Faits divers
TRIBUNAL DE CHALON : « Vous voulez quoi ? Que je me mette à pleurer devant vous ? »
Publié le 19 Décembre 2017 à 13h14
« Il a besoin d’une prise en charge médicale adaptée », avait écrit le conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation dans son rapport sur Simon B. lors d’un suivi antérieur. « Depuis ses 14 ans il a connu les foyers, des traitements psychotropes très lourds », plaidera maître Grenier-Guignard. « A cette heure, j’ai tout perdu. J’attends rien de votre tribunal, faites ce que vous avez à faire », dit Simon à ses juges.
« Vous avez quel âge ? lui demande la présidente Aussavy. – J’ai 26 ans demain (il est né le 19/12/91) – Et à 26 ans, vous dites ‘j’ai tout perdu’ ? » Simon est en détention provisoire depuis le 14 septembre dernier. Arrêté pour des violences, menaces de mort et menaces de crime, on a dû ordonner son expertise psychiatrique, systématique quand les gens sont sous curatelle. Puis on a voulu le juger en visioconférence fin octobre mais le dispositif n’a pas fonctionné, alors Simon est jugé ce lundi 18 décembre en comparution immédiate, et il dit avoir « tout perdu ».
Il a perdu sa chérie et sa liberté, il va perdre son appartement : il a tout perdu. L’expert psychiatre écrit que le jeune homme « a présenté une psychose infantile », a des « traits abandonniques », « une grande fragilité devant la menace d’abandon », il conclut à une « altération du discernement ». Simon, en dépit de sa rebelle attitude devant la chambre des comparutions immédiates, reconnaît que « la colère avait pris le dessus ».
En couple avec une jeune femme déjà maman d’un petit garçon et d’une petite fille, Simon pensait « avoir trouvé la femme de sa vie, explique son avocate, et patatrac, elle lui annonce qu’elle le quitte ». Panique à bord, angoisse insondable, pas les mots pour le dire, alors Simon se déchaîne, dans un « langage fleuri » constate la présidente en parcourant le dossier. « Je vais te frapper, je vais te crever, toi et tes enfants », dit-il de différentes manières à la chérie qui lui échappe. « Je vais te défoncer, et vous violer, toi et ta fille », dit-il à la mère de la jeune femme. « Je vais te tuer, je vais te défigurer », menace-t-il le garçon dont il est jaloux à en crever. Depuis juin, il joue ce rodéo, mais en septembre il agresse physiquement la jeune femme sur une place de Chalon, il lui serre le cou si fort qu’elle en a peur, et qu’elle demande secours à la police. En garde à vue, une policière s’apprête à exploiter le téléphone portable de Simon, ses SMS. Il s’insurge : « c’est ma vie privée », et puis « connasse », et d’autres insultes « fleuries ». Outrage.
La présidente interroge le prévenu, histoire de faire le point sur sa position aujourd’hui. « J’ai pas envie de débattre, je reconnais, c’est bon. – Monsieur, il n’est pas très rassurant pour le tribunal que vous n’ayez pas réfléchi… » Le prévenu rigole : « Sincèrement, j’ai pas envie de vous répondre. J’ai fait une lettre, je me suis excusé. J’ai fait des erreurs, et à cette heure j’ai tout perdu. » Que dit-il de l’expertise psychiatrique ? « J’ai rien à dire. » A son casier 14 mentions pour des faits de dégradations, des vols, escroquerie, conduites sans permis, vol avec violence. Et le 21 septembre dernier, outrage et rébellion. La juge l’interroge à nouveau. Le prévenu ne baisse pas sa garde : « Vous voulez quoi ? Que je me mette à pleurer devant vous ? Vous croyez que j’ai que ça à faire de réfléchir quand je suis en cellule ou en promenade ? Vous voulez que je me dise, ‘tu as fait de la merde, et en sortant tu feras le petit mouton’ ? Non. A un moment donné je me dis, ‘c’est ça ta vie’, et basta. »
« Personnalité complexe, difficile de travailler avec lui », écrivait le CPIP. Simon s’exprime alors un peu : « Je suis sorti de prison en août 2016, j’ai galéré jusqu’en mars 2017 pour trouver et obtenir un logement. Et là, je revis le même scenario. C’est pas elle (la victime) qui a tout perdu ! Personne m’aidera à trouver un appart et à me reconstruire. Vous enfermez les gens et basta, vous vous en battez les c… ». « Personne », dit Simon. En réalité ce n’est pas vrai, d’ailleurs son curateur, un éducateur spécialisé, est dans la salle pour lui. A l’intérieur de Simon en revanche, c’est vrai. S’il le dit, c’est que c’est vrai pour lui, même si quelques regards lancés à son curateur indiquent qu’un lien existe.
