, tiens! Lafferrere ne leur avait rien dit, « tout était bien, les relations avec la mairie étaient parfaites ». Alors que TOUT était sur le point d’exploser… Voilà le résultat lorsque les affaires sont traitées dans les grands bureaux à Paris, on n’est jamais au cœur de la réalité, quoi!
Et aujourd’hui, comment suivez-vous le site?
Depuis 1992 on est associé au suivi. On a demandé à faire partie de la CLIS (commission locale d’inspection et de surveillance du site) sous la responsabilité du préfet, avec la Drire, la Ddass, la mairie, la préfecture, les pompiers, la gendarmerie, pour faire un vrai suivi du site, les visites périodiques et avoir des analyses d’eau, d’air et de gaz. Et on a connaissance depuis le réaménagement les résultats de ces analyses régulièrement. On a été très sévères sur la maîtrise des fuites qu’il y avait. C’est pour ça qu’on a obtenu en 2012 la réfection totale de la couverture du site qui nous a permis de tomber de 3000 litres par jour de « jus » à 800. Les produits sont collectés et sont envoyés pour être traités à Feyzin. Ça coûte à peu près 70 euros la tonne... Le budget d’exploitation de la décharge de Montchanin, c’est 1 million d’euros par an.
Heureusement que ce n’est pas à charge de la ville parce que ça fait longtemps qu’on aurait fait faillite ! C’est pris en charge par l’ADEME ce qui représente 25 % du budget de maintenance, chapitre du traitement des sites pollués, de l’ADEME. La CLIS a été créée en 1992 et se réunit désormais tous les six mois. On participe au débat par exemple pour retenir la société qui va gérer le site. On donne notre avis. Deux puits de 7 m de diamètre et 21 m de profondeur plus 12 piezomètes sont sur le site et permettent des prélèvements.
L’action future de l’association, vous l’envisagez comment ?
Nous avons fait beaucoup de démarches partout en France pour aider les gens qui se battaient contre des implantations ou des pollutions engendrées par ces exploitations. J’ai fait ça jusqu’au jour où j’ai eu la visite du directeur des renseignements généraux chez moi. Il m’a dit « On vous a suivi dans vos déplacements, «vous êtes en train de foutre la merde dans le milieu du déchet et on ne voudrait pas qu’il vous arrive malheur, ou vous repêcher dans un caniveau. On vous conseille de mettre la pédale douce et d’arrêter vos déplacements.Parce qu’on a peur pour votre sécurité». Bon. OK, ça calme. Je ne suis pas kamikaze. On a traité par courrier les demandes suivantes. Et j’ai cessé toute conférence en public. Quatre ans, ça a duré.
L’évènement majeur pour la médiatisation, a été « Ciel mon mardi », l’émission de Christophe Dechavanne. On a eu deux ans d’enfer après, de 1988 à 1990. On n’avait encore pas le décret d’arrêté définitif. Pour rester dans la course, Je vais régulièrement à Pollutec, je suis de très prés ce qu’il se passe au niveau des nouvelles techniques d’élimination des déchets mais ça s’arrête là. Aucune avancée spectaculaire n’émerge. J’estime qu’on est bloqué par le système. Ca rapporte beaucoup trop une décharge. Tant qu’on trouvera des sites, ça continuera.
Avec le recul comment vous voyez votre action d’alors ? Et ses limites ?
