Opinion
« Journée nationale du Souvenir des victimes et héros de la déportation »
Publié le 01 Mai 2017 à 19h56
Depuis la Loi du 14 avril 1954, le dernier dimanche d’avril est consacré au « souvenir des victimes de la déportation et morts dans les camps de concentration du Troisième Reich au cours de la guerre 1939-1945 ». Cette date a été choisie par sa proximité avec la date anniversaire de la libération de la plupart des camps en Allemagne et Autriche, le dernier étant celui d’Ebensee, annexe de Mauthausen, le 6 mai 1945.
Dans les années d’après-guerre, les anciens déportés et les familles des déportés non-rentrés avaient souhaité une célébration nationale destinée à préserver la mémoire de la déportation et obtenir la construction de monuments. Les associations des déportés ont dû combattre pour faire reconnaître leurs droits.
La Sâone-et-Loire compte encore quelques rares survivants de la déportation et non pas un seul comme l’a prétendu un article du Journal de Saône-et-Loire du 28 mars 2017, présentant Jean Tortiller comme « dernier déporté de Saône-et-Loire ». Ils ont survécu à l’épreuve concentrationnaire que Michaël Pollack caractérise comme « une expérience à la limite du possible » (L’expérience concentrationnaire. Essai sur le maintien de l’identité sociale, Paris, Métailié, 1990).
En France, plus de 150.000 personnes ont été déportées dans les camps de concentration ou d’extermination nazis au cours de la Deuxième Guerre mondiale, dont 80.000 victimes de mesures de répression et 75.000 Juifs et Tsiganes victimes des mesures de persécution racistes. 1817 personnes ont été arrêtée en Saône-et-Loire et déportées. Plus de la moitié ne sont pas revenues des camps. Certaines communes ont été très touchées : Cluny avec la rafle par les troupes allemandes du 14 février 1944, Montceau-les-Mines avec les rafles des Juifs par la police française de Vichy les 13 et 14 juillet 1942.
À leur retour, les survivants ont cherché à oublier les épreuves. Les nazis avaient voulu les faire complètement disparaître. Primo Lévi exprime cette détermination des nazis de gagner la guerre au moins sur ce plan : « De quelque façon que cette guerre finisse, nous l’avons déjà gagnée contre vous, aucun d’entre vous ne restera pour porter témoignage, mais si quelques-uns en réchappaient, le monde ne les croirait pas. » (Les Naufragés et les rescapés. Quarante ans après Auschwitz, Paris, Gallimard, 1989). Certains ont quand même témoigné en écrivant leurs souvenirs. Ce ne fut pas simple pour eux. En Saône-et-Loire, Marcel Orset publia dès 1948 Misère et mort …nos deux compagnes.
L’écrivain Jean Cayrol, résistant déporté à Mauthausen-Gusen, auteur des textes du film Nuit et brouillard, a même parlé pour ses propres textes d’écriture lazaréenne parce que comme Lazare, le ressuscité de l’Evangile, les déportés étaient revenus d’entre les morts.
L’affaire du film d’Alain Resnais Nuit et brouillard en 1955-1956 donne la mesure du contexte politique peu favorable aux anciens déportés après la guerre. À la demande du gouvernement allemand, le gouvernement de Guy Mollet fit retirer le film de la sélection officielle au Festival de Cannes de 1956 ; il sera présenté hors compétition le 29 avril 1956. Précédemment, le film n’avait obtenu le visa d’exploitation qu’en acceptant de maquiller le képi d’un gendarme français qui gardait le camp de Pithiviers, camp de transit vers Auschwitz, sur demande du représentant du Ministère de la Défense.
