Chalon sur Saône

Dans le secret de fabrication des succès de Frédérique Molay

Dans le secret de fabrication des succès de Frédérique Molay

La conférence, organisée la semaine dernière au Saint-Georges par le Lions Club Chalon Saocouna, a permis aux heureux participants d’en savoir plus sur cette auteure qui sait captiver les auditeurs autant que ses lecteurs. Retour sur une soirée qui nous a fait frissonner…

En attendant que tout le monde se place, les discussions entre participants vont bon train dans le salon feutré du Saint-Georges à Chalon-sur-Saône. Soudain, les premiers mots de Frédérique Molay, pour débuter cette conférence, imposent le silence. Et, parce qu’ils sont énigmatiques, toute l’attention est désormais centrée sur elle. Il faut dire que l’auteure qui dégage à la fois douceur, bienveillance et détermination, l’est tout autant... Certains n’auraient manqué pour rien au monde l’occasion de ce tête-à-tête d’une heure et demie, tant ses propos sont enveloppants et nous embarquent avec elle. Après 3 phrases seulement, la salle semble hypnotisée ; un tour de force. La romancière, prix du Quai des Orfèvres 2007, vient nous chercher, un à un, et nous extirpe de la cinquantaine de personnes présentes comme on se retrouve seul face à un livre, il n’y a plus qu’elle et soi. Je l’écoute avec la même avidité que lorsque je me plonge dans ses mots, qu’ils soient sombres ou lumineux... Et ce soir, comme quand je lis, le temps ne s’écoule plus tout à fait normalement.

« Je rembobine le film »

Pour captiver son auditoire, Frédérique Molay a usé des mêmes techniques utilisées dans le polar. Des secrets de fabrication qu’elle a très tôt cherché à percer. « Dès que j’ai commencé à lire, j’ai été subjuguée par la lecture […]. Cela m’a immédiatement saisie. Il fallait que je comprenne : comment fait celui qui écrit pour que l’on ait envie de tourner les pages ? ». Après avoir fait part à l’assemblée des premières lectures de son enfance, vint la présentation de son premier grand coup de coeur littéraire, à l’âge de 10/11 ans : La planète des singes de Pierre Boulle ! Subjuguée par l’histoire mais aussi par sa construction, du prologue à l’épilogue, cette lecture tient lieu de révélation :  « Quand j’ai fermé le livre, je me suis dit : « J’écrirai ! Il faut écrire et faire éprouver aux autres ce que j’ai ressenti ».

Pourquoi le roman policier ? « Emmanuel Schmitt a dit « On ne choisit pas ce que l’on écrit ». Je suis juste bonne à écrire des romans policiers », précise-t-elle. 

Cartésienne mais rêveuse, en quête de vérité, influencée également par les héros Marvel parce qu’ils représentent la lutte du bien contre le mal, Frédérique Molay, ne pouvait qu’être attirée par ce genre littéraire dont elle évoquera la paternité : Edgar Allan Poe ? Voltaire ou Balzac ? Et l’histoire. « Bien que beaucoup de sous-genres existent, les romans policiers véhiculent en général des valeurs universelles et décrivent le monde tel qu’il est, tel qu’il devient. […] C’est une étude sociologique aussi bien qu’une littérature de divertissement qui permet un jeu interactif entre l’auteur et le lecteur », poursuit la romancière qui évoquera ensuite la place des femmes dans le polar, tant côté auteures, peu nombreuses jusqu’alors, que côté personnages où la blonde glaciale laisse place à une femme déterminée ayant des responsabilités. Il faut savoir que 75 % des lecteurs de romans policiers sont des femmes, dont acte.

« Tout est inspiration » 

Pour répondre à la question : « Qu’est-ce qui vous inspire ? », la romancière fourmille d’anecdotes plus captivantes les unes que les autres. Par exemple, « Dent pour dent » lui a été inspiré par un cours d’anatomie, en fac de médecine. Sur un chariot grinçant, sous un drap bleu, 40 têtes appartenant à des corps donnés à la science sont présentées à des élèves pour la dissection. On lui demande d’approcher, puisqu’elle est là pour ça, et soudain l’on découvre dans l’une des têtes, une balle logée dans le palais. Incroyable, en trente ans de carrière, le professeur qui n’avait jamais vu ça , entre stupeur et amusement (que cela se soit produit en présence d'une écrivaine de romans policiers), prévient la police. Frédérique Molay a expliqué ensuite ce qui lui a inspiré « Déjeuner sous l’herbe » et l’histoire est tout aussi passionnante !

