Chalon sur Saône

Tribunal Correctionnel de Chalon - Six ans de prison pour le dealer d’Alicia

Tribunal Correctionnel de Chalon  - Six ans de prison pour le dealer d’Alicia

Vendredi soir vers vingt heures, le tribunal correctionnel de Chalon a envoyé pour six ans sous les verrous Thierry Gesell, 34 ans. Vraie « supérette de la drogue aux Aubépins », il a été reconnu coupable de plusieurs délits : homicide involontaire, atteinte à l’intégrité d’un cadavre, non-assistance à personne en danger, provocation directe de mineur à l’usage de stupéfiants et acquisition, transport et détention non autorisés de stupéfiants.

Alicia, élève de troisième au collège de Chatenoy-le-Royal était une « jolie brune aux yeux en amande ». Un petit gabarit : 1m 55, 47 kilos. Assez menue pour tenir dans une grande valise. Quand elle a fait un arrêt cardiaque au domicile de son dealer, le matin du 28 juillet 2014, Thierry Gesell, ce dernier n’a pensé qu’à s’en débarrasser. Alors, il a agrippé une valise, a plié Alicia pour qu’elle y tienne et abandonné le corps à Givry, à l’étang de Fontaine-Couverte, au petit matin. A l’audience, ce chauffeur-livreur et père de famille, qui punirait ses enfants s’ils touchaient à la drogue mais en revendait à une quarantaine de personnes, dont des mineurs dans l’agglo chalonnaise, multiplie les contradictions. Des variations. Parfois infimes ou incompréhensibles. Dire avoir abandonné le cadavre de la jeune fille sur la berge du petit lac, au pied d’un arbuste, alors qu’on a retrouvé le corps de la malheureuse flottant tout habillé dans l’étang, à 107 m de l’endroit qu’il décrit, ne change rien. Des gesticulations un peu vaines avec la réalité, qui font partie de sa logique personnelle, désagréable à suivre.

Huit ans de prison requis par le parquet

La substitut Caroline Mollier a listé plusieurs mensonges du prévenu au cours de son réquisitoire. "Il a été entendu 14 fois au cours de l'instruction, il l’est pour la 15e fois aujourd'hui. Il a donné 15 versions". Le ministère public requiert huit ans de réclusion. Souvent, les déclarations du prévenu sont marquées par des réactions du public, composé le matin de nombreux adolescents. Thierry Gesell fuit ses tristes responsabilités de dealer de quartier. La dernière échappée  qu’il puisse se permettre face à ses juges.

« Il ment comme il respire » résume aux enquêteurs un témoin. « Votre salmigondis de versions laisse une sensation d’écoeurement », assène la partie civile. Restent des faits incontestables. Alicia est morte, pour avoir, disent les experts, trop consommé d’ectasy. Le séjour prolongé dans l’eau de son corps sans vie n’a pas permis à sa famille de lui dire adieu avant la mise en terre. Christina, la mère d’Alicia, qui témoigne vendredi après-midi à la barre, d’une manière digne et apaisée saluée par la présidente du tribunal, n’accepte toujours pas. En pleine angoisse, le 30 juillet 2014, après avoir signalé la disparition de sa fille, alors que cette dernière est déjà morte, elle parle à Thierry Gesell déjà identifié comme la dernière personne à avoir vue Alicia. « Il a eu l’occasion de me dire la vérité et ne l’a pas fait. Il m’a regardé, s’est mis à pleurer. Il savait où elle était et m’a fait espérer autre chose. Je n’ai pas pu revoir ma fille morte et c’est sa faute à lui. Moi, j’ai assumé mes actes. Pas lui ». Sur le banc, pendant la plaidoirie de son avocat, Me Frédéric Hopgood, elle ne lâchera pas la main de son fils.

Argent facile et fuite dans le mensonge

« Alicia est morte à 14 ans pour quelques billets de 10 € », le prix des doses de résine de cannabis qu’elle achetait. Alicia, jeune fille pétillante mais fragile, avait pris l’habitude de fumer des joints, parfois dix par jour. Son oncle, Jo, décrit comme toxicomane, l’a présenté à Thierry. Ce dernier l’utilisait comme un rempart pendant des transactions, les mineurs encourant une sanction pénale moindre quand ils sont pris en possession de drogue. « Vous n’êtes pas toxicomane, ce qui vous intéresse dans le trafic, c’est l’argent facile ! Vous avez enlevé Alicia à tout le monde. Vous avez involontairement provoqué son décès. Je n’ai pas ressenti de votre part de compassion. Sans vous poser de questions, vous vous êtes débarrassé de son corps dans des conditions atroces » plaide l’ancien bâtonnier chalonnais. « Pourquoi, puisque vous niez avoir fourni l’ectasy qui a tué Alicia, prendre autant de précautions pour cacher votre sac de trafiquant ? ». Lors d’une écoute téléphonique en septembre 2014, les enquêteurs apprennent que Thierry Gesell a confié à l’oncle d’Alicia son sac, avec lequel il transportait toutes ses drogues, du cannabis à la cocaïne. Des expertises révèleront que ce sac à bandoulière a aussi contenu de l’ectasy. Et précipiteront la mise en examen du dealer, le 1er octobre 2014.

« Etre un menteur, ce n’est pas être un coupable. Tout le monde ment dans ce dossier », affirme Me Laurent Pascal, l’avocat chambérien venu défendre le prévenu. Dans une plaidoirie très construite et efficace, le Savoyard remet en cause l’instruction menée selon lui « plus à charge qu’à décharge », parlant de « trois témoins bancals » affirmant avoir vu Gésell en possession d’ectasy contre dix autres contraires, non retenus. Il évoquera le phénomène de « redistribution post-mortem » que seule cette drogue provoque en cas de décès, « la dose d’ectasy présente dans le corps augmente alors de 3 à 4 fois ». « C’est une escroquerie intellectuelle, scientifique et médicale de parler d’overdose d’ectasy comme cause de la mort ». Il énumère aussi, dans l’entourage de la jeune fille, les autres personnes susceptibles de lui avoir fourni la dope. « On l’a le coupable, il est là. Pourquoi s’arracher la tête à retrouver d’autres revendeurs ? » ironise-t-il. « Et pourtant, il y en avait des pistes ! ». Et de conclure qu’on a « taillé à son client un costume trop grand pour lui, la peine réclamée n’a pas pour but de punir ses actes, mais ce qu’il est. On vous demande une  peine d’Assises pour je ne sais quel trouble causé à l’ordre public ». Juste avant le délibéré, le prévenu se met à pleurer : « Je n’ai pas tué Alicia, je n’ai pas fourni l’ectasy, ce n’est pas moi ». La mère d’Alicia lui adresse un regard triste et las.

Après une heure de délibéré, le tribunal a condamné Thierry Gesell à six ans de réclusion avec maintien en détention, suivi d’une interdiction de séjour en Saône-et-Loire pendant cinq ans. Il devra 35.000 euros de dommages et intérêts à la maman d’Alicia, 20.000 euros au frère et à la soeur de la jeune fille et payer la moitié de la valeur de la sépulture comme les frais d’obsèques.

 

Florence Genestier