Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON : Violences conjugales, « je voudrais qu’il revienne, parce qu’il m’aide quand même »

TRIBUNAL DE CHALON : Violences conjugales, « je voudrais qu’il revienne, parce qu’il m’aide quand même »

Elle a un visage un peu lunaire et l’air si gentil. Elle est encore jeune. Elle souffre d’un handicap physique et d’autres difficultés, elle est sous curatelle. C’est une femme au regard clair sous protection, qui voudrait que son homme revienne à la maison, « même s’il m’a tapée, parce qu’il m’aide quand même à couper le bois, à tondre le gazon, et puis j’ai 70 euros par semaine, c’est pas beaucoup. » Son homme est plus âgé, il a 51 ans, une dentition incertaine, une élocution à l’avenant mais le torse généreux, quelques bijoux autour du cou, aux doigts, et lui aussi a des difficultés, un handicap évalué à 80 %, qui ne l’empêche toutefois pas de couper le bois, de lever le verre, et de torgnoler un peu sa femme.

5 litres de sangria, 7 jours d’ITT


Le 23 septembre dernier, madame se présente à la gendarmerie de Louhans, elle veut porter plainte, car la veille, elle avait demandé 40 euros à sa curatelle pour acheter une bouteille de gaz, mais monsieur voulait 10 euros, et le ton est monté. Il y avait un cubi de sangria à la maison dont il s’enfilait lentement les 5 litres. Le soir elle a téléphoné à sa belle-fille, que monsieur n’aime guère, il s’est mis en colère, il lui a mis deux coups de poing à la tête, et il l’a mordue à la main. Elle dit aux gendarmes qu’une fois par mois environ il y va de sa crise alcoolisée, coups de pieds, de poings. Le médecin établit 7 jours d’ITT. On s’organise pour qu’elle quitte le domicile, mais 3 jours plus tard elle revient vers les gendarmes : elle veut retirer sa plainte, et sauver son mariage.

« 345 de gammas GT, alors que la moyenne est en principe inférieure à 35 … »


Ces deux-là sont ensemble depuis 6 ans, et se sont mariés depuis. Mais en 2013 monsieur fut déjà condamné pour des violences sur elle en état d’ivresse, il est donc en état de récidive légale, et ça n’amuse pas le tribunal, en dépit de la confiance qui semble circuler entre les époux, sagement assis l’un à côté de l’autre pendant qu’ils attendant leur audience.
Le parquet, fin septembre, n’a pas placé monsieur en détention provisoire mais sous contrôle judiciaire avec des obligations de pointage, d’engager des soins, et de vivre ailleurs qu’au domicile conjugal. Il a tout respecté, mais ne peut pas assurer la présidente de son abstinence alcoolique. Elle réclame une prise de sang, il bougonne qu’elle est « en cours » et finalement va chercher des analyses que son avocate découvre, puis transmet aux magistrats.
« 345 de gammas GT, alors que la moyenne est en principe inférieure à 35 … le résultat est pathologique, constate la présidente Therme. Vous buvez depuis combien de temps ?
- Depuis l’armée, mes 18 ans.
- Monsieur, vous me dites ‘je m’en passe quand je veux, de l’alcool’, mais vous recommencez après la garde à vue. »
Il se tourne vers sa femme : « Je regrette ce que j’ai fait, dit-il.
- Ben oui, mais bon… répond-elle placidement. »

« Ce n’est pas une relation d’emprise »


3 mentions à son casier, des faits toujours sous l’empire de l’alcool. Madame Mollier pour le ministère public veut bien entendre le souhait de madame, « mais je suis là aussi pour assurer l’intérêt général, madame est une personne vulnérable, et même si le quotidien est lourd pour elle ma crainte, c’est qu’un jour… ». Elle requiert 18 mois de prison dont 8 assortis d’un sursis mis à l’épreuve, un stage de sensibilisation à la lutte contre les violences dans les couples, et qu’il vive ailleurs. Elle ne requiert pas de mandat de dépôt. Maître Leray Saint-Arroman rappelle qu’elle intervient depuis 3 lundis en CI, et que tous ses clients ont à en découdre avec l’alcool, « je regrette qu’on n’ait pas de plan B, face à cette addiction et aux infractions qu’elle entraîne ». Elle rappelle que son client respecte sa femme, « quand il n’a pas bu », que lorsqu’il est sobre, tout va bien, et avec tout le monde : sa garde à vue s’est bien passée. « C’est un couple qui certes se fait parfois mal, mais qui au fond se soigne l’un l’autre. Je m’oppose à l’interdiction de résider au domicile conjugal, car ce n’est pas une relation d’emprise que vous avez à votre barre. » Elle plaide en faveur d’une contrainte pénale, soit un suivi complet et costaud.

Incarcéré à la barre


Pendant le délibéré, monsieur et madame sont à nouveau paisiblement l’un à côté de l’autre. Il a « une boule dans le ventre », et puis il a peur de rater son bus. Pendant le délibéré, 3 policiers arrivent au palais et se placent au fond de la salle : son casier judiciaire, son alcoolisation en dépit du contrôle judiciaire, « votre femme veut que vous reveniez, mais il n’est pas question que ça recommence ce soir », et un taux superlatif de gamma GT ont raison, pour la 2ème fois, de sa liberté, il est incarcéré à la barre.

« Le tribunal vous condamne à 18 mois de prison dont 8 assortis d’un sursis mis à l’épreuve de 2 ans, avec obligation de soins, de suivre un stage de sensibilisation pour la lutte contre les violences conjugales, et le tribunal décerne un mandat de dépôt. Votre alcoolisme est tel qu’il n’y a pas d’autre moyen que de faire le sevrage de force. »
Si tout va bien il pourra revenir au domicile conjugal après, d'ici là, les coups de pied dans le ventre, c'est terminé. Son épouse au doux visage devra trouver de l’aide pour couper le bois et adoucir le quotidien.

FSA