Chalon sur Saône

Le grand Francis Huster se livre à info-chalon.com

Le grand Francis Huster se livre à info-chalon.com

Travailleur infatigable jouant sur tous les fronts, l’exaltation faite homme au sens noble du terme, Francis Huster est un artiste qui a ressuscité tout au long de son étonnant parcours un nombre absolument incroyable de personnalités dignes de foi avec un brio à nul autre pareil. Ce vendredi 3 février il évoluera comme un poisson dans l’eau à Chalon-sur-Saône, salle Marcel-Sembat, en compagnie notamment d’Ingrid Chauvin, grâce à Avanti, une pièce de Samuel Taylor adaptée par Dominique Piat, dont le metteur en scène est Steve Suissa. Les retardataires, n’envisagez pas d’y assister, il n’y a plus de places disponibles. Interview pour info-chalon.com

Avanti, est-ce une sorte de dolce vita pleine et entière ?

« Les années 50, 60, cet auteur c’est lui, Samuel Taylor. Imaginez-vous qu’il est aussi le scénariste de Sueurs froides, aussi appelé Vertigo, de Hitchcock, avec James Stewart et Kim Novak. A l’inverse, c’est lui aussi qui  est l’auteur de la pièce d’où est tiré le film Sabrina avec William Holden, Audrey Hepburn et Humphrey Bogart. Et donc il est l’auteur de pièces à succès. Cette pièce était celle qu’il préférait, parce qu’elle a servi d’inspiration à Pretty woman. Ca se passe dans un hôtel, Richard Gere est milliardaire, bon elle c’est une pute au lieu d’être une actrice, une petite actrice anglaise, mais il y a le directeur de l’hôtel aussi qui sert d’entremetteur. Ils se sont très inspirés de la pièce Avanti. Avanti, c’est la comédie américaine typique, parce que c’est un couple de stars, ça veut dire pas forcément les acteurs, ça peut être joué par des inconnus, mais le couple des comédies américaines, c’est toujours  deux personnes qui avaient tout pour ne pas se rencontrer. Lui est milliardaire, c’est une sorte de Donald Trump, d’ailleurs c’est l’empire Trump, là c’est l’empire Clairborne. Son père, comme le père de Trump, est milliardaire, il a son empire, et lui, comme Trump, il a sa vie, ce Clairborne. Ce gars-là apprend que son père est mort, il va rencontrer l’improbable, c’est pour ça qu’un couple de stars ça fait rêver les comédies américaines, car aux Etats-Unis il est milliardaire, et puis il y a des gens qui n’ont rien. D’un coup, c’est un milliardaire qui tombe amoureux d’une fille qui n’a rien, comme Pretty woman, entre Gere et Julia Roberts. Le gros succès de la pièce vient de là, faire rêver les gens, et en même temps, comme toutes les grandes comédies américaines, et ça c’est typiquement américain, ce ne sont pas les Français qui ont inventé ça, les seconds rôles sont extraordinaires, magnifiques. Et là le second rôle est tenu par Thierry Lopez qui a eu deux nominations aux Molières pour le rôle, Baldo l’Italien, et elles sont méritées ces nominations, parce qu’il est vraiment à mourir de rire. En plus, lui qui n’est pas du tout Italien, les gens sont persuadés qu’il est un acteur italien, et c’est ce qui fait le succès de la pièce. C’est pour ça que dolce vita c’est bienvenu, parce qu’il y a à la fois le côté « on rit, mais vraiment » dans la pièce,  comme dans « La dolce vita » on est heureux, et tout d’un coup c’est presque du drame, tout casse, plus rien ne va. On a comme dans « La dolce vita » cette espèce de tendresse vis-à-vis de l’Italie, qui est quand même le cœur de notre civilisation. Tout est parti de l’Italie. »

L’interprétation d’un businessman américain est-elle de nature à vous combler ?

« Au fond, oui. J’aime beaucoup, moi qui ne fais que des drames : La Peste, Anne Frank, Bronx, Lorenzaccio, Hamlet, etc. j’aime beaucoup tout d’un coup interpréter pendant un moment, un an ou deux ans, des comédies. C’est ce qui m’est arrivé avec Le dîner de cons, A droite à gauche…ça devient irrespirable au bout d’un moment. J’ai joué mille et une fois La Peste, 884 fois Lorenzaccio, 250 fois Hamlet, Le Cid n’en parlons même pas, c’est presque mille aussi. Il y a un moment où tuer des gens tous les soirs, mourir tous les soirs, ou refaire le monde tous les soirs dans le drame, pleurer et hurler, tu as besoin d’autre chose ! Pour moi, c’est miraculeux, car vraiment à chaque fois que j’ai fait des comédies, ça ne venait pas de moi. C’est au moment où personne ne s’y attendait : quoi, vous me proposez ça ? Et ça n’a été que des bonheurs. Ce que j’aime dans ce genre de rôle, c’est quelqu’un qui a une vie insupportable, de riche, d’égoïste…et tout d’un coup, parce qu’il rencontre l’amour, ou dans la pièce de Ruquier A droite à gauche, parce qu’il rencontre un gars qui est chauffagiste, et qui lui dit : ben ouais mon vieux il n’y a pas que toi dans la vie ! Alors le personnage devient humain, et c’est ça qui me plaît. »   

Aviez-vous travaillé avec Ingrid Chauvin, et comment percevez-vous l’actrice ?

