Bourgogne

Tribunal de Villefranche-sur-Saône/ Flavescence dorée - Nouveau rendez-vous judiciaire le 15 décembre pour Thibault Liger-Belair

Tribunal de Villefranche-sur-Saône/ Flavescence dorée  - Nouveau rendez-vous judiciaire le 15 décembre pour Thibault Liger-Belair

La guerre de Troie, version Jean Giraudoux. Le procès de Thibault Liger-Belair n’a pas eu lieu. Ni réquisition, ni plaidoirie, l’affaire s’est arrêtée à l’évocation de la nullité de la citation. Quelques arguments de fond ont été évoqués mais Défense et Parquet ont été d’accord pour parler de « vice de procédure » et inciter le tribunal à reciter et réexaminer l’affaire. Impression d’une confusion à la fois géographique, administrative et juridique. Les explications d'info-chalon.com.

Affaire numéro deux inscrite ce mardi après-midi au rôle du tribunal de Villefranche-sur-Saône. Un rendez-vous citoyen était organisé peu avant l’audience, avec du vin et un casse-croûte, par les divers soutiens du viticulteur. Banderoles accrochées aux grilles du Palais de justice, des dizaines de messages de soutien scotchés aux barreaux, un apéro convivial est assez discret pour cause de deuil national sur le trottoir à la bonne franquette. Ambiance bon enfant parmi les militants environnementalistes et les amis du vigneron, qui n’a pas voulu répandre de l’insecticide sur ses vignes de Moulin-à-vent pendant l’année 2013, alors qu’un arrêté préfectoral de Saône-et-Loire lui en faisait obligation. Ses vignes sont à cheval entre Rhône et Saône-et-Loire, sur les communes de Chenas (69) et Romanèche-Thorins (71). C’est bien là le cœur du problème, symbolisé par une petite route frontière goudronnée de trois mètres de large. La qualité du vin se moque des frontières administratives. Et, comme l’a dit Me Michel Desilets, l’avocat du prévenu, la cicadelle, vilain insecte soupçonné d’être le vecteur de la flavescence dorée, jaunisse irrémédiable de la vigne ne doit pas y attacher d’importance non plus.  La préfecture de Saône-et-Loire, si.

 

Nullité des poursuites ?

 

L’examen de l’affaire n’est pas allée plus loin que la contestation de la citation à comparaître. A l’ « aberration administrative » concernant un domaine partagé entre deux départements qui ne donnent pas les mêmes obligations pour lutter contre un fléau viticole, vient –semble-t-il -s’ajouter « une aberration géographique ». « On a affaire à une citation à comparaître avec une erreur matérielle » souligne l’avocat du viticulteur. Et à la grande surprise de la défense, le ministère public abonde dans le même sens : « Il y a eu erreur sur le lieu du constat effectué par les services de la préfecture de Saône-et-Loire, note le procureur Grégoire Dulin. Les observations des services préfectoraux de Saône-et-Loire ont été faites à Chenas en novembre 2013, une commune du Rhône qui n’est pas concernée par l’arrêté d’octobre 2012. ! De plus, la qualification de l’infraction n’est pas rédigée correctement ni précisément, les observations sont lacunaires, on ne sait pas assez précisément ce qui est reproché au prévenu. ». Convoqué pour « refus d’effectuer les mesures de protection des végétaux », un délit sanctionné par un article des codes ruraux et  pénaux, Thibault prend soin de la même façon de ses vignes bi-départementales.

 

L’arrêté préfectoral rendant l’insecticide obligatoire en Saône-et-Loire n’aurait jamais été validé par le Ministère…

 

Autre argument développé par Me Desilets pour annuler la citation, le devenir de l’arrêté préfectoral du 25 octobre 2012. En cas de mesure d’urgence, comme la lutte contre la flavescence dorée peut l’être, un arrêté préfectoral a deux semaines pour être validée par le ministère. Or, selon la défense, l’arrêté bourguignon qui a créé désobéissance et polémique chez les viticulteurs en imposant l’insecticide à tous …ne l’a jamais été.