La victime est là. Elle a retiré sa plainte, elle ne souhaite pas que Simon soit incarcéré, elle pense, comme le CPIP, que Simon a surtout besoin de soins : « Je ne suis pas venue en temps que victime, mais en tant qu’amie, car je le connais depuis 14 ans, on est amis d’enfance. » C’est une jolie jeune femme aux longs cheveux blonds, toute fine, voix fluette sans doute écrasée davantage à l’audience car le tribunal est impressionnant. « C’est quelqu’un qui a un bon fond, témoigne-t-elle. Il n’a pas souvent eu la main tendue, il a besoin d’aide. »
Madame la procureur Saenz-Cobo se lève alors : « Donc, on n’aurait pas dû intervenir quand il vous a agressée ? » Soufflée par le tir sans sommation, la jeune femme balbutie quelque chose, inaudible de la salle, et madame le procureur revient à la charge : « La prochaine fois, on interviendra s’il a un problème ? S’il recommence, on intervient ou pas ? » La fille tient encore le coup, mais c’est tout juste, elle balbutie que si, « on intervient », « si quelqu’un se fait agresser ». « Pas quelqu’un ! Vous ! » crie la procureur. La victime retourne s’assoir mais ne tiendra pas une minute, elle sort en courant de la salle, prise de sanglots, de tremblements des pieds à la tête, elle file sur le perron du palais, il pleut, elle n’a pas son blouson, elle ne sait plus où elle en est, elle frise la crise de nerfs. Elle trouve à s’apaiser et revient, saluée par maître Grenier-Guignard, « je suis contente qu’elle soit revenue dans la salle, cette amie d’enfance, très perturbée par ce que madame le procureur lui a dit. Elle n’est plus avec Simon, mais elle ne le laissera pas tomber. Madame le procureur est sans nuance parce qu’elle est dans son rôle. Cette jeune femme a eu peur, et elle a fait ce qu’il fallait, appeler la police, puis elle vient dire, de manière humaine, qu’elle le connaît depuis l’enfance, et je pense qu’on peut l’entendre. La réflexion d’humeur de madame le procureur, je ne la conçois que par son réquisitoire, qu’elle voulait un peu musclé ».
Le réquisitoire avait souligné « un profil dangereux, mais pas suffisamment aux yeux des psychiatres pour nécessiter une hospitalisation forcée. Quand monsieur ne va pas bien, on voit de quoi il est capable. Il faut être objectif et regarder les choses en face. Quand il est en liberté, fut-ce sous contrôle, on n’arrive pas à réguler sa personnalité. Madame vient vous dire qu’il a un bon fond… sans doute, mais il a un côté très violent, et c’est ce côté -là que vous avez à juger aujourd’hui. » Madame le procureur requiert 2 ans de prison, la révocation des sursis, le maintien en détention, l’interdiction de porter une arme pendant 3 ans, et une peine de suivi socio-judiciaire. Maître Grenier-Guignard modère le profil taillé à la serpe en rappelant l’altération du discernement (le tribunal ne précisera pas s’il en a tenu compte dans sa décision, ou s’il l’a écartée). L’avocat reprend le « chemin de construction » que son client avait commencé avec son curateur (le jeune homme lance un regard à l’homme qui est assis au fond de la salle). Une construction solide comme un château de carte : quand le sol se dérobe, le gouffre en Simon emporte tout. Il faut des années pour consolider des avancées, c’est ainsi.
Le tribunal condamne le jeune homme à 15 mois de prison, et ordonne son maintien en détention. Il révoque totalement les peines avec sursis, soit 10 mois de prison de plus. Interdiction de porter une arme pendant 3 ans, et obligation d’indemniser la policière insultée (150 euros). Le curateur souffle. Du box, le prévenu a écouté la sanction tête baissée, les mains dans le dos, et c’est comme si on l’entendait dire à nouveau, « vous voulez quoi ? Que je me mette à pleurer devant vous ? ».
FSA
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