Jean Cayrol a réagi : « La France refuse d’être la France de la vérité, car la plus grande tuerie de tous les temps, elle ne l’accepte que dans la clandestinité de la mémoire. Pour des motifs d’opportunités politiques, [...] elle arrache brusquement de l’histoire les pages qui ne lui plaisent plus, elle retire la parole aux témoins ; elle se fait complice de l’horreur, car notre dénonciation ne portait pas seulement sur le système concentrationnaire nazi mais sur le système concentrationnaire en général, qui fait tache d’huile et tache de sang sur toute la terre sinistrée par la guerre. » (Le Monde, 11 avril 1956). »
Mais dans cette France, les politiciens et hauts fonctionnaires qui avaient participé au régime de Vichy, complice de la déportation, ont rapidement refait surface et se sont recyclés. Les cas les plus connus sont ceux de René Bousquet et de Maurice Papon.
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Nous parlerons de deux « déportés et internés résistants » de Saône-et-Loire, deux survivants : Robert Fichet, de Bresse et Jean Tortiller, de la Côte chalonnaise.
Robert Fichet a 94 ans. Dans un récit intitulé Un enfant de troupe dans la résistance louhannaise (L’Harmattan, 2001), il relate comment il a participé très tôt, dès novembre 1942, à la Résistance avec le réseau SOE-Buckmaster « Grand-Père » dirigé par Alfred Gross l’horloger de Bellevesvre, après avoir essayé de rejoindre la France libre à Londres en 1940. Il participa à de nombreuses actions de déraillement de trains en Bresse, il créa en octobre 1943 à Devrouze l’un des premiers maquis de Bresse affilié à l’Armée secrète. Il existait déjà en juillet 1943 « le camp Gambetta », maquis FTP dirigé par le paysan André Guipet à Fontainebrux (à la limite du Jura et de la Saône-et-Loire) avec qui Robert Fichet avait la liaison. Robert Fichet parle aussi d’Henri Vincent de l’Armée secrète, « un homme modeste », l’instituteur de Montcony qui organisa une grande manifestation patriotique le 28 octobre 1942, lors des funérailles des aviateurs alliés tombés à proximité du village. Il nous parle d’une réalité complexe, de la difficulté d’organiser des maquis, des rapports avec la population, des imbrications entre groupes de résistants de différentes obédiences. Il nous parle de gens dans les villages où, au début « nombreux étaient pétainistes », puis qui ont changé : « il y avait des sympathisants de la résistance sinon nous n’aurions pas pu vivre ». Il évoque aussi de « certains gendarmes de Vichy qui arrêtaient des résistants en 1943 puis deviennent résistants en 1944 », et des miliciens, « les traîtres » au service de l’occupant. Et puis, il est capturé par les Allemands et des miliciens le 27 novembre 1943 en allant récupérer un autre groupe de maquisards.
Il est emprisonné à Montluc, puis transféré à Compiègne, déporté en Allemagne dans le camp de Buchenwald où il arrive le 14 mai 1944. Il est affecté au Kommando d’Ellrich, puis de Günzerode (à 8 km de Dora) pour faire du terrassement afin de construire une voie ferrée par le travail forcé.
Dans l’épreuve terrible de la déportation, à bout de forces, à l’article de la mort, un chat errant dans le camp va lui sauver la vie, écrit-il. L’animal subrepticement occis fut mangé cru. Après s’être évadé le 7 avril 1945 lors d’un transport d’évacuation bombardé par les Alliés, il retrouve des prisonniers de guerre français puis les troupes américaines. Il est rapatrié par avion à Paris le 3 mai 1945.
Il ne quittera pas les voies ferrées puisqu’il travaillera après-guerre au service des voies de la SNCF jusqu’à sa retraite et il reviendra en Bresse dans la ferme de ses beaux-parents à Montjay. Robert Fichet a voulu témoigner dans son ouvrage. Il s’est beaucoup préoccupé de défendre la mémoire de ses camarades et il tient beaucoup à l’exactitude des témoignages.
Jean-Pierre Tortiller a eu 90 ans cette année. Le paisible retraité de Germagny a survécu à l’enfer des camps nazis où il a été déporté du 10 mai 1944 au 2 mai 1945.
