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Marie-Françoise Ghesquier Di Fraja : « En écrivant, je souhaite exprimer l’impossible à dire »
Publié le 23 Septembre 2015 à 17h57
Le territoire Grand Chalonnais n’est pas exempte de talents, qu’Info-Chalon rencontre pour vous au fil du temps. Cette fois-ci, gros plan sur Marie-Françoise Ghesquier Di Fraja, poétesse, dont Info-Chalon vous recommande son dernier recueil, disponible à La Mandragore : « A hauteur d’ombre ».
Marie-Françoise Di Fraja, vous avez déjà publié deux recueils de poésie et vous apprêtez à en publier un nouveau prochainement. Comment vous est venue l’idée ou l’envie d’écrire ? Ecrivez-vous depuis toujours ?
Mon premier recueil, « Aux confins du printemps », a été publié en juillet 2013 par Michel Cosem chez Encres Vives. Puis « A hauteur d’ombre » a été publié en mars 2014 aux éditions Cardère par Bruno Msika, avec des photos de l’illustratrice et poète Cathy Garcia, ainsi que des photos que j’ai prises à Châtenoy le Royal et à l’étang Chaumont.
L’envie d’écrire m’est venue lorsque j’ai découvert l’infinie possibilité d’expression qu’offre la poésie contemporaine. C’est la poète Colette Andriot qui m’a permis de connaître les auteurs contemporains, sachant qu’elle a créé un fond de poésie inestimable à la bibliothèque de Châtenoy le Royal. Un trésor caché qui mériterait qu’on lui porte une attention toute particulière, notamment parce que les femmes s’affirment de plus en plus dans le domaine de la poésie.
Dans quelles conditions écrivez-vous ? L’inspiration vous vient-elle comme cela, sans crier gare ? Vous faut-il un certain environnement ?
Une condition sine qua non pour écrire, c’est de s’intéresser aux autres écrivains. Acheter leurs livres pour soutenir l’édition de la poésie et s’inscrire aux revues est indispensable. Par exemple, à Chalon, Claude Vercey s’occupe avec beaucoup de dévouement et de professionnalisme de la revue Décharge. Lire les autres poètes permet de prendre conscience de l’exigence de la langue. Notre pays compte nombre de merveilleux poètes, même s’ils ne sont pas toujours relayés par la grande édition.
Je ne sais pas si l’on peut parler d’inspiration. J’écris sur l’instant d’une exaltation ou d’une souffrance. Ma sensibilité passe du corps à l’esprit, et chemine jusque sur la page, dans un mouvement qui me délivre des pensées qui m’obsèdent. J’écris très lentement et chaque phrase nait avec tout son poids de sincérité, se mêlant aux « visions » que j’ai eues de la nature qui m’entoure.
J’essaie de m’exprimer à l’aide de jeux de mots, de rythmes et de musicalités. La musique blues est d’ailleurs très présente tout au long du recueil où « à portée de ciel la note bleue s’échappe dans les arpèges du soleil ».
Poursuivez-vous un but en écrivant ?
En écrivant, je souhaite exprimer l’impossible à dire en mêlant mes sentiments à la beauté de la nature qui est le symbole même du langage poétique : j’aime la décrire comme un dessin au crayon. Henri Michaux a eu une influence déterminante sur mes visions d’arbres noirs et dénudés de l’hiver où tout semble mort.
En écrivant, j’aimerais dire l’amour impossible comme un serpent qui toujours échappe à la prise, « couleuvre de mots coulés qui s’entête à taire ». A hauteur d’ombre peut se lire « à hauteur d’homme ». Danielle Collobert a beaucoup compté dans mon écriture pour dire cette absence qui brûle. C’est un univers où la douleur se déploie, à la limite de la déchirure. Les mots tombent, coulent et meurent en bas de page. C’est soudain le silence, la nuit sans espoir. L’ardeur d’amour pousse au bord du gouffre.