« Je n’avais jamais travaillé avec Ingrid Chauvin. J’ai lu ses deux livres, et les deux sont collés, l’un ne va pas sans l’autre, le drame et le bonheur en deux parties. Je trouvais cette actrice très belle comme tout le monde, mais quand je l’ai tenue dans mes bras, quand je l’ai vue répéter, quand j’ai joué avec elle… j’adore cette femme, autant que j’aime l’actrice. Je trouve qu’elle se défonce à chaque représentation, elle a un véritable amour du public, vous verrez, elle pleure, elle rit, elle est très belle. En plus je trouve qu’elle a les qualités qu’avait Sophia Loren, qu’ont des actrices américaines justement, c’est-à-dire qu’au départ elles sont vraiment canon, et on se dit : bon d’accord, o.k., mais tu as tout, alors on est très exigeants avec ces actrices-là, et quand, comme Ingrid Chauvin, elles sont bouleversantes, alors on est vraiment très admiratifs. J’ai beaucoup d’admiration pour cette fille, pas seulement pour ce qu’elle a vécu dans la vie, et comment elle s’est redressée, elle a combattu. C’est bien, c’est digne ce qu’elle a fait, mais en plus j’ai de l’admiration pour elle pour le respect qu’elle a du public. Ce n’est pas du tout une actrice qui met sa beauté en avant et s’en contente. Elle est très émue quand elle joue, et elle mérite vraiment ce qui lui arrive. Et Je souhaite que ce ne soit pas pour elle juste un succès au théâtre. J’espère qu’elle va vraiment continuer au théâtre, car elle a quatre-cinq rôles qui l’attendent, où elle peut faire des merveilles. »

Quelles sont les retombées d’Avanti en termes de réactions?

« Enormes. A Paris on avait fait un triomphe, un des grands triomphes de la saison il y a un an, et là, vous verrez si vous voyez le spectacle, les gens sont debout. Tous les acteurs de la pièce ont des propositions, et beaucoup de metteurs en scène viennent, totalement différents d’ailleurs, car je vais probablement tourner avec les Américains. Chacun a son lot de propositions, et c’est une pièce porte-bonheur je crois. Vraiment. »

Quel  type de rôle appréciez-vous le plus de jouer en règle générale ?

« Les biopics. Quand je joue quelqu’un qui a vraiment existé, par exemple Le Cid, Hamlet, Lorenzaccio, Camus, Mahler, Otto Frank, le père d’Anne Frank…Je pense que quand on s’inspire de quelqu’un qui a vraiment existé, on trouve une palette, un arc-en-ciel de choses, c’est ce qui m’attire énormément. Je ne me sens pas très à l’aise dans des rôles de pure fiction, de personnages, je n’aime pas les personnages. Ce que j’aime, ce sont les légendes. » 

Molière, Diderot, Rostand, Camus, Shakespeare, etc. vous avez porté leurs paroles sur scène avec bonheur. Vous sentez-vous investi d’une énorme responsabilité à leur égard ?

« Enorme, vous avez raison, parce que ces auteurs, c’est un peu comme pour les musiciens, Beethoven, Mahler, Wagner, Schumann, Schubert… il faut absolument qu’ils restent vivants. Et donc je pense que le métier d’acteur c’est un vrai métier où il faut beaucoup travailler, répéter, refaire tous les soirs. Ce n’est pas parce que l’on a fait une belle représentation un soir que celle du lendemain sera bonne. On peut dire aussi que c’est un art, parce que l’art, à la différence du métier, c’est ce qui permet de continuer la chaîne pour que les auteurs restent vivants. Tu peux faire un métier, et tout d’un coup il disparaît, alors qu’un art, tu sais que même toi tu disparaîtras, tu mourras, mais l’art lui-même ne continuera pas. Il y a encore des peintres grâce à van Gogh, mais s’il n’y avait pas eu Van Gogh, Picasso, ils ne peindraient pas de cette façon-là aujourd’hui. Et s’il n’y avait pas eu Shakespeare, Molière et tous les autres, on n’écrirait pas de cette manière-là. Oui, votre question est très bonne.»

D’où vous vient ce feu sacré permanent qui enflamme ensuite le public ?

