Chalon sur Saône

"Deux hommes tout nus", ou l'homosexualité refoulée et le mensonge comme pierres d'achoppement

"Deux hommes tout nus", ou l'homosexualité refoulée et le mensonge comme pierres d'achoppement

C’est l’embrouillamini le plus total lorsque deux hommes s’éveillent un matin l’un à côté de l’autre, sans qu’aucun ne soit capable de rationaliser ce qui émerge en tant qu’incongruité, entachant de ce fait grossièrement l’honorabilité du plus âgé ! Et de fil en aiguille la trame de la pièce de boulevard désignée sous l’appellation « Deux hommes tout nus » n’aura de cesse de s’embourber dans des chemins sinueux. Ce dimanche dans un Espace des Arts de Chalon-sur-Saône très joliment rempli, le public a été confronté à de l’absurde tellement absurde qu’il n’a eu d’autre choix que de rire de bon cœur grâce à des répliques propices à l’avalement de couleuvres !

Contexte kafkaïen qui va contraindre le principal protagoniste à sortir des sentiers battus

Les Théâtrales, pour leur sixième arrêt sur image, avaient dans le collimateur l’homosexualité en toile de fond et un corollaire, l’affabulation. Ou l’art et la manière de se dépatouiller de situations inextricables en déployant des trésors d’ingéniosité…pas toujours avec les effets escomptés ! Rien ne prédisposait un avocat à la solide réputation, en l’occurrence Alain Kramer (François Berléand), à se retrouver dans le plus simple appareil en compagnie de Thierry (Sébastien Thiéry, auteur par ailleurs de la comédie), un associé, avocat fiscaliste de profession. C’est déjà une incohérence insoluble en soi. Mais lorsque débarque avec pertes et fracas l’épouse (Isabelle Gélinas) d’Alain Kramer, ensemble depuis vingt-cinq ans, l’embarras doit très vite adopter une contenance valable afin de ne pas perdre les pédales. « Ca te gêne, ça te pose un problème ? Toute la journée on nous oblige à porter la robe ! », lui rétorque l’homme de loi. Interrogé également, Thierry a une échappatoire qui réside dans une nudité motivée par une sombre histoire de micro à découvrir. Quand la femme du mis en cause tombe malencontreusement sur une capote usagée, son sang ne fait qu’un tour : « C’est ça que tu appelles ramener du travail à la maison ? ». Et de prendre la poudre d’escampette…

 

Chassez le naturel…à la fin ses dénégations battent en retraite

Nouvelle nuit achevée, et même incompréhension. On prend les mêmes, et on recommence ! Un préservatif est passé de vie à trépas, et traîne négligemment sur le sol…Trois jours après sa moitié rentre au bercail et entend son mari proférer à haute voix qu’il a un penchant pour la gent masculine, suite à un semblant de thérapie dont l’instigateur est son collègue de travail. Faisant contre mauvaise fortune conjugale bon cœur, la femme baisse sa garde. « Etre gay, c’est pas une maladie honteuse. On ne va pas te brûler vif, on est en 2016 ! Tu ne seras pas le premier senior à faire son coming out ! Je peux vivre avec un homosexuel, mais pas avec un menteur », lui a-t-elle signifié. Alors que tout semble l’accuser, l’avocat enclenche la vitesse supérieure et recrute une escort girl afin que son épouse la prenne pour sa maîtresse, ce au domicile familial. Le souci initial n’est pas pour autant réglé. Tenace, la conjointe veut désormais faire porter le poids de la culpabilité sur les épaules du collègue en lui tendant un piège, délivrant à son mari le mode opératoire : »Tu l’attires ici, tu le séduis, et tu te le fais ! ». La victime potentielle ne l’entend toutefois pas de cette oreille, éconduit manu militari son soupirant fictif. C’eût pu en rester sur ce constat d’échec. Que nenni ! A la faveur de la nuit Alain Kramer se rince l’œil seul en observant discrètement dans l’un des appartements qui lui font face, un mâle au corps sculptural en train de se dévêtir…Sa bisexualité pointe subliminalement le bout de son nez, prise entre le marteau et l’enclume : le fait de ne point trahir sa compagne aimée, et sa part d’ombre dictée par son inconscient…Etre ou ne pas être, telle est la question !

                                                                                            Michel Poiriault