En écrivant, je revendique le droit du poète à défendre la noirceur de la poésie. J’ai été particulièrement sensible à la philosophie de Patrice Maltaverne, de la revue Traction Brabant, pour qui le désespoir cache habilement une volonté farouche de combattre des forces qui nous dépassent. Pour lui, une œuvre, voire une vie tragique, constituent justement une victoire tant que dure la vie, et même au-delà parce qu’il y a combat.
En écrivant, je désobéis à la forme pour la recréer en motifs comme un canevas sur la page blanche où je couds mes sentiments. Je donne des coups de sabre dans les phrases pour lutter contre les préjugés d’une société où prédominent la volonté du paraître et le poids des convenances.
Pouvez-vous nous dire quelques mots de votre prochain recueil ?
Le prochain recueil s’intitule « La parole comme un cristal de sel ». Il devrait être édité courant 2016. J’en ai composé les illustrations.
Dans ce recueil, les mots frôlent l’inaccessible même du désir, à la façon d’un tableau. Ces poèmes sont une offrande, un pont tendu entre ciel et terre. Le poème ne s’éprouve qu’à travers l’absence. L’écriture n’est possible que grâce à ce vide au cœur qui ouvre à l’infini du désir. La nature est toujours très présente. Elle symbolise l’énigme de ce réel qui ne peut être dit qu’à mots couverts. Ecrire, c’est rentrer dans le rêve où les mots seraient chant et peinture.
Quels sont vos prochains projets d’écriture ?
J’ai écrit un recueil qui s’intitule « De tout bois si ». Deux recueils encore inédits sont les « Poèmes pour faire suite à la défaite », ainsi que « Derrière paupières » qui palpite au son du flamenco. D’ici là, vous pourrez me lire dans Nouveaux Délits, la revue qu’édite Cathy Garcia, dont je vous parlais tout à l’heure.
Est-ce difficile de se livrer, de livrer, souvent à des inconnus, cette part de soi que révèle l’écriture d’un poème ?
Je suis traductrice de formation et j’arrive à coder ce que je ressens comme si j’écrivais dans une langue étrangère et secrète. Comme dirait l’un de mes amis, j’aurais pu travailler au cryptage dans l’armée ! Il m’est donc possible d’écrire en livrant mes émotions et en donnant corps à tout ce qui est muet, indicible. J’aime border le texte d’un halo de mystère, en ruinant toute certitude. En inscrivant au cœur même du poème des fragments d’illisibilité, je déconstruis le sens car je ne peux exprimer le chiffre secret du désir. Derrière le mot écrit se cache un autre mot, plus pur, plus complet où l’indicible fait signe. Les sentiments prennent parfois la forme d’animaux ou d’insectes qui envahissent le poème. Par exemple, les scarabées étaient pour les Egyptiens le symbole de l’amour.
Vous souscrivez donc à ce propos du philosophe italien Giorgio Agamben qui déclarait la semaine dernière dans L’Obs que la poésie est « une opération linguistique qui consiste à neutraliser les fonctions informationnelles et communicatives du langage pour l’ouvrir à un nouvel usage, qu’on appelle justement le poème » ?
Tout à fait. Cette « opération » ouvre sur un nouvel usage, universel, qui permet à chacun de comprendre les mots, mais à l’aune de sa propre histoire, réinterpréter les mots par rapport à sa propre vie.
S.P.A.B.
Morceau choisi :
« Il y a des paroles qui s’entourent de silence,
un silence qui se glisse
dans les tunnels obscurs des halliers.
On essaie de traduire mot à mot
tout ce silence
mais aucun sens ne s’en dégage
de tous ces brouillons raturés de tiges ligneuses
Les herbes ne lisent pas les lignes de la main
Elles font osciller les rêves de rouille,
accompagnant de leurs gestes lents
le désir qui se heurte au seuil
du soleil fossile »
(Extrait de A hauteur d’ombre)
Les ouvrages de Marie-Françoise Ghesquier Di Fraja sont en vente à La Mandragore, 3 rue des Tonneliers, à Chalon
Pour en savoir plus sur les éditions Cardère : http://www.cardere.fr/
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