Faits divers

Tribunal correctionnel de Mâcon - On ne peut pas tout dire sur les réseaux sociaux

Tribunal correctionnel de Mâcon - On ne peut pas tout dire sur les réseaux sociaux

Deux amendes pour des internautes de Paray-le-Monial qui avaient commenté vertement un article de presse sur la condamnation d’un papy pédophile sur Facebook. Ils ont été poursuivis pour injure publique et atteinte à l’autorité judiciaire. Le papy a porté plainte, le parquet a poursuivi, le tribunal a condamné.

« Justice de merde ». Cet avis, exprimé sur la page « Tu sais que tu es de Paray-le-Monial quand… » par un internaute de Paray-le-Monial vaut outrage. Le jeune homme a exprimé cette opinion, en comparant sa condamnation personnelle de 2008 pour usage de stupéfiants avec la peine infligée par le même tribunal de Mâcon à un grand-père peu respectueux de l’intimité de ses petites filles. Il n’y est pas allé de main morte dans le choix des mots. Le fil de discussion sous ce compte-rendu d’audience publié en novembre 2014 par infochalon.com et qui par la magie du partage internet s’est retrouvé sur une page Facebook parodienne  le mois suivant n’a pas suscité de réactions mesurées.

 « Tu sais que tu es de Paray-le-Monial quand … » est une page sympathique et populaire, qui glorifie l’esprit chauvin parodien en échangeant de bonnes adresses, de bonnes recettes ou des photos marrantes, en recherchant les animaux qui s’égarent ou en commentant les spectacles. C’est un groupe fermé, soumis  à une charte d’utilisation qui compte près de 3000 membres.

Notre article ne citait pas le nom du prévenu mais pour les petites communautés ou les villes moyennes de Saône-et-Loire, les gens sont vite identifiables. Partageant un même dégoût pour les actes du grand-père condamné, les internautes choqués par l’histoire révèlent le nom du coupable sur le fil de discussion, vont même jusqu’à publier sa photo... Un phénomène de groupe où l’intelligence collective ne triomphe hélas guère. Le vice-procureur Frédéric Charles, qui connaît parfaitement le dossier du papy incriminé pour avoir suivi l’affaire et requis contre lui,  parlera dans son réquisitoire de « phénomène de meute ».

Farid (prénom changé) s’était épanché sur son propre cas, estimant que la possession de « shit » était plus sévèrement sanctionné que l’agression sexuelle. « Je n’ai pas mesuré l’impact de mes propos », reconnaît-il  face aux juges. « Si quelqu’un avait commenté de cette manière votre peine à vous et mis votre nom sur les réseaux sociaux, je suppose que ça ne vous aurait pas plu ? » interroge le président Santourian. Le prévenu le reconnaît sans problème.

L’autre prévenue, Suzanne ( prénom de substitution) a traité la victime de « Fils de pute » et de « gros bâtard ». Des injures. « Je n’aurai pas dû le dire sur Facebook », lâche-t-elle. Et le tribunal dans un effort pédagogique de distinguer liberté de penser et liberté d’expression. « Vous avez le droit de le penser mais pas de vous épancher publiquement en ces termes», résume le président.

Cette nervosité sur cette page Facebook s’ajoute à des tensions locales entre les divers protagonistes. Ils se connaissent de vue, bien avant l’affaire, ne s’apprécient guère, tout nourrit querelle et crée un bien mauvais climat. « Mon client cherche à tourner la page après sa condamnation, plaide Me Dufour, l’avocat du plaignant. Quand le tribunal rend un jugement, il le rend aussi au nom du peuple français. On l’a désigné sur Facebook comme le monstre de Paray. Quand on est condamné, quels que soient les faits, on a aussi le droit d'être respecté et  à ne pas se faire insulter en public.» Et de réclamer 3000 euros de dommages et intérêts.

Pour le parquet, qui a rappelé la liberté de blâmer y compris les institutions, « on n’a toutefois pas le droit de le dire n’importe comment ». L’affaire dont le plaignant s’est rendu coupable « n’était pas belle, certes mais la justice est passée, le jugement a été rendu. Il y a atteinte à l’autorité de la justice car quand on lit les commentaires, on a l’impression que la justice incite à la pédophilie. On ne peut pas laisser diffuser ce courant de pensée ! »

Les deux prévenus, sans avocats, ont été reconnus coupables et ont écopé de peines d’amende. Farid devra payer 1500 euros pour « atteinte à l’autorité judiciaire par discrédit jeté sur une décision de justice ». Suzanne 750 € pour « injure publique envers un particulier par parole, écrit, image ou moyen de communication électronique » et verser 1000 € en réparation du préjudice. La jeune femme, mécontente du jugement, a fait appel de la décision dès sa sorte de la salle d’audience. Tout cela s’inscrit dans un contexte local tendu, émaillé de provocations régulières. D’autres internautes évoquent, hors salle d’audience, des menaces de mort et envisagent eux aussi, une nouvelle action en justice. L’ambiance qui régnait au palais de justice mâconnais pendant l’affaire ce mercredi n’était pas sereine entre les deux parties. Venus soutenir leurs amis poursuivis, certains n’ont pas accepté la plainte du grand-père, reconnu victime dans cette affaire, et ont été expulsés de la salle d’audience pour s’être exprimé à voix haute, ce qui a évidemment exaspéré le tribunal. Face à la gravité des actes jadis commis par le papy agresseur qui les révulsent, les propos de leurs amis leur semblent bien anodins. Or, ces commentaires sont répréhensibles. C’est ce que le tribunal a tenté de faire comprendre ce mercredi. Espérons donc que les tensions s’apaisent à Paray-le-Monial…

 

Florence Genestier