Les Verts n’ont pas joué le jeu. Ils se sont fait « bananer » en diabolisant l’incinération. Il y a eu le phénomène dioxine. Pour l’anecdote,j’avais participé à Toulouse à une réunion avec Haroun Tazieff, venu parler de dioxine. J’avais en main les rapports de l’OMS sur Seveso et ses dioxines, le T35D et j’en ai mis une pleine tête à Tazieff. Il parlait de l’incinération des bouteilles de plastique qui dégage des dioxines. Mais c’est une catégorie de dioxine qui est zéro. Quand on parle du T35D c’est mille fois plus puissant que le cyanure. C’est autre chose, ne faisons pas l’amalgame! On avait essayé de faire une coordination nationale des associations de l’environnement. La première fois, 70 associations sont venues à Montchanin. La 2e réunion s’est faite à Toulouse, c’était déjà la grande foire. Récupérée par les marchands de déchets qui étaient là,Génération Ecologie (association de Brice Lalonde) avaient récupéré le bébé. On a tout fait pour nous faire capoter. Et j’ai dit:« si c’est comme ça, la coordination nationale ne se fera pas». La récupération politique, on l’a toujours fuie à l’ADEM.
Et maintenant quand - et si - vous êtes sollicités pour intervenir, vous y allez ?
A une époque clairement, on avait ébranlé le milieu des déchets mais à quel prix ? Ça a nous a bouffé notre vie personnelle (NDLR : Mme Barrellon approuve…) pendant des années, ce combat contre la décharge. Cela a été loin, on a reçu des menaces. On a aussi vécu des moments très rigolos. Je me souviens qu’un jour à la radio, une émission spéciale décharge « les Grands Dossiers » était programmée. On a appelé pour participer. A l’heure de l’émission, bizarrement, on n’avait plus de téléphone ! Les voisins l’avaient. Nous pas. La ligne téléphonique s’est remise à marcher juste après la fin de l’émission. Bon.
Cette décharge, sur votre commune, a suscité une sacrée prise de conscience. On mesure l’énergie déployée localement pour faire bouger les choses… Au-delà de la prise de conscience et du combat passé, quelle solution voyez-vous ?
Tant qu’on enfouira des déchets, rien ne progressera. La solution de traitement, serait déjà d’identifier les déchets et de ne pas les mélanger. On peut faire du stockage d’une partie identifiée et réversible. Faut pas se leurrer : dans cinquante ans, on ira fouiller dans les décharges parce qu’on sera à court de zinc, de métaux lourds, de cuivre, on ira les chercher. Car on n’aura plus de gisements suffisants pour répondre aux besoins de la population et de l’industrie. Mais pour l’instant, on vit encore comme des riches !
Comment une entreprise comme Elf, même une boîte de sous-traitance d’Elf pouvait encore ignorer les problèmes et les remous locaux au moment du rachat de la décharge montchaninoise ?
Elle était censée être neutre et trouver la meilleure solution pour réhabiliter un site de décharge industrielle de déchets de première catégorie, chose qui ne s’est jamais refaite depuis. Il n’y a eu que Montchanin. Il n’y en a pas eu d’autre. La première décharge à être fermée par un décret de conseil d’Etat et la première à être soignée post exploitation.
Vous pensez qu’un tel laisser-aller pour la réalisation d'une installation pareille est encore possible en France aujourd’hui ?
Oui. En cherchant un peu, je suis sur qu’on en trouve. A cinq km de chez nous, la décharge de Torcy est implantée. C’est aussi une montagne de déchets même si, évidemment, les deux ne sont pas comparables. Toutefois, on met ensemble des produits qui n’ont rien à voir et dont on ne connaît pas l’évolution. On met tout en vrac, on met un chapeau par-dessus on encaisse un chèque et on oublie. C’est ça les décharges, ce n’est pas du traitement. On s’est battu comme des fous pour faire changer ces mentalités et on n’y arrive pas. Torcy c’est aussi 40 camions par jour, 800 tonnes à 50 euros par jour, 220 jours ouvrables. Faites le compte et vous comprendrez. Avec 5 personnes employées, il n’y a pas une société au monde qui a une telle valeur ajoutée. C’est le moyen le plus rentable pour Veolia et Suez, Sita, tous ceux qui ont pris le monopole dans ce milieu qui gère notre eau et nos déchets ».
Propos recueillis par Florence Genestier
LIRE LA PREMIERE PARTIE DE L'INTERVIEW
Photo du chantier de 2012 de sécurisation (Pierre Barrellon)
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