Un vrai travail de journaliste et une reconnaissance outre-atlantique

La romancière met un point d’honneur à rencontrer les gens autour des thématiques qu’elle développe dans ses romans, tel le travail long et minutieux d’un journaliste d’investigation où chaque détail compte et n’est nullement laissé au hasard. C’est aussi ce qui fait tout le succès de ses romans réalistes qui dépeignent la société dans laquelle on vit, avec son lot de crimes violents. « Le travail d’écriture est un moment magique. J’ai vécu quelques années de mon écriture. On se laisse vite absorber par ce monde parallèle ; cela donne un sentiment vertigineux, puis le besoin s’est fait sentir de revenir à la civilisation », confie-t-elle.

Son dernier roman, « Copier n’est pas jouer » est sorti en même temps en France et aux États-Unis. Elle travaille désormais régulièrement avec une équipe outre-atlantique et échange avec des auteurs américains : « Cela m’a ouvert un vaste champ des possibles ce qui m’a permis, pour le roman à paraître, d’améliorer l’intrigue, de donner de l’épaisseur aux personnages ». Pour construire ces personnages précisément, dès ses premiers romans elle suit le conseil de Mary Higgins Clark qu’elle a eu la chance d’interviewer lorsqu’elle travaillait pour de grands titres nationaux : « On ne parle bien que de ce que l’on connaît ! ». C’est pourquoi elle fréquente les flics du 36 Quai des Orfèvres, les médecins légistes, et s’inspire également de personnes de son entourage. Ainsi, Ania Sirsky, la mère du très séduisant Nico Sirsky, le Chef de la Crim’ du 36, est une évocation de sa grand-mère ukrainienne. « Il y a toujours des petites références à ceux que je croise », précise-t-elle.

Après l’écriture, vient le travail de correction, tout aussi important

« C’est quasiment réécrire son livre. Pendant cette période plus rien n’existe, les jours et les nuits de travail se succèdent. […] On fait en sorte que la mécanique soit la plus précise possible », poursuit celle qui vient de terminer les corrections de son livre à paraître au mois d’octobre, « Ce soir, c’est la première soirée sans travail, la première vraie nuit ! ». Un deuxième tour de corrections démarrera sous peu à partir des remarques émises par son éditeur, son agent et deux amis qui lui feront des retours. « La vraie création intervient au moment de la correction », commente-t-elle. Même si l’exercice est difficile, il est nécessaire de tenir compte, parfois à contrecoeur, des suggestions de ‘ces premiers’ lecteurs. « Il arrive de devoir renoncer à un personnage, le faire disparaître complètement du livre. C’est un vrai exercice que les américains savent très bien faire.»

« À la 160e page, j’ai découvert le criminel », lui lance un jour un lecteur lors d’une séance de dédicaces. Frédérique Molay nous confie : « À la 200e page, je ne savais toujours pas qui allait être mon coupable ». 

L’anecdote fait rire la salle, elle concerne le livre qui l’a fait connaître : « La 7e Femme », prix du Quai des Orfèvres 2007, best-seller traduit en plusieurs langues et qui l’a propulsé pendant plusieurs semaines numéro 1 des ventes. « Après cette chance inouïe, l’angoisse s’installe », car il faut faire aussi bien. Aujourd’hui, la série continue puisque Nico Sirsky mène sa 5e enquête. « Des producteurs de la télévision sont intéressés ; je ne sais pas si le projet ira jusqu’au bout mais c’est motivant », ajoute-t-elle.  

De toutes manières, « écrire est un besoin » et la 6e enquête du Chef de la Crim’ se profile déjà. « Ce qui me vient en premier, c’est le titre ; le titre arrive tout de suite, comme une évidence », avant même d’avoir couché sur le papier les premières lignes du roman, semble-t-il, ce qui attise la curiosité des auditeurs. Le prochain opus s’appuiera sur une légende urbaine de la fin du XIXème siècle. 

« J’aime faire frissonner à travers les romans policiers », conclura l’écrivaine.

La conférence a ensuite laissé place à un échange avec les participants durant lequel Frédérique Molay a répondu aux questions avec générosité. S’ensuivit un verre de l’amitié et une séance de dédicaces avec la présence de Jean-Noël Riblier, représentant la librairie Develay. Cette soirée savamment orchestrée par Emmanuelle Landré, Présidente du Lions Club Chalon Saocouna, a rencontré un vif succès. L’argent récolté grâce aux entrées servira à financer une partie des séjours mis en place dans le cadre du dispositif VPA,  en direction des enfants défavorisés.

SBR - Photos : SBR