 « Le ministre n’a jamais validé l’arrêté, il a jugé que cela ne correspondait pas au cadre de lutte adéquat contre la maladie, poursuit l’avocat de Villefranche. Le texte n’a aucune valeur juridique ou légale or les poursuites sont basées sur cet arrêté. On peut aussi s’en remettre à la jurisprudence Giboulot, où je rappelle que la Cour d’appel de Dijon a relaxé le viticulteur après condamnation en première instance  ». De plus, complète Me Desilets, mon client n’est pas dans une opposition idéologique puisque les risques étant plus grands en Côte-d’Or avec un foyer à proximité, il a traité une partie de ses vignes à Nuits-Saint-Georges. »

 

Acte citoyen

 

« Il y avait une vraie incohérence pour moi, précise Thibault Liger-Belair à la demande du président. Je ne considère pas mon refus comme un délit mais comme un acte citoyen. Avec ces solutions chimiques systématiques, on induit des problèmes pour le futur. Il m’a paru responsable de ne pas appliquer l’arrêté. Vous savez, j’observe mes vignes, je les connais. Si j’appliquais le traitement, je ruinais tous mes efforts entamés depuis plusieurs années sur ces parcelles ».

Le procureur évoque lui « le vice de forme » dans la procédure pour demander l’annulation de la citation. Le vice de forme, habituellement déniché par un travail de fourmi traquant la moindre erreur de rédaction dans les PV ou les citations, reste l’arme favorite des avocats des caïds de la pègre pour libérer leurs clients et rendre caduque toute poursuite pénale. Plus rarement évoqué directement et franchement par les parquetiers. La défense a pu avancer quelques arguments de fond, en s’appuyant sur la personnalité solide du viticulteur et sa réputation professionnelle irréprochable. « C‘est un viticulteur responsable, qui n’est pas dans l’idéologie, qui n‘est pas bio à tout crin. Ce n’est pas par idéologie, par catéchisme qu’il a refusé l’insecticide. Il s’est posé un vrai problème de conscience. Le produit recommandé qui détruit la cicadelle détruit aussi les insectes auxiliaires, bénéfiques à la vigne. On éradique les abeilles, les vers de terre, les oiseaux avalent les vers de terre empoisonnés. Tout un cycle est détruit, sinon boiteux. Des traitements ont éliminé l’araignée rouge qui était un danger pour les récoltes certes, mais qui était la nourriture préférée d’autres insectes alliés du vigneron. Ce problème dépasse bien évidemment l’audience d’aujourd’hui. La réponse du tout chimique n’est pas la réponse adéquate. C’est aussi pourquoi les poursuites sont impossibles dans ce dossier ».

 

Ronde dans les vignes

 

Le défenseur avance aussi que la méthode actuelle choisie par les viticulteurs saône-et-loiriens pour surveiller l’expansion de la flavescence dorée rejoint les recommandations de 2013 de M. Liger-Belair et de ses amis. Invité à conclure par le président du tribunal, le viticulteur bourguignon a réaffirmé ses convictions : « On est des passeurs, on doit préserver nos vignes et si possible les transmettre dans un meilleur état qu’on les a trouvées. Le tout chimique nous envoie dans le mur ».

Le tribunal de Villefranche-sur-Saône se prononcera sur la nullité de la citation à comparaître, en validant ou pas le vice de procédure, le 15 décembre prochain. On saura alors si le vrai procès aura lieu ou si tout s’arrêtera là. Dehors, Thibault Liger-Belair s’avoue « confiant et soulagé », alors que son avocat sourit en pensant que l’on a juste abordé le « demi-fond » du dossier. Il est 15 h. Dehors, les militants décrochent les banderoles et les messages des grilles du palais en rebuvant un coup. Villefranche, samedi 21 novembre, célébrera le Beaujolais nouveau au cœur de la ville.

 

Florence Genestier