Saône et Loire économie

BERNARD LACOUR : «Les agriculteurs ont besoin de justes prix et de marges»

BERNARD LACOUR : «Les agriculteurs ont besoin de justes prix et de marges»

Dans une longue interview, le Président de la FDSEA de Saône-et-Loire se penche sur la crise et ses conséquences pour les agriculteurs, asphyxiés par de grands groupes. Il appelle à la concertation et lance : «Il faut arrêter de croire que tout se décide ailleurs».

L’actualité agricole est marquée par les crises à répétition qui n’épargnent aucune production. Bernard Lacour, président de la FDSEA de Saône-et-Loire, analyse les avancées obtenues, mais aussi le chemin qu’il reste à parcourir. Il précise aussi le travail de fond mené depuis plusieurs mois avec son équipe. Interview.


La Saône-et-Loire s’est moins mobilisée lors de cette dernière vague de mobilisations que lors de l’été dernier…
Bernard Lacour : en Saône-et-Loire, nous avons fait le choix de ne pas bloquer les routes parce que nous pensons que dans ce qui se passe actuellement, nous avons plus que jamais besoin du soutien de l’opinion publique, de la société française. D’où notre choix de rejoindre les actions de blocage de centrales d’achat engagées dans l’Allier et l’Ain. Près de 300 manifestants saône-et-loiriens se sont ainsi mobilisés la semaine dernière dans l’Allier et l’Ain, tout comme les agriculteurs de ces derniers nous viennent en renfort lorsque nous bloquons un site comme Bigard.
Plus fondamentalement, nous avons fait le choix en Saône-et-Loire, après un été 2015 de très fortes mobilisations chez nous, de nous impliquer en priorité, pour sécuriser le dossier Sécheresse. Ce dossier représente, en l’état, plus de 17 millions d’€ pour notre département, avec une indemnisation moyenne de 5.700 € par exploitation d’élevage. Notre travail se poursuit d’ailleurs pour élargir le taux de pertes et la reconnaissance de l’ensemble du département.

Que penser des annonces renforçant le Plan d’urgence pour l’Elevage ?
B. L. : le plan annoncé en septembre dernier est décevant il faut bien le reconnaître, et cela au regard des attentes qui étaient celles de la profession. Décevant par la faiblesse des moyens mis en œuvre et décevant dans ces mesures qui ne concernent en fin de compte que les éleveurs les plus en difficulté. Et cela reste vrai même s’il a été renforcé. Dans ce cadre, la Saône-et-Loire devrait recevoir un million d’€ supplémentaire suite aux récentes annonces du ministre de l’Agriculture, ce qui représentera au total un tiers du besoin initial mis en évidence par la Cellule départementale.
Nous apprécions peu être davantage la baisse de 10 points des cotisations sociales MSA annoncée par le Premier ministre, baisse qui redonnera un réel regain de compétitivité, et cela à toutes les exploitations et quelles que soient leurs productions, viticulture, élevage viande et lait, grandes cultures, productions spécialisées… C’est une vraie avancée qu’il faut souligner et dont nous devons nous féliciter.
Il ne faut pas davantage négliger l’année blanche sur la MSA pour ceux qui sont les plus en difficulté. Et cela, une fois encore, quelles que soient leurs productions.
De même, il faut souligner le travail de fond que les mobilisations de l’été dernier comme de ces derniers mois ont permis avec, par exemple, la "Charte laitière de valeurs" de véritable avancées. Celle-ci est un vrai socle cadre pour des négociations commerciales durables qui doivent permettre de garantir une meilleure rémunération à chacun des acteurs de la filière. Les enseignes de la grande distribution se se sont ainsi engagées au côté des producteurs de lait à « partager équitablement les risques de volatilité des prix en cherchant des moyens de limiter leurs fluctuations » ainsi qu’à « mieux informer les consommateurs » sur l’origine du lait dans les différents produits laitiers.
Dans la foulée, il appartient aux autres filières de conduire un travail équivalent pour permettre une vraie répartition des marges entre leurs différents maillons, de manière à ce que, tous ensemble, nous soyons à même de créer de la valeur et de cesser de la détruire.
 
