Saône et Loire

Des amendes pour des internautes parodiens

Des amendes pour des internautes parodiens

Sur la page Facebook très populaire « Tu sais que tu es de Paray-le-Monial quand … », plusieurs internautes avaient commenté un article de presse racontant l’audience d’un grand-père parodien pour agression sexuelle envers ses petites filles. Les commentaires ont dérapé. Le grand-père a porté plainte. Une des internautes était poursuivie pour injure, l’autre pour atteinte à l’autorité de la justice.

« Justice de merde ». Un jeune homme, Farid (prénom de substitution) a exprimé cette opinion, en comparant sa condamnation personnelle de 2008 pour usage de stupéfiants avec la peine infligée par le même tribunal de Mâcon à un grand-père peu respectueux de l’intimité de ses petites filles. Il n’a pas mâché ses mots.

La page « Tu sais que tu es de Paray-le-Monial quand …» est une page très populaire et sympathique où les internautes s’échangent les bonnes adresses ou des recettes, recherchent leurs animaux perdus ou racontent leurs impressions sur les spectacles et les expos. La page regroupe près de 3000 abonnés, anciens ou actuels habitants de Paray.  Souvent, ils publient des articles en lien avec l’actualité locale. Au mois de décembre 2014, ils partagent un article de compte-rendu d’audience correctionnelle à Mâcon, racontant comment un grand-père a abusé de ses petites filles. Partageant un même dégoût pour les actes du grand-père condamné, resté anonyme dans l’article,  les internautes s'épanchent, choqués par l’histoire et révèlent le nom du coupable sur le fil de discussion, vont même jusqu’à publier sa photo... Le vice-procureur Frédéric Charles, qui connaît parfaitement le dossier du papy incriminé  parle dans son réquisitoire de « phénomène de meute ».

Farid (prénom changé) s’était épanché sur son propre cas, estimant que la possession de « shit » était plus sévèrement sanctionnée que l’agression sexuelle sur mineur. « Je n’ai pas mesuré l’impact de mes propos », reconnaît-il  face aux juges. « Si quelqu’un avait commenté de cette manière votre peine à vous et mis votre nom sur les réseaux sociaux, je suppose que ça ne vous aurait pas plu ? » demande le président Santourian. Le prévenu le reconnaît sans problème.

L’autre prévenue, Suzanne (prénom de substitution) a traité la victime de « Fils de pute » et de « gros bâtard ». Des injures. « Je n’aurai pas dû le dire sur Facebook », lâche-t-elle. « Vous avez le droit de le penser mais pas de vous épancher publiquement en ces termes», résume le président.

« Mon client cherche à tourner la page après sa condamnation, plaide Me Dufour, l’avocat du plaignant. Quand le tribunal rend un jugement, il le rend aussi au nom du peuple français. On l’a désigné sur Facebook comme « le monstre de Paray ». Quand on est condamné, quels que soient les faits, on a aussi le droit d'être respecté, de ne pas se faire insulter en public.» Pour le parquet, qui rappelle la liberté de blâmer y compris les institutions, « on n’a toutefois pas le droit de le dire n’importe comment ». L’affaire dont le plaignant s’est rendu coupable « n’était pas belle, certes mais la justice est passée, le jugement a été rendu. Il y a atteinte à l’autorité de la justice. Quand on lit les commentaires, on a l’impression que la justice incite à la pédophilie. On ne peut pas laisser diffuser ce courant de pensée ! »

Les deux prévenus, sans avocats, ont été reconnus coupables et condamnés à des peines d’amende. Farid devra payer 1500 euros pour « atteinte à l’autorité judiciaire par discrédit jeté sur une décision de justice ». Suzanne 750 € pour « injure publique envers un particulier par parole, écrit, image ou moyen de communication électronique » et verser 1000 € en réparation du préjudice. La jeune femme, mécontente, a fait appel de la décision à la sortie du tribunal. Tout cela s’inscrit dans un contexte local tendu, émaillé de provocations régulières. Des internautes solidaires des prévenus évoquent des menaces de mort et envisagent eux aussi, une nouvelle action en justice. L’ambiance qui régnait au palais de justice mâconnais pendant l’examen de l’affaire mercredi dernier n’était pas sereine sur les bancs du public. Venus soutenir leurs amis poursuivis, certains n’ont pas accepté la plainte du grand-père et ont été expulsés de la salle d’audience pour s’être exprimé à voix haute, ce qui a évidemment exaspéré le tribunal. Face à la gravité des actes jadis commis par le papy agresseur qui les inquiètent, les propos de leurs amis leur semblent anodins. Or, ces commentaires sont répréhensibles. Le tribunal a tenté d’expliquer cela pendant l’affaire mais le dégoût ressenti  par une partie de l’audience envers le plaignant les a empêchés d’entendre cet aspect des choses. Espérons que la tension retombe entre les protagonistes sur le terrain et sur internet.

 

Florence Genestier