Opinion

L’émotion et la peur, aussi légitimes soient-elles, ne doivent pas nous conduire à l’irréparable

L’émotion et la peur, aussi légitimes soient-elles, ne doivent pas nous conduire à l’irréparable

L'opinion d'une fidèle contributrice d'info-chalon.com.

A lire l’hallucinant communiqué qui a circulé dès samedi, dans lequel l’ « Etat islamique » revendique clairement les attentats survenus ce vendredi 13 novembre à Paris, les auteurs de ceux-ci ne font guère de doute : ceux qui les ont perpétrés sont directement en lien avec cette organisation, au nom de laquelle ils ont agi..

Ceci posé, pourquoi l’ « Etat islamique » nous a-t-il ainsi frappés ? En dehors du fait que la France intervient militairement dans plusieurs régions du monde où cette organisation sévit, ce qui lui complique la tâche, on peut assez valablement supposer que l’ « Etat islamique » nous a frappés parce que la France, à tort ou à raison, dans l’imaginaire de beaucoup, c’est le pays où la liberté, péniblement conquise à la fin du XVIIIème siècle sur les décombres de l’Ancien Régime, a progressivement conduit une population à se détacher de tout ce qui prétendait enfermer l’individu dans des cases étriquées, stériles, mortifères :  la religion et autres communautés dans lesquelles la prétention de dicter aux uns et autres ce qu’ils doivent faire à n’a d’égale que la pression et le contrôle social nécessaires pour y parvenir.

Pour le dire autrement, l’ « Etat islamique nous a aussi et surtout frappés parce que la France représente ce que les membres de cette organisation vomit : la libre pensée, pilier, non pas tant de la République, que d’une forme d’organisation politico-juridique dans laquelle l’existence de Dieu n’est jamais qu’une hypothèse qu’on laisse à chacun le droit de formuler du moment qu’il ne fait pas chier outre mesure ceux qui la récusent, et le droit de faire ou dire des conneries que l’on sanctionnera le cas échéant un principe fondamentale. En trois mots : une démocratie libérale et laïque.

Une démocratie libérale et laïque qui s’épanouit notamment dans ces lieux où l’on peut se retrouver et discuter à l’infini de l’existence ou de l’inexistence de Dieu, de façon plus ou moins vive, de préférence autour d’un verre de vin : ces cafés et restos où peuvent, sacrilège pour les peines à jouir de l’ « Etat islamique », se côtoyer hommes et femmes, qui plus est à visage découvert.

Si c’est bien contre cette démocratie libérale et laïque que l’ « Etat islamique » a tiré vendredi soir, autant le dire comme je le pense : elle aurait totalement réussi son entreprise de mort si, comme le préconisent un politicien à la petite semaine (Wauquiez), qui confiait récemment qu’ "en politique, on brasse du vent, on fait du buzz. Mais on ne change plus rien.", nous nous laissions aller à saper les fondements de cette précieuse liberté de dire et de faire des conneries, sous le contrôle du juge, qui nous sanctionnera le cas échéant, en nous infligeant une amende ou en nous condamnant à tâter du prétendu confort des prisons françaises. Pour le dire encore autrement, si nous ouvrions des camps ( !) pour parquer des suspects comme le propose l’inconséquent Wauquiez, et jetions avec l’eau du bain le bébé démocratique, libéral et laïc, l’ « Etat islamique » pourrait, à défaut de sabler le Champagne, se frotter les mains, voire tirer en l’air quelques rafales de Kalachnikov, puisqu’a priori c’est ainsi qu’ils manifestent leur joie…Bref, ce n’est certainement pas en sacrifiant notre démocratie libérale et laïque, au nom d’une sécurité pour le moins illusoire, que nous manifesterons quelque esprit de résistance à l’ « Etat islamique ». Bien au contraire, si nous abandonnons le mode d’organisation qu’ils exècrent parce qu’il contribue à rendre les esprits indépendants du dogmatisme - notre mode d’organisation politique démocratique, libéral et laïque -, ils auront réussi sur tout la ligne. Non seulement nous ne serons pas plus en sécurité, mais nous aurons commencé à…leur ressembler.

Ressembler à ces gogols, est-ce cela que nous voulons ? Que l’on soit ému devant ce qui s’est passé à Paris est légitime. Mais que l’on soit prêt, par émotion ou peur, à liquider sans autre forme de procès ce qui fait que nous sommes intrinsèquement différents de ceux qui nous ont frappés l’est beaucoup moins. Alors avant de faire ou soutenir l’irréparable, réfléchissez bien à la France que vous voulez et demandez-vous si ce que vous vous apprêtez à dire, à faire ou soutenir, plus ou moins mollement, ne vous rapproche pas des bourreaux que vous conspuez aujourd’hui.

Adèle PANTRE