Comment défendre ce modèle propre aux Zones intermédiaires alors que l’on ne parle que de compétitivité ?
B. L. : aujourd’hui, nous payons le fait que, depuis les années 1980, les pouvoirs publics n’ont pas su choisir le modèle agricole français. La crise actuelle est le résultat d’un non choix des politiques, tous bords confondus, entre :
· le modèle industriel, comme on le rencontre dans les grands bassins de production, qu’on a envoyé sur les marchés mondiaux avec des chaînes  aux pieds : un boulet fiscal, un boulet de sur-administration, un boulet environnemental… Tout cela conduisant à l’impossibilité d’être compétitif. On pense à la ferme des mille vaches, qui ne correspond pas à notre modèle français, alors que chez nos concurrents en Allemagne, par exemple, le modèle est une ferme de deux mille laitières…
· dans le même temps, et parce qu’il n’y a pas eu de choix politiques, les contraintes sont calquées sur ledit modèle industriel et appliquées aux exploitations de nos régions extensives. Ce qui a pour conséquence de décourager les agriculteurs qui n’ont ni la productivité, ni les prix, mais doivent supporter les mêmes charges. On pense aux mises aux normes, qui ont été un véritable rouleau compresseur économique dans nos régions. On peut aussi parler des SNA, les fameuses Surfaces non agricoles, alors que nous avons conservé des haies, des bosquets, des mares, des fossés… Bref de la biodiversité, mais cela nous compliquent grandement la donne…
Et faute de choisir, on a assassiné les deux modèles.
C’est d’ailleurs ce qui a dicté notre choix de ne pas conduire, lors des dernières semaines, les mêmes actions que celles qui ont été initiées dans d'autres régions.
Les régions comme les nôtres, Bourgogne Franche-Comté ont des spécificités à faire valoir, tant par leur positionnement intermédiaire que la place de l'élevage extensif, la proximité d'importants bassins de consommation ou la part des signes officiels de qualité... Elle doivent plus que jamais bénéficier d'un traitement spécifique tant pour la redistribution des fonds du 1er que du 2e piliers que dans l'accompagnement de l'accès aux marchés pour lequel elle n'ont ni les mêmes atouts ni les mêmes possibilités que les grands bassins de productions.

Quels sont les prochains RDV ?
B. L. : nous poursuivons notre travail de sensibilisation des élus, mais aussi des collectivités sur la nécessité de regagner des parts de marché dans la restauration hors foyer, dans les cantines scolaires, les hôpitaux, les maisons de retraite, mais aussi la restauration commerciale.
En ce qui concerne les grandes surfaces, ce vendredi même, nous avons conviés les directeurs sur deux exploitations dans le Chalonnais, pour tenter, sans attendre, de renouer le dialogue avec eux, dialogue qui malheureusement n'existe pas au sein des filières où les rapports ne se conçoivent qu’au travers d’un rapport de force. Il nous faut retrouver une complémentarité entre le syndicalisme et les organisations à vocation économique. La filière laitière avec sa charte de valeurs nous montre la voie pour les autres secteurs…
Dans le même ordre, nous avions convié l’ensemble des organisations agricoles du département le 10 mars prochain pour, ensemble, voir s’il est possible de définir une stratégie commune visant à la création de valeur ajoutée conservée sur les territoires. Mais aussi pour nous fixer quelques objectifs en commun.
Enfin, en parallèle, nous travaillons à la FDSEA à la réorganisation du réseau pour être à même de débattre et participer aux choix qui impactent l’agriculture au sein des communautés de communes.
 
En somme…
B. L. : il nous faut arrêter de croire que tout se décide ailleurs. Ici, là où nous sommes, nous devons activer tous les leviers à notre disposition. Avec la restauration hors foyer, les GMS… Il y a de vrais leviers.
Et nous devons faire en sorte que les pouvoirs publics et l’opinion publique restent nos alliés pour les activer.
Il faut arrêter de gérer à l’émotionnel. La sortie de cette crise passe avant tout par des prix rémunérateurs et par une juste répartition des marges, notamment au profit des producteurs, ce que beaucoup ont oublié…
 
S’il n’y avait qu’un message à passer à nos partenaires et à nos élus, ce serait ?
B. L. : ce serait de dire et redire que la survie de notre modèle agricole passe par le revenu des agriculteurs, lequel est lui-même conditionné par une juste répartition des marges au sein des filières.
La répartition des marges est à ce titre la question fondamentale.

Recueilli par Nicolas Durand
L'Exploitant Agricole