Faits divers

TRIBUNAL CHALON - Nièce « noire » et abus de faiblesse

TRIBUNAL CHALON - Nièce « noire » et abus de faiblesse

La nièce de soixante-et-onze ans d’une vieille dame de près de quatre-vingt-dix ans était poursuivie vendredi pour « abus frauduleux de faiblesse sur personne vulnérable ». Elle a été reconnue coupable et condamnée à 18 mois de prison avec sursis pour des faits s’étalant de novembre 2013 à fin juin 2015.

« Il y a des veuves « noires », mais sachez qu’il existe aussi des nièces « noires » et la prévenue en est une ». Me Bibard, qui plaide pour la partie civile, c’est-à-dire pour les enfants du mari décédé de la vieille dame qui ont tiré la sonnette d’alarme et averti la justice des actions suspectes de la prévenue, ne mâche, comme à son habitude, pas ses mots.

La prévenue a 71  ans, des cheveux blancs retenus en chignon ouvragé et ornés d’une pince fantaisie. Vêtue de noir, elle porte une écharpe rose. Très vite à la barre, elle demande à s’asseoir en évoquant ses problèmes de santé, ce que la présidence lui accorde. Elle est venue avec sa vérité, elle a œuvré pour le bien de sa tante et « ne comprend pas trop ce qu’on lui reproche », elle qui s’est si bien occupée de sa tante malade, déprimée et abandonnée par tous selon elle. Heureusement qu’elle était là pour s’occuper de tata.

Son avis n’est pas partagé par tous. La victime, actuellement en maison de retraite près d’Autun a longtemps vécu dans une maison au Breuil, avec son mari, mort des suites d’une longue maladie il y a quelques années. Son mari a eu eux enfants d’un précédent mariage, enfants à qui il a demandé de veiller sur son épouse à sa mort, elle qui n’a jamais eu l’habitude de s’occuper des affaires financières et comptables du ménage. D’après son fils, partie civile à l’audience, feu le mari avait une opinion assez tranchée et définitive sur la nièce de son épouse, qui comparaît ce vendredi.

Infirmière libérale retraitée, la dame met en avant son passé « social ». Elle et son mari ont été famille d’accueil de jeunes délinquants. Elle nie les faits qui lui sont reprochés. « Ma tante a toujours cru qu’elle pouvait utiliser ses comptes. Je vais toujours la voir. Elle est d’ailleurs malade de la situation ».

Transfert de fonds d’un compte à l’autre

Le tribunal a toutefois une autre lecture de la situation. Si, au lendemain d’un accident survenu dans sa maison du Breuil en novembre 2013, la tante se brise le coude et part en convalescence chez sa nièce, pour la prévenue il s’agit de charité désintéressée. Dès fin novembre 2013, un premier transfert de fond – 6000 euros-  a lieu du livret A de la vieille dame à son compte bancaire. Pour la partie civile et l’UDAF, représentée par Me Charlotte Lamain, « l’essoreuse se met en marche ». Les frais mensuels et prélèvements divers sur le compte de la vieille dame passent soudain de 141 € en octobre 2013 à plus de 3000 € deux mois plus tard. « Elle était d’accord pour participer aux frais » commente la prévenue. Un compte-joint entre tata et nièce est bientôt ouvert, des transferts de plusieurs milliers d’euros commencent entre les comptes. Les beau-fils et belle-fille de la tante se voient retirer leur procuration sur le compte de leur belle-mère. Les dépenses continuent. En janvier 2015, le procureur, averti par les beaux-enfants saisit le juge des tutelles. La tante est mise sous curatelle renforcée en août 2015 et n’a plus la main sur ses comptes. Deux experts se rendent auprès d’elle. S’ils ne concluent pas à une altération générale du jugement, les deux médecins notent une conception fantaisiste de l’argent et de gros problèmes de conversion monétaire. Elle affirme à l’un « bénéficier d’une bonne retraite d’environ un million de francs mensuels », plus de 2000 euros en fait. Elle parle toujours en anciens francs, qui datent du temps du Général de Gaulle au pouvoir, avant qu’il n’instaure les nouveaux francs. Autant dire que comme beaucoup de personnes de sa génération, la conversion en euros est problématique. Les médecins décident de la mettre sous tutelle, du fait de son inaptitude à la conversion. Un problème balayé par la nièce à la barre : « Elle sait très bien qu’une voiture, ça ne coûte pas le prix d’un bifteck ».

« En 66 semaines, vous avez dépensé plus de 55.000 euros sur les comptes de votre tante, c’est-à-dire, trois fois plus que ce qu’elle avait besoin, avance la présidente du tribunal. Il y a des frais de cigarettes, l’achat d’une voiture, des retraits, un pöele. Plus aucun frais de courses ne figure sur votre compte personnel à partir du moment où elle arrive chez vous. En fait, vous avez dépensé trois fois plus que la somme nécessaire pour assurer ses dépenses courantes». Participation aux frais, volontaire, répond la prévenue.