Il est aussi l’un des derniers acteurs des tout débuts de la résistance à l’occupant allemand et au régime de Vichy dans la Côte chalonnaise, un temps où ils n’étaient que quelques-uns. En juin 1943, ce jeune paysan de 17 ans est contacté par son ami Paulo (Paul Pisseloup, futur commandant du Bataillon FTP de Cluny) qui l’organise dans le groupe FTP (Francs-Tireurs et Partisans) existant à Bissy-sur-Fley/Germagny commandé par Jean Pierson. A peine recruté, Jean Tortiller apprend comment fabriquer et utiliser des explosifs avec une mise en pratique rapide lors du sabotage du transformateur de St-Vallerin qui alimente le camp allemand de Montagny, en utilisant des têtes de fusées paragrêle stockées par les vignerons. D’autres opérations suivent, notamment l’attaque du Camp d’internement vichyste « Sanatorium surveillé » de La Guiche le 24 mars 1944 où plusieurs internés sont libérés.
Le 28 mars 1944, un groupe de maquisards installé à Dettey, au Vieux Moulin de Valveron, est arrêté par les troupes allemandes. C’est en allant leur porter secours que la voiture où se trouve Jean Tortiller tombe sur un barrage allemand à la sortie de Moroges. Jean Pierson est tué. Jean Tortiller, après échange de tirs, est capturé. Commence alors un long calvaire, dans les prisons de l’armée allemande à Chalon, puis la déportation au camp de Neuengamme, à proximité de Hambourg, dans les plaines marécageuses et froides du nord de l’Allemagne, au commando de Watenstedt avec le travail forcé dans les tunnels pour l’industrie d’armement allemande, l’évacuation pour Ravensbrück. Il sera libéré par l’armée soviétique le 2 mai 1945 à Malchow. Jean qui s’était « accroché à la vie » est rapatrié par avion le 4 juin, hospitalisé à Bichat, avant de revenir en juin 1945 à Bissy, où le docteur Baud de St-Gengoux le soignera efficacement. Plusieurs années après, il eut encore à soigner de dures séquelles de la déportation. Six mois après, il reprend le travail à la ferme, sera exploitant agricole jusqu’en 1972, avant d’être assureur pour Groupama jusqu’à sa retraite.
Jean Tortiller s’est toujours soucié de témoigner, de transmettre son expérience auprès des jeunes dans les écoles et d’entretenir la flamme commémorative dans cette région de la côte chalonnaise. Il est président départemental de la FNDIRP et trésorier du « Comité du Souvenir Jean Pierson ».
On parle beaucoup aujourd’hui de « devoir de mémoire », sorte de rengaine entendue dans les cérémonies commémoratives depuis 30 ans. Or nous savons que le mot mémoire se conjugue également avec le mot oubli. Il faut donc être précis : il y a la mémoire des déportés, des acteurs de la situation qu’il nous faut entendre dans une sorte de passage du témoin entre générations. Et il y a la connaissance des faits, des situations, leur compréhension, ce qui est le fondement de l’éducation, de l’instruction. Primo Lévi, survivant d’Auschwitz l’exprimait ainsi : « Je pense que, pour un homme laïque comme moi, l’essentiel c’est de comprendre et de faire comprendre. » (Conversations et entretiens, Paris, 10-18, 2000).
Puisqu’il s’agit d’instruction, souvenons-nous que le 18 décembre 1793, le conventionnel Mathieu, président du Comité d’Instruction Publique, conseillait de recueillir « ce qui peut servir à la fois d’ornement, de trophée et d’appui à la liberté et à l’égalité. » Les témoignages de ces deux hommes, de ces deux déportés résistants, de leur combat d’il y a plus de 70 ans, sont un appui à la liberté et à l’égalité.
Jean-Yves Boursier
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