Agglomération chalonnaise
Mayotte : le département abandonné par le Gouvernement
Publié le 25 Mars 2018 à 18h52
Alors que la quatrième semaine de revendications, à l’origine contre l’insécurité du département, Mayotte est au bord d’une crise dont il faudrait que l’Etat prenne une vraie conscience.
L’avantage des moyens de communication actuels, dont Skype fait partie, permet de rencontrer en tête à tête des témoins de ce que peut vivre le 101e département français actuellement. Certes les médias en ont parlé lors de la venue sur le territoire de Madame Girardin, secrétaire d’Etat à l’Outre-Mer, mais lorsque vous avez des informations en direct de gens qui vivent là-bas dans cette île de France du bout du monde, les informations sont très alarmantes.
Rencontre avec deux Mahorais* résidant à Mayotte, l’une est originaire de métropole, l’autre est originaire de Tsingoni. Par discrétion il nous a été demandé de taire leurs noms.
info-chalon.com : Faites nous un point de la situation à Mayotte, vous qui vivez au coeur de ce département ?
Les Mahorais : « Cela devient dramatique à tous les points de vue : sanitaires, scolaires, économiques. Actuellement, par exemple nous n’avons connaissance d’aucun avis de décès, tout comme des naissances. Nous ne savons ou sont enterrés les morts, qu’ils soient adultes ou enfants, voir bébés. Nous avons des bronchiolites importantes ( nous entrons en période « hivernale »), qui ne peuvent pas être soignées parce que les barrages interdisent l’accès aux soins. Nous avons des personnes sous dialyse qui ne reçoivent plus leurs soins.
Les ordures ménagères ne peuvent plus être évacuées pour ce qui est recyclable et expédié depuis le port, celui-ci est saturé. Les enfouissements ne fonctionnent plus et cela entraine une insalubrité grandissante avec la présence de rats et de chiens, la plupart abandonnés, qui se nourrissent des déchets, sans compter les enfants qui sont à proximité et qui sont de nature plus sensibles.
Cela devient très grave et nous en comprenons pas que le Gouvernement ne réagissent pas à ce qui se passe sur notre île. »
Du coté de scolaires et de la vie de tous les jours pour les habitants de l’île ?
« Une ouverture s’est faite dans les barrages pour nous apporter et réapprovisionner en nourriture sur Tsingoni. Nous n’avons plus de gaz depuis 15 jours pour cuisiner. Nous limitons nos déplacements car nous sommes rationnés en carburant. Par contre nous nous sommes organisés dans notre village pour gérer les denrées alimentaires, par contre nous n’avons pas de pâtes, de farine ou de riz par exemple.
Du coté scolaire, les écoles primaires publiques sont toutes fermées sur l’île depuis deux semaines au moins, compte-tenu que nous étions en vacances de février. Sur Tsigoni et alentour nous avons trois écoles privées qui aussi sont fermées, avec une question récurrente au regard des parents qui ont payé la scolarité.
Dans le secondaire les enseignants ont ordre de se présenter aux collèges et lycées le plus proche pour pointer. S’il y a des élèves, il y aura classe, sinon retour à la maison et cela dure depuis trois semaines.
Un lycée de Mamoudzou ( ndlr : ville préfecture de l’île) a fonctionner 15 jours en janvier depuis plus rien. Comme c’est un établissement exposé, les enseignants usent du droit de retrait. Nous sommes presque en avril, mai et juin sont quasiment là avec le ramadan qui s’annonce. Ce sera un semestre blanc pour les lycéens.
La encore nous sommes désolés de dire que c’est un manque de responsabilité de l’Etat qui ne prend pas ou ne veut pas prendre en considération les demandes des Mahorais. »
Inutile de poser la question sur les retombées négatives de l’économie de l’île face au chômage partiel provoqué par cette crise grave ?
« Des entreprises très nombreuses vont être obligées de mettre la clé sous la porte. Plus de chiffres d’affaires pour assurer les salaires du personnel, mais aussi les emprunts engagés par certaines pour le développement qui reprenait des forces depuis quelques mois. La présidente du Medef de Mayotte a lancé un réel cri « Au Secours » en direction de l’Etat.
Certains cadres ou responsables d’entreprises font, depuis chez eux, du télé-travail mais cela ne fait pas travailler les gens du terrain. Nous avons un chef d’entreprise à Tsingoni qui exploite dans le secteur agricole, il ne peut plus planter graines ou plants, l’arrosage ne se fait pas et l’entreprise risque de mourir, ces ouvriers ne pouvant se rendre sur les exploitations.
La encore nous ressentons un réel sentiment d’abandon de la part de nos gouvernants. Honnêtement nous pensons que le Gouvernement s’en fout. Ils devraient venir nous voir, président et premier ministre, plutôt que d’aller nous ne savons pourquoi en Belgique ou en Inde. Mayotte c’est loin des yeux, loin du coeur comme il est dit. »
Que voulez-vous faire passer comme message à la Métropole ?
« Mayotte a besoin d’un relais métropolitain fort pour se faire entendre. Il faut que les gens soient au courant, on ne peut pas laisser un département comme cela ou il y a des gens qui meurent, des bébés ou des malades mal soignés. C’est dramatique, c’est hallucinant. Nous avons le soutien de la Réunion et de la Guyane.
Coté sécuritaire nous ne sommes pas les plus touchés sur Tsigoni, mais toutefois nous avons organisé des raids de nuit pour assurer un peu de sécurité. Les forces de police comme de gendarmerie sont épuisées d’autant qu’elles sont persuadées que les renforts envoyés ne seront que temporaires.
Coté immigrations, le Gouverneur des Comores s’est engagé à démanteler les réseaux de passeurs, mais là encore de l’incompréhension. Par exemple deux bateaux sont partis de Mayotte pour ramener aux Comores des « clandestins » et des volontaires, pour le retour dans le pays d’origine. Les bateaux ont été refoulés dans l’île Comorienne d’Anjouan et ramenés sur Petite Terre, sans savoir ce que ces gens allaient devenir. Tout ceci entretient le conflit actuel entre Mahorais et Comoriens
Une nouvelle fois pourquoi le président de la République et son Premier ministre ne feraient pas un voyage sur l’île pour rencontrer les Mahorais, c’est tout ce que ces habitants demandent.
De plus nous pensons qu’il serait préférable de réfléchir sur une autre application de la gouvernance du département. Ce qui s’applique aux départements de Métropole ne peut pas être appliqué in extenso dans un département d’Outre-Mer, ne serais-ce que pour la scolarisation par exemple. Il faut adapter une gouvernance à Mayotte, comme cela se fait à La Réunion. Peut-être revoir la notion de département. Si la départementalisation a fait de bonnes choses elle ne peut pas être comme dans un fonctionnement métropolitain.
Nous aimerions le faire savoir à la Métropole, afin qu’elle soutienne note île dans sa démarche et de faire comprendre au Gouvernement en place que cette île, notre île, a une réelle valeur humaine et qu’il faut préserver celle-ci, car elle en vaut la peine. »
Propos recueilli par JC Reynaud
Crédits photos Mayotte la Première
* Les Mahorais sont les habitants de l’île et du département de Mayotte.
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