Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - La paralysie au bout de la flèche

TRIBUNAL DE CHALON -  La paralysie au bout de la flèche

Triste affaire, comme souvent au tribunal. Ce vendredi, le tribunal correctionnel jugeait pour blessures involontaires un employé à l’initiative bien malheureuse. Le 17 mai 2013, à la pause déjeuner, une chamaillerie entre collègues sur un chantier dans une maison de Moroges tourne mal. Un jeune homme est désormais paralysé.

Une flèche, fichée dans la tête, au niveau de l’oreille. Voilà comment, ce triste 17 mai 2013, s’est terminée une chamaillerie entre collègues de travail, à l’issue de la pause-déjeuner, sur un chantier à Moroges. Trois employés d’une entreprise de plomberie-zinguerie s’activent au domicile d’un particulier pour la rénovation du toit. Les trois hommes s’entendent bien. Surtout Lucien, un quinquagénaire et Antony, (prénoms changés) le jeune apprenti qu’il a pris sous son aile. Pour taquiner son aîné, le jeune homme jette de l’eau sur Lucien. Pour plaisanter, Lucien s’en va chercher un arc aperçu dans le garage et une flèche et dégaine. Il vise un arbre à proximité du jeune homme. Il veut l’effrayer, toujours pour rire.  L’arc n’est pas un jouet, c’est un arc de compétition qui appartient au propriétaire des lieux. La flèche atteint Antony, au niveau de l’oreille, qui s’écroule. Lucien, retire la flèche, prévient les secours, mais il est déjà trop tard. Depuis cette date, le jeune homme d’une vingtaine d’années est à l’entière charge de ses parents, se déplace en chaise roulante, souffre d’une hémiparalysie. Il a retrouvé l’usage de la parole mais connaît encore des difficultés d’élocution. Il est resté un mois au service de réanimation du CHU de Dijon, une année en centre spécialisé. Depuis trois ans, les progrès sont minimes. Depuis trois ans, Antony n’a touché aucune indemnité non plus, la situation générant une bataille d’assurances.

Lucien risque au maximum deux ans de prison et 30.000 euros d’amende. Voilà ce que prévoit le code pénal pour ce délit de blessures involontaires. Comme d’habitude, le tribunal chalonnais, exceptionnellement présidé par M. Catherine, a tenté de mieux comprendre les circonstances de l‘accident. Lucien et Antony, amis avant les faits, continuent à se voir. Lucien, avec l’accord de la famille du jeune homme lui rend visite chaque semaine. Voûté, un peu taiseux, décrit comme « gentil » et « boudeur » parfois,  l’homme raconte les circonstances de l’accident. Il répète n’avoir pas soupçonné la puissance de l’arc. Depuis, il est dans une culpabilisation terrible. On évoque une tentative de suicide, peu de temps après les faits, qui lui ont aussi valu une hospitalisation temporaire à Sevrey.

L’avocate d’Antony, Me Charbonnel, sans jamais tomber dans le pathos, évoque simplement le quotidien actuel du jeune homme. Qui répète souvent « Je ne suis plus moi , je ne peux plus me regarder », à la maison. Qui a du mal à renouer avec ses amis de sa vie d’avant. Le quotidien s’est adapté. Sa chambre était à l’étage. Il ne peut plus y accéder. Tout a été réorganisé. Depuis peu, il a entamé aussi des soins psychologiques. L’avocate salue le courage des parents du jeune homme, dévoués. Venu assister à l’audience avec ses proches, la victime, comme ses parents, n’a pas souhaité faire de déclaration.

Pour le parquet, qui commence ses réquisitions en évoquant le handicap lourd de la victime, « l’acte, même involontaire existe comme la victime existe. Une faute a été commise». Selon Charles Prost, le prévenu « aurait dû considérer que ce qu’il avait entre les mains n’était pas un jouet, mais une arme ». Le ministère public requiert une peine de dix mois de prison avec sursis à l’encontre du prévenu.

La défense, assurée par Me Philippe Boulisset, avocat inscrit au barreau d’Aix-en-Provence et originaire de la région, se contente d’une plaidoirie sobre et concise. Comme si la tristesse de la situation se suffisait à elle-même. L’acte est « accidentel et purement involontaire ». L’avocat salue aussi l’attitude de la famille du jeune homme « qui n’a jamais accablé le prévenu » et a permis que des liens d’amitié continuent, malgré le drame, entre les deux hommes.

Les avocats représentant les assurances, qui se renvoient la responsabilité d’un éventuel dédommagement, ont renoncé à plaider au fond, préférant garder leurs arguments pour le renvoi aux intérêts civils. Comme si, face à la détresse et la réalité crue de la vie actuelle du jeune homme désormais handicapé, il n’y avait, dans ce prétoire-là, plus rien  ajouter.

Le prévenu a été reconnu coupable de blessures involontaires et condamné à six mois de prison avec sursis. Une expertise médicale a été ordonnée. Les parties civiles de la victime et de sa mère ont été jugées recevables. Le prévenu a été reconnu entièrement responsable et devra verser un minimum provisionnel de 15.000 euros à son ancien collègue. Une audience au civil prévue en octobre devra statuer en détail sur les indemnisations.

 

Florence Genestier