Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - A Louhans, il avait abusé de l'alcool et du couteau dimanche dernier

« Ça faisait un an que j’étais à la rue, là je venais de prendre un appartement, mais cette situation m’a mise au bout de moi, pourtant ça faisait 4 mois que je n’avais pas bu. »

Au bout de lui…C’est un enfant dans le corps d’un jeune homme de 26 ans. Il a la force d’un jeune homme, et l’impuissance d’un enfant.

Dimanche dernier dans un quartier de Louhans, Jérémy (prénom modifié) a fait du vilain grabuge. Ivre à en tomber parfois au sol, et agitant un opinel ouvert (lame de 19 cm), il était allé voir une très jeune fille de 20 ans, rencontrée quelques jours auparavant. Les jeunes gens avaient couché ensemble, et Jérémy semble avoir investi très fort le lien possible, un lien rêvé, espéré. La jeune fille, non. Et lorsqu’il arrive à la cité Saint-Claude, elle descend pour lui dire que non, elle ne veut pas de relation avec lui. Jérémy soutient à la barre qu’elle avait missionné des copains à elle pour le harceler par téléphone. Mais ce point n’est pas dans le dossier, et le tribunal regrette que les gendarmes n’aient pas exploité le téléphone, Jérémy le regrette aussi, car ça aurait donné à l’histoire sa dimension d’embrouille-prise de tête qu’elle a vraisemblablement.

Jérémy avait une alcoolémie supérieure à 2 grammes par litre de sang. C’est beaucoup. Il a crié, hurlé, menacé, insulté. « C’est un comportement contraire à la loi, monsieur. », lui explique la présidente Therme.

Elle lui explique, oui, car Jérémy est dépourvu de fondations, ses repères à lui, chopés ça et là dans des contextes violents, sont différents, et s’il approche les lois de temps en temps, c’est sur le versant de leur expression judiciaire (10 condamnations), qu’il vit comme de la persécution, une persécution de plus : personne ne veut de lui, et quand il fait des efforts, ça lui retombe dessus de toute façon, et injustement de surcroît puisque la jeune fille qui se donne à lui puis envoie des potes lui pourrir la tête, elle, ne risque rien.

« Si je repars en prison, je repars dans l’alcool, lance encore Jérémy en écartant le bras pour souligner la fatalité de l’équation. La prison ne m’apporte rien.
- La prison est là parfois pour protéger les autres de votre comportement » explique encore doucement la présidente. 
« Enfance compliquée », avait-elle dit. Dans le box le visage de Jérémy change, il est mal, très mal. Sa mère le passe dehors car elle a un nouveau compagnon. La rue. La drogue et l’alcool. Son père finit par le reprendre lorsqu’il boit moins, un accompagnement lui permet d’accéder à un logement, « et puis voilà » répète Jérémy. Sans fondations, rien ne tient. De ce point de vue, il a raison : cela produit de la fatalité, celle des causes produisant les mêmes effets.

Le parquet tient droit sa fonction, mais pas sans une pointe de cynisme, ce qui ajoute un peu de violence à la situation déjà étouffante de cruauté : « La question n’est pas de savoir ce que la prison lui apporte mais ce qu’elle apporte aux autres : une forme de sérénité. Aux deux dernières condamnations, on le laisse libre, pas de mandat de dépôt en février dernier, ni en avril dernier. Qu’est-ce que sa liberté lui apporte ? Que des problèmes ! Il n’a pas eu une vie facile, je ne l’oublie pas, mais la justice ne peut pas rattraper monsieur à chaque fois. »

« Madame le procureur a raison, enchaîne Maître Grebot, on ne peut tout effacer. Mais on est bien obligé de reconnaître que tous les enfants n’ont pas de fées penchées sur leur berceau. »

Et l’éternel retour qui crucifie Jérémy ne manque pas de refaire un cycle, les mêmes causes produisant les mêmes effets. Le tribunal le condamne à 6 mois de prison et révoque partiellement un sursis de février dernier : 8 mois en tout, maintien en détention.

On voudrait espérer qu’en prison il croise des interlocuteurs dignes de ce nom face à cette plaie sanguinolente qu’il est devenu, mais il a aussi le cerveau cramé, par l’alcool, les drogues, et les carences affectives. 26 ans, un corps d’homme et un esprit d’enfant, mais un enfant très abîmé qui trouve un peu de puissance et de défense à s’armer d’un couteau ou à jouer avec un flingue, et qui, par conséquent, va inexorablement s’échouer dans le bureau d’un procureur, tout ça parce que sans fondations, il se trouve facilement « au bout de lui ».

 

FSA