Chalon sur Saône

Passe d'armes palpitante sur la dénazification des artistes, via Michel Bouquet et Francis Lombrail

Passe d'armes palpitante sur la dénazification des artistes, via Michel Bouquet et Francis Lombrail

Jusqu’alors les Théâtrales de Chalon-sur-Saône faisaient dans la légèreté, la gaudriole. En cette dernière journée dominicale à l’Espace des Arts, le curseur a été positionné sur la gravité à très forte teneur. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale en effet, un implacable mano a mano oppose un commandant américain à un éminent chef d’orchestre, s’agissant de l’éventuel compérage entre le second et le pouvoir hitlérien en place aux forts relents nauséabonds. »A tort et à raison », appellation de la pièce, c’est selon…

Deux blocs s’affrontent

L’action se déroule de février à juillet 1946 à Berlin, dans un contexte de dénazification des artistes. D’un côté, la culture portée aux nues par un Wilhem Furtwängler (incarné par le monstre sacré Michel Bouquet), face au pas franchement diplomate –doux euphémisme- commandant américain Steve Arnold (interprété par un remarquable Francis Lombrail), lequel n’aura de cesse de brandir un réquisitoire long comme un jour sans pain. Le gradé est obnubilé par une seule chose : soutirer des aveux de coopération malsaine avec en particulier le Führer. Problème, aucun document compromettant n’accrédite sa thèse. En revanche, des comportements qualifiés de suspects, si. A l’image de cette poignée de main accordée à Hitler, ou le fait de n’avoir point cesser de régenter la Philharmonie berlinoise. Toute la problématique résidera pour les deux excellents et principaux comédiens, à ne pas se départir de leur argumentaire, quitte à entretenir un flou certain pour l’un en étant contraint et forcé de vivre au gré des événements d’une manière ambiguë, ou à prêcher le faux afin de savoir si possible la vérité pour l’autre par le biais d’un faisceau de suspicions subjectives. Un marché de dupes indéniablement…

 

La culture, un monde à part

Steve Arnold, peu amène vis-à-vis du collaborateur potentiel, n’y va pas par quatre chemins lors de l’instruction du dossier, confiant en aparté son désir de faire tomber une tête couronnée : «Ce qui m’intéresse c’est de coincer ce salaud ». Lorsqu’il interroge sa victime expiatoire, le gradé entend invariablement celle-ci lui répondre en vertu d’un même axe de défense. « Mon seul souci était de maintenir ma musique à son plus haut niveau », ce à quoi le citoyen étasunien devait rétorquer : « Je crois que vous avez passé un marché, que vous avez serré la main du diable ? Pourquoi n’êtes-vous pas parti dès 33 quand Adolf est arrivé au pouvoir ? » « Beaucoup de gens haut placés me connaissaient. J’aime mon pays, et j’aime mon peuple de toute mon âme. Je suis resté ici pour que la tradition musicale de notre pays reste inchangée. Vous ne comprendrez jamais à quel point ce pouvoir pouvait être corrompu. On n’est plus qu’une enveloppe qui obéit. » Devant tant de soupçons à ses yeux infondés, Wilhem Furtwängler persiste et signe, plaide non coupable. « J’ai été très naïf depuis de nombreuses années. Ma vie entière est  vouée à la musique, la liberté, l’humanité, la justice. Il faudrait séparer l’art de la politique, mais ça n’a pas été le cas. Nous n’avons jamais représenté officiellement le régime lorsque nous jouions à l’étranger. Quoi que j’aie fait, ma seule intention était de prouver que l’art a plus de sens et d’importance que la politique. Ils avaient besoin d’une autre star pour prendre ma place, et quand ils ont appris que je ferais tout pour empêcher l’art d’être dirigé et contrôlé, ils ont décidé de me briser. » Nullement convaincu par ces allégations, le tortionnaire moral en rajoute une couche : «Je dis que vous êtes resté parce que c’était un paradis, ici.  Vous étiez le préféré du n°1 du pays. » Droit dans ses bottes, le chef d’orchestre de répliquer avec force conviction : »Je n’ai jamais rien dit qui soit contraire à mes convictions. J’ai toujours été parfaitement clair dans mon attitude envers les Juifs. » Indécrottable, le commandant n’en démord pas. « Bien sûr qu’il a aidé des Juifs, mais c’était pour se couvrir… », a-t-il de la sorte raffermit son doigt accusateur. Un vrai dialogue de sourds, illustré par des propos empreints d’encore plus de profondeur émis par Wilhem Furtwängler. « J’ai essayé de défendre la vie spirituelle de mon peuple contre des idéologies mauvaises. En restant ici, je pensais que j’étais sur une corde raide, entre l’exil et le bagne. Un artiste ne peut pas être totalement apolitique. C’est le devoir d’un artiste d’exprimer ses convictions. » De plus en plus vindicatif, Steve Arnold ne relâche aucunement sa pression malfaisante : « Je vous reproche de ne pas vous être fait pendre, je vous reproche votre lâcheté… » A bout de nerfs, le chef d’orchestre met un genou à terre. « Personne ne savait leurs atrocités. Mon Dieu, je ne peux plus rester dans ce pays, j’aurais mieux fait de partir en 34… » Info ou intox ? Au libre arbitre de chacun de séparer le bon grain de l’ivraie…En tout cas la standing ovation finale a attesté du degré de pénétration dans les esprits portés au didactisme.

                                                                                                  Michel Poiriault