Plus tard, les enquêteurs découvrent le brouillon d’un testament rédigé par la nièce à son profit et à celui d’autres neveux et nièces. « Vous vous en occupez dès 2013. ça colore un peu le dossier » note la présidente. « Vous semblez plus intéressée par sa fortune que votre tante finalement» Farouche dénégation de la nièce, qui se fait rappeler plusieurs fois à l’ordre par le tribunal car elle tient à donner sa version, sans laisser la présidente Therme aller au bout du récit des faits et des questions. La nièce s’est aussi inquiétée des bénéficiaires des contrats d’assurance vie de sa tante. « Je n’ai jamais eu le sentiment de faire du tort à qui que ce soit. Dans la mesure où elle n’a pas d’enfant, on ne fait de tort à personne », assène la prévenue.

Une dépendance calculée

Pour le beau-fils et la belle fille c’est une autre histoire. Ils avaient promis à leur père de veiller sur leur belle-mère, afin de s’assurer que pour ses vieux jours, elle ne manque de rien. La belle-fille de la victime, médecin du travail, témoigne d’une voie émue : « Elle a organisé la dépendance de notre belle-mère, qui se débrouillait très bien dans sa maison et aurait pu y rester plus longtemps, avec des aides. C’est une infirmière, elle l’a rendue dépendante pour l’affaiblir et la dépouiller. Elle a influencé notre belle-mère pour la persuader que nous étions de mauvaises gens. » Il a été impossible aux deux enfants d’entrer en contact, même téléphonique, avec leur belle-mère à partir du moment où elle est entrée chez sa nièce. « On s’est gavé sur le dos de cette vieille dame, s’indigne Me Bibard, qui défend les beaux-enfants de la victime. Tout ceci est sidérant. La prévenue fait preuve d’un aplomb qui me sidère ». Me Lamain plaide pour l’UDAF et avec l’accord de la victime qui a « pris conscience de l’abus qu’elle a subi, même si elle souhaite continuer à voir sa nièce. « Elle aurait pu récupérer dans un centre après son accident et réintégrer ensuite son domicile. Dès sa sortie d’hôpital, il y a main-mise de la nièce sur la tante. Son niveau de vie passe d’une dépense de 880 € en moyenne mensuels à 3800 €. La prévenue n’en est pas à son coup d’essai. » Au cours de l’audience, on apprend en effet, suite à un témoignage du frère de la prévenue, qui ne s’est pas dit surpris de la procédure contre sa sœur, que cette dernière s’est occupée voilà des années, d’un grand-oncle handicapé qui possédait lui aussi quelque bien.

22 mois requis

Le parquet, représenté par Charles Prost, rappelle quelques déclarations faites aux enquêteurs par la prévenue : « J’ai bien fait d’en profiter avec la tante ». Une « franchise confondante et plus qu’inquiétante » selon le ministère public » qui rappelle, qu’hors frais normaux pour la tante, le montant des sommes perçues indûment par la nièce et sa famille représentent 42.000 euros en quinze mois. « Qu’est ce que ce serait si le séjour avait duré quatre ans ? Que resterait-il du patrimoine de la victime ? » interroge le parquet pour qui « la volonté de dépouillement est réelle, on est dans un abus de faiblesse classique mais dans un cadre extrême. La prévenue ne regrette rien, est dans la négation. On a mal agi car on a brisé des liens familiaux. C’est un acte particulièrement désagréable et les mesures de protection ont été prises à bon escient. «  Charles Prost requiert une peine de 22 mois de prison et l’obligation de rembourser la victime.

Lourde tâche pour Me Diry qui assure la défense, peu aidé par l’attitude à l’audience de sa cliente. « Quelle est la différence entre ma cliente et le petit-fils qui tanne sa grand-mère pour avoir un scooter à Noël ?, argumente l’avocat. Trop vite, on qualifie son attitude d’abus de faiblesse. Un abuseur, c’est un agresseur. Ma cliente est aussi une personne âgée. » Le jeune avocat évoque l’affaire Bettencourt, dit que « l’abus de faiblesse est encore une notion mal cernée » par le droit, que rien ne prouve la faiblesse de la victime qui sur d’autres sujets, a une mémoire et une vivacité d’esprit encore étonnante. Selon lui, « on n’a pas affaire à quelqu’un qui ne comprend rien à rien, c’est faux . On est dans un entre-deux dans ce dossier». La défense plaide la relaxe.

La nièce a été reconnue coupable et condamnée à 18 mois de prison avec sursis, assorti d’une mise à l’épreuve pendant trois ans. Elle devra rembourser 42.555 euros à sa victime, 2000 € de dommages et intérêts et prendre à sa charge les frais de défense. Elle devra aussi rembourser les frais de défense des deux beaux-enfants. « La prochaine fois que je verrais quelqu’un à terre, je le laisserais » a commenté, dépitée la nièce quand le tribunal a rendu son jugement.

 

Florence Genestier