Chalon sur Saône
Le lugubre et prégnant Horla a repris vie aux Aubépins
Publié le 20 Novembre 2015 à 18h08
Remis antérieurement en mouvement au cinéma, à la télévision, au théâtre, et même en mode bande dessinée, le Horla de Guy de Maupassant, inféodé au genre fantastique, a fait un crochet jeudi soir par la Maison de quartier des Aubépins à Chalon-sur-Saône, où une dizaine de personnes ont été transposées de leur plein gré au XIXème siècle. Magistralement interprété par le comédien Xavier Regnault, le personnage en proie à une emprise démoniaque aura tenu en haleine un public confronté à une touffeur pesante, obsédante, monomaniaque. Jusqu’à la délivrance peu ou prou en pointillé…
Théâtralisation de la bête immonde à l’omniprésence et l’omnipotence grandissantes
Ce n’est pas l’œuvre la plus notoire du grand homme mort à l’âge de 42 ans en 1893, mais à coup sûr la noirceur du Horla (trois versions ont été rédigées) frappe durablement de consternation le lecteur ou le spectateur. Aux Aubépins, la semi-pénombre qui a enveloppé la chambre constituée de bougies, d’une lampe à pétrole, d’amoncellements d’ouvrages, d’un mobilier austère, d’une carafe d’eau, d’un miroir optimisant les reflets de l’âme incriminée, etc. a dans une atmosphère intimiste façonné un caractère très explicite à l’inexorable processus machiavélique. Adorateur de Maupassant en général, du Horla en particulier, Xavier Regnault a démontré une capacité mimétique peu commune pour rendre crédible ce combat sans merci contre les forces occultes. La gageure : faire ressentir la folie, cette lente mais irrémédiable dégringolade de son for intérieur ô combien meurtri, jusqu’au flirt avec l’irréparable, cet implacable combat contre une partie de son moi, souffre-douleur à son corps défendant. « Je me demande si je suis fou… », « Il ne se manifeste plus, mais je le sens près de moi… », « Quelqu’un possède mon âme et la gouverne… », « Le Horla au corps invisible et imperceptible, qui me fait penser toutes ces folies, je le tuerai… » L’intensité dramatique va crescendo, pour accoster au point de non-retour, par suite de l’épuisement des solutions dictées par son esprit dérangé. Protéiforme, le Horla, doué de la parole, est en mesure d’animer des objets, d’absorber de l’eau et du lait. On comprend dès lors mieux l’ampleur du malaise créé sur un sujet souffrant le martyr dans une solitude désespérante, par un Maupassant lui-même cible d’hallucinations et de dédoublement de la personnalité en raison d’une syphilis contractée par cet homme à femmes très mondain, d’où une certaine véracité sans doute nullement anodine…A l’avant-garde de la science-fiction au sein de la littérature française, l’écrivain n’a volontairement pas remis les outils à l’observateur pour qu’il dénoue l’écheveau dans les moments ultimes… »Alors, il va falloir que je me tue, moi », assène-t-il froidement au cours de sa dernière tirade, renvoyant tout un chacun à ses chères études ainsi qu’à une douloureuse expectative…Pour incarner ce pauvre hère, Xavier a eu un parti pris, celui de balayer d’un revers de la main le fantôme qui eût pu avoir la mainmise sur son esclave, au profit ici d’une progressive déchéance humaine.
Prochain Horla le 29 novembre à Nanton
Rompu à l’exercice précité consécutivement à ses séances de vulgarisation dans les collèges, lycées, bibliothèques, à Chalon au Théâtre du Grain de Sel, au Studio 70 ; etc. Xavier devise en toute connaissance de cause. C’est ce à quoi il s’est volontiers plié aux Aubépins à l’issue de sa hautement croyable prestation. « C’est un texte qui m’a parlé. Quand on le lit, on se sent happé par lui. C’est d’ailleurs la seule nouvelle où Maupassant emploie le « je ». Comment un homme « normal », pour lequel au début tout va bien, petit à petit sombre dans une paranoïa, persécuté par un être maléfique, ça m’a touché. On sent dans ce texte cette descente aux enfers. On touche du doigt avec ce texte la peur de cet homme entraîné dans cette espèce de tourmente. J’ai trouvé que Maupassant décrivait très bien l’état dépressif. Son écriture va à l’essentiel, il a une façon directe d’écrire. On n’a pas le temps de souffler lorsqu’on le lit ! Je trouve que Maupassant a reçu un bel hommage en étant adapté à la télé, et qu’à l’école il est connu, il est dans les programmes. C’est un grand de la littérature française. » Le comédien rejouera pour la énième fois le Horla le dimanche 29 novembre à 17h à Nanton, avec la Cie « Les Roulottes en Chantier ».
Il a d’autres cordes à son arc
Par ailleurs conteur, Xavier Regnault a monté son auto-entreprise « Compagnie en chemin de conte » il y a deux ans. Son souhait le plus vif ? Pouvoir en vivre à 100%, ce qui n’est pas le cas actuellement…Le membre de la Compagnie « Réplique à tout » assumera le vendredi 27 novembre un seul-en-scène à Givry (bibliothèque municipale à 20h), où il déclinera les facettes animalières du Roman de Renart. Pour en savoir davantage : www.xavier-regnault.fr
Michel Poiriault
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