Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON : Il avale « un petit truc » avant qu’on l’incarcère…

TRIBUNAL DE CHALON : Il avale « un petit truc » avant qu’on l’incarcère…

Mercredi dernier, le 18 octobre, Y. M. et sa compagne, Mlle S., s’étaient posés en fin d’après-midi « sur un banc, en amoureux », le long des quais de Saône, avec leur bébé. Ils avaient bu du Crémant, beaucoup de Crémant. Ils devaient rentrer, et puis « je ne sais pas, l’alcool m’est monté à la tête », il lui met une grande claque.

Elle traverse la route et va s’écrouler sur le trottoir d’en face, la tête sur la chaussée, les jambes sur le trottoir. « La faute à l’alcool », dit-elle. Un homme s’arrête, mais le conjoint arrive pour qu’elle se bouge. D’abord un coup de pied dans les fesses, parce qu’il n’a pas l’alcool amoureux, puis il lui prend le bras : « Viens avec moi, il va y avoir la police, ça va faire des histoires ».
Pas de chance le témoin est capitaine de police, et ça a fait des histoires, en effet : Y. M est connu des forces de l’ordre, du reste il était en garde à vue pas plus tard que la semaine dernière, « la proc’ le sait », précise-t-il au tribunal. « La proc’ » : on sent le familier, l’habitué. Y. M. a 30 ans, il a passé une bonne dizaine d’années en prison, il a commencé bien jeune. Il est né en Amérique du Sud, et fut adopté ici vers ses 3 ans mais la mayonnaise ne prend pas : il est placé en foyer PJJ* à 13. Violences, violences aggravées, violences « doublement aggravées » émaillent son casier, autour d’une peine de 10 ans de réclusion criminelle pour « viol avec plusieurs circonstances aggravantes ».
En regard, la scène de mercredi soir sur les quais de Chalon a l’air d’une bluette, ce que sa compagne confirme farouchement : « Ah y avait rien de méchant ! ». 8 mois qu’ils sont ensemble sur un mode relationnel « je suis jaloux et possessif, et elle aussi ». Circulez y a rien à voir, le couple en veut à la justice d’y porter son regard et une procédure pénale, « on s’embrouille mais ça va pas jusqu’à la violence, quand on a bu on est agressifs ». Tout est relatif ici-bas.
Il a été placé en garde à vue, puis en détention provisoire 48 heures plus tard, mais sa compagne, Mlle S., veut son homme vers elle et avec la petite, ils l’élèvent ensemble.
Le JAP** est favorable à la révocation d’un vieux sursis. « J’ai 30 ans et je paie des trucs de 15 ans en arrière ! » Y. M., avec ses incarcérations successives, réussit le tour de force de traîner un sursis mis à l’épreuve très ancien, c’est vrai, parce que suspendu lors de chacune de ses détentions, à en devenir un serpent de mer : jamais accompli.
L’homme, trapu et provoc, semble totalement blasé :
« Vous avez eu des suivis, monsieur ? interroge la présidente Grosjean.
- Sous forme de rendez-vous, madame. 
- On vous a donné des médicaments pour vous aider à contenir votre violence ?
- J’ai été condamné très jeune pour des violences contre des gendarmes, hospitalisé d’office, j’ai eu un traitement très lourd.
- Vous n’avez pas continué ?
- Non, il allait me tuer, ce traitement, madame. »
Criculez y a rien à faire : il a refusé un suivi éducatif en CHRS, il a refusé un suivi social avec Pôle emploi. Il a un CAP mais n’a jamais travaillé : toujours en prison. Aujourd’hui son père adoptif paie son loyer, et pour le reste ? Circulez.
« Sa personnalité et son casier judiciaire se rejoignent : monsieur est quelqu’un de violent. » Les réquisitions de Madame Saenz-Cobo, vice-procureur, sont ton sur ton : « On a affaire à une structure de personnalité qui ne va pas s’amender rapidement. Il faut révoquer le sursis mis à l’épreuve, ça le soulagera. Il faut arrêter de faire de l’évangélisme judiciaire et de croire aux lendemains qui chantent, quand on voit qu’à chaque main tendue, on revient à la case départ, à la prison. » Elle demande 1 an de prison et la révocation du sursis et son maintien en détention.

« Si vous ne deviez plus croire en l’amendement possible, on peut tous raccrocher nos robes, plaide Maître Diry. » L’avocat rappelle que l’on doit juger Y. M. sur des faits précis et ne pas dupliquer les mentions de son casier : pas d’ITT, pas de blessures, une victime qui n’a pas peur et qui assume sa position. Il défend également ce « début de cadre » qu’est cette cellule familiale, pour un homme encore jeune qui ne saurait porter la responsabilité de ses débuts dans la vie, « il vient de très loin », au propre comme au figuré.
Hélas Y. M. renvoie, par son ironie, sa froideur, et ses provocations, l’image d’un homme qui est encore très loin : la prison, parfois, ça fait « ça », ça fabrique un être humain qui n’a pas d’autres amarres que celles de son casier.
Le tribunal condamne Y. M. à 8 mois de prison et révoque le sursis de 2 mois de 2006, ordonne son maintien en détention. Secouée, Mlle S. se lève et sort. Y. M. se lève, son escorte aussi, il hèle de la main sa compagne et le copain venu en soutien, « venez, venez », le copain se précipite sans difficulté, on est dans la salle dite « playmobil ». Par-dessus la vitre du box ils se font un câlin, et le copain lui passe « un petit truc » dans « un petit tube » au nez et à la barbe de tout le monde : « un petit remontant sans doute », supposera le parquet, que le détenu a immédiatement ingéré. Il a appris la vie en prison.

FSA

*PJJ : protection judiciaire de la jeunesse
**JAP : juge d’application des peines