Chalon sur Saône

Assises de Saône-et-Loire - Vol à main armée à la bijouterie Azy-Romanet : entre alibi et ADN

C’était le samedi 28 janvier 2012, après 9 h 30, au moment de l’ouverture du coffre-fort et de l’installation des bijoux les plus précieux dans les vitrines. Deux hommes grimés et armés font irruption dans cette bijouterie de la Grande-Rue en plein centre-ville piéton de Chalon-sur-Saône. Après avoir immobilisé les deux vendeuses et une cliente, ils font main basse sur un butin estimé à 530.000 euros, qui n’a jamais été retrouvé. Deux Stéphanois aux casiers judiciaires bien garnis comparaissent. L’audience de mardi a été nerveuse.

Karim Salah et Farid Boulariah ont chacun plus de quinze condamnations à leur palmarès. Ils ont déjà fait de longs séjours en prison et semblent loin de l’angoisse qui étreint les cambrioleurs ordinaires qui s’asseyent dans un box vitré lors des procès en correctionnelle et aux Assises. Ils parlent peu aux psychiatres et psychologues chargés de les examiner, encore moins pendant leur garde-à-vue. Ils connaissent la musique et pas mal de prisons régionales. Malgré les six gendarmes qui les encadrent et les dizaines d’années de prison risquées, ils ont l’air, pour ce deuxième jour de procès chalonnais plutôt détendus. Celui qui reconnaît les faits, Karim, est défendu par une seule avocate. Celui qui les nie, Farid, a fait appel à deux plaideurs dont l’un, Me Philippe Scrève, est amicalement surnommé « l’avocat de la pègre lyonnaise » dans les prétoires de la région. Il est réputé très procédurier, pointilleusement efficace et a permis à nombre de ses clients d’être soulagés de quelques accusations en traquant le vice de procédure dans les dossiers. Aussi redoutable que distributeur de pointes de mépris à ses interlocuteurs, qu’il tente sans cesse de déstabiliser pour rassurer sa clientèle et créer le doute parmi les jurés. Ce mardi, encadré par ses collègues Mes Florence Vincent et Charles, il a malmené méthodiquement, sur le fil tendu de l’agressivité de prétoire et du reproche en compétence professionnelle le gendarme et les trois policiers venus témoigner. Me Scrève a reproché par exemple à la PJ de la Loire et à la cour de ne plus pouvoir fournir la fadette (liste des appels d’un suspect mis sous surveillance) évoquée dans un PV pour localiser son client au moment des cambriolages. Une de ses questions lui a valu un rappel à l’ordre, sous forme de cri, du président Arnaud, très affable pourtant. Dans le box, Farid Boulariah prend des notes.

A la réactivité du trio défensif répond la placidité de Me Jacques Morlet, partie-civile pour la bijouterie. Ouverte dans les années quatre-vingt-dix, la bijouterie Azy-Romanet si elle avait connu diverses effractions n’avait jamais été confrontée à un tel vol à main armée. Les deux vendeuses victimes, n’ont pas pris d’avocat et suivent les débats avec attention. Si la crainte d’une nouvelle agression a disparu, il leur a fallu toutefois du temps pour surmonter cet épisode désagréable.

Dans les années 2010, les jeunes malfaiteurs sont plus attachés aux passe-montagnes et à la cagoule qu’aux postiches.  Ce stratagème choisi par les truands est plutôt démodé. Pour les enquêteurs, ce mode opératoire qui utilise fausses moustaches, lunettes, couvre-chefs est une signature du duo incriminé et une marque de leur expérience. Une tentative d’intrusion dans une bijouterie à Vichy, un vol à main armée très similaire dans une bijouterie du centre-ville de Thiers (63) au braquage chalonnais, des images de vidéo-surveillance ou même les petites amies des accusés reconnaissent leur allure... Autant d’indices qui font lien pour la police. Du vent, des allégations peu étayées pour la défense qu’elle bat en brèche à chaque prise de parole.

Car le braquage de Chalon n’est pas une affaire isolée. Les enquêteurs de Thiers (63), Clermont-Ferrand, Saint-Etienne, Dijon sont tombés sur deux véhicules différents et volés et sur les traces ADN des deux suspects. Ils sont persuadés d’avoir « serré » les vrais responsables d’une organisation criminelle parfaitement organisée. Une planque non loin de Saint-Etienne, livrée par Karim,  dissimulait armes, Audi S4 et panoplie complète du braqueur de bijouterie. Dans l’Audi, plusieurs traces ADN des accusés.  Même chose dans un véhicule 4x4 partiellement brûlé retrouvé à Lyon, avec des documents du commerce chalonnais. Les victimes du hold-up de Chalon ont été ligotées avec des bracelets de serrage achetés par la victime d’un vol de voiture à Bourges. Des « serflex » qui ont gardé des cellules éparses des accusés et qui lient étroitement cambriolages et véhicules. Karim Salah absout de toute participation au hold-up chalonnais et de Thiers son comparse de box, parle d’un Lyonnais. On n’en saura pas plus. Juste avant la fin de l’instruction de l’affaire, en 2014, un témoignage d’un entrepreneur stéphanois évoque un entretien d’embauche le 28 janvier, jour du hold-up avec Farid Boulariah. Ni la police, ni les parties civiles et encore moins le parquet ne croient à cette version de l’emploi du temps du co-accusé… L’occasion d’une nouvelle passe d’armes à la barre. Farid, récidiviste, risque plus d’années de détention que Karim…

Pour la petite histoire, la piste du 4x4 utilisé à Chalon par les deux braqueurs présumés a été remontée grâce à un accrochage sur le parking Thiard. Une auto a été emboutie par le véhicule des malfaiteurs, partis se garer plus loin, juste avant l’action. Un passant, témoin des faits, a noté la plaque et laissé ses coordonnées sur le pare-brise de la voiture endommagée. Un petit mot qui s’est révélé très précieux pour remonter la piste des truands. Lutter contre le grand banditisme relèverait parfois de petits gestes citoyens anodins…

 

Florence Genestier

 

La journée de mercredi est consacrée en partie à l’audition de témoins et d’experts et notamment en génétique et ADN. Le verdict, après réquisitions et plaidoiries est attendu pour jeudi soir.