« C’est parce que j’ai connu la mort. J’ai été près de mourir, très jeune, et donc je considère que la vie, il faut que ce soit un jour par un jour. Je trouve que ce métier est un métier d’un jour par un jour. Il n’y a aucun acquis dans ce métier, contrairement à ce que les gens pensent. Un acteur peut être célébrissime, adoré, et six mois après, plus personne ne sait qui il est. C’est d’ailleurs ce qui est le drame de certains acteurs, de certaines actrices, qui tout d’un coup disparaissent totalement. Je trouve que c’est ça la grandeur de ce métier. C’est ça qui rééquilibre entre les stars et les gens qui en font des stars, c’est-à-dire le public. Le public, lui, tous les jours c’est un jour par un jour. Si pour les stars, une fois qu’elles sont devenues stars, c’était : ah bien voilà, tu seras star toute ta vie, eh bien elles ne mériteraient pas d’être des stars. J’ai l’impression que le public le sent. »

Et si vous ne deviez retenir qu’un pan de votre très belle et diversifiée carrière ?

« Je crois que c’est le théâtre, parce que j’y ai trouvé des valeurs morales que je partage. Je pense que la télévision est, elle, le vrai divertissement ; elle est là pour que les gens puissent rêver, rire, alors que le théâtre est là pour que les gens puissent penser. Au théâtre, les gens viennent se voir eux. En écoutant une pièce on pense à sa propre vie. Pas à la télévision, où on est là pour pleurer, rire, voir des trucs de policiers ou du sport, etc. mais c’est du spectacle, on est dans le regard. Le cinéma c’est autre chose, une rencontre. C’est comme quelqu’un que l’on croise dans la vie, et l’on se dit brusquement que j’aurais pu vivre dix ans avec cette personne. Ou, tiens j’ai rencontré cette personne, c’est vachement bien d’avoir rencontré ce type, cette fille-là. C’est ça le cinéma, c’est rencontrer un film qui vous apporte quelque chose, mais c’est la rencontre qui compte, c’est le sentiment, même si au cinéma, on a une sensation. Ce sont trois choses totalement différentes, c’est vraiment comme la nourriture, la boisson, et l’ambiance. Quand on va dans un restaurant l’ambiance c’est la télévision, c’est un spectacle. La façon dont on vous met le truc dans l’assiette, c’est un spectacle, ça c’est la télévision. Ce qu’on bouffe, c’est le théâtre, la nourriture. Et le cinéma, lorsque l’on va dans un restaurant, c’est la personne avec qui on bouffe. On se rappellera de ce repas. C’est exactement ça le cinéma, le théâtre, la télévision. »

A part Avanti, qu’y a-t-il de sûr pour vous en 2017, voire au-delà ?

« En 2017, le 15 mars il y aura la sortie du film de Lelouch Chacun sa vie, avec une trentaine d’acteurs. C’est un grand Lelouch, c’est un peu Les uns et les autres 2, ce sont tous des acteurs qui ont tourné avec  Claude et sont des stars. Il ya douze histoires, et à la treizième histoire du film, les douze autres histoires se rejoignent. Comme toujours le chiffre 13 pour Claude. Et dans chaque histoire qui dure dix minutes, il y a deux-trois stars. C’est comme un film à sketchs, le treizième il y a tout le monde. Pour moi, c’est Si Lelouch m’était conté, comme pour Sacha Guitry, Si Versailles m’était conté. Il y a eu déjà deux-trois projections qui ont été triomphales,  en ce qui me concerne je n’ai pas vu le film. Donc je croise les doigts pour moi c’est un très grand Lelouch. Ensuite, j’ai cet été bien sûr des festivals de théâtre, avec Albert Camus, plusieurs spectacles. Je continue à Paris avec Jean-François Balmer qui m’a remplacé, puisque je suis en tournée d’Avanti. Je partirai également en tournée en 2017 avec A droite à gauche pour une centaine de représentations entre septembre et décembre. En plus, se greffent deux tournages de films qui seront en bascule avec 2018, je ne sais pas encore lequel des deux je tournerai en 2017, et lequel en 2018. A partir de 2018 ce sera le grand saut dans ma nouvelle vie. Mais ça, je ne pourrai en parler qu’à la fin de 2017. Et puis en 2017 il y aura ce livre sur Molière que j’écris depuis des années et qui sortira à l’automne. Le grand point d’interrogation, c’est la grande troupe de théâtre qu’on est en train de construire avec Steve Suissa pour qu’il y ait une sorte de troupe comme celles du TNT, Jouvet, Barrault. J’avais fait la promesse à Barrault, alors je ne voudrais pas finir ma vie sans la tenir. Quand est-ce que cette grande troupe pourra enfin vivre, aller dans le Monde entier, exister, avec de grands acteurs, de jeunes acteurs, des stars partout ? En 2017 ? en 2018 ? Je l’ignore. Et puis j’allais oublier, j’espère enfin voir en vivant ou à la télé une équipe française de foot aller en finale, et gagner une grande coupe, depuis que l’O.M. a remporté la Coupe d’Europe des clubs champions, ou le P.S.G. la Coupe des coupes ! »

 

Crédit photo : Evelyne Desaux                                Propos recueillis par Michel Poiriault

                                                